La Chine investit des milliards de dollars dans des projets chinois en Iran, faisant une incursion remarquable dans une économie pour laquelle les investisseurs européens ont beaucoup de mal à trouver des banques acceptant de les soutenir, d’après de hauts responsables iraniens du gouvernement et de l’industrie.
Libéré depuis deux ans du joug des sanctions autour de sa politique nucléaire, l’Iran connaît une période d’investissements chinois sans précédent dans tous les domaines, des lignes de chemin de fer aux hôpitaux, d’après ces sources. Le groupe d’investissement CITIC, propriété du gouvernement chinois, s’est donné une ligne de crédit de 10 milliards de dollars, et la Banque de Développement de Chine envisage 25 milliards de dollars.
« Les Occidentaux feraient bien d’investir en Iran avant que la Chine en prenne le contrôle », a déclaré Ferial Mostofi, directeur de la commission des investissements de la chambre de commerce de l’Iran, au sujet d’une réunion sur les investissements entre Iran et Italie à Rome.
Les investissements chinois, de loin les plus importants jamais réalisés en Iran par aucun pays, contrastent sérieusement avec ceux des Européens, au point mort depuis que le président américain Donald Trump a renié le pacte de 2015 signé par les grandes puissances, et évoquant de nouvelles possibles sanctions économiques.
D’après les hauts responsables iraniens, ces échanges se font dans le cadre du projet chinois (d’un montant de 124 milliards de dollars) de « nouvelle route de la soie », dont l’objectif est de créer de nouvelles infrastructures (autoroutes, chemins de fer, ports, centrales électriques, etc.) entre la Chine et l’Europe, renforçant ainsi les échanges commerciaux.
D’après une source chinoise proche du dossier, il s’agit d’un « accord sur les intentions stratégiques ». La source n’a pas donné plus d’informations concernant les types de projets qui seront financés, mais d’après des journalistes iraniens, il s’agirait de la gestion de l’eau, de l’énergie, de l’environnement et des transports. D’après une source iranienne de la banque centrale, les devises utilisées pour les emprunts seront essentiellement l’euro et le yuan.
La Banque de Développement de Chine a signé un protocole d’accord pour 15 milliards de dollars, d’après l’agence de presse de la République islamique, l’agence de presse officielle de l’Iran.
La banque s’est refusée à tout commentaire, dans la lignée de nombreuses banques et investisseurs étrangers (y compris de Chine), souvent réticents à l’idée de parler de leurs activités en Iran. Dans la plupart des cas, les sites Web des entreprises et des banques sont très opaques au sujet de leurs opérations en Iran.
Avec une population de 80 millions d’âmes et une importante classe moyenne éduquée, l’Iran a tout ce qu’il faut pour s’imposer dans la région comme une grande puissance économique. Mais, du fait de ce climat de sanctions économiques, de plus en plus d’investisseurs étrangers insistent pour que Téhéran donne des garanties pour les protéger dans le cas où leur projet avorterait.
Les relations commerciales entre l’Iran et l’Italie, son plus grand partenaire européen, en ont été affectées.
Ferrovie Dello Stato, entreprise publique italienne des chemins de fer, est consultant dans le projet de construction d’une autoroute nord-sud de 415 kilomètres reliant Téhéran à Ispahan via Qom, par l’entreprise chinoise China Railway Engineering.
L’entreprise italienne est chargée de construire une ligne entre Qom ouest et Arak, mais il lui faut 1,2 milliards d’euros de financement. Bien que soutenue par l’agence d’assurance nationale de l’export, il lui manque, selon elle, des garanties supérieures.
« Les négociations sont presque abouties, mais nous sommes optimistes à l’idée d’aller de l’avant », a déclaré Riccardo Monti, président d’Italferr, la branche d’ingénierie de l’entreprise publique, précisant que le financement devrait être finalisé pour le mois de mars 2018.
La promesse à Téhéran de la part du Premier ministre Matteo Renzi, consistant à débloquer 4 milliards d’euros du gouvernement italien, est tombée à l’eau, selon une source italienne proche du dossier.
Cassa Depositi e Prestiti (CDP) a mis en danger la confiance que lui portent ses nombreux obligataires américains, qui pourraient vendre leurs parts si le crédit alloué aboutissait, d’après cette même source.
Cette année, très peu de banques européennes ont intensifié leurs échanges commerciaux avec l’Iran. La banque autrichienne Oberbank a signé un accord financier avec l’Iran au mois de septembre.
La Corée du Sud a également démontré ses volontés d’investissement, la banque Seoul Eximbamk ayant signé au mois d’août une ligne de crédit de 8 milliards d’euros pour divers projets en Iran, selon l’agence de presse gouvernementale chinoise Xinhua.
Cependant, la Chine se distingue du lot. Valerio de Molli, président du think tank italien European House Ambrosetti, estime que les échanges commerciaux chinois avec l’Iran sont deux fois supérieurs à ceux de la zone euro.
« C’est maintenant qu’il faut agir, si l’on veut éviter que les opportunités mises en place jusqu’à présent ne disparaissent », a déclaré de Molli.
L’intention des responsables iraniens qui ont assisté cette semaine à la réunion organisée à Rome était de pousser les compagnies européennes et leurs banques à agir, en faisant la promotion des investissements et des financements chinois.
« Le train est en marche », a déclaré Fereidun Haghbin, directeur général des affaires économiques au ministère des Affaires étrangères d’Iran. « Le monde est bien meilleur que les États-Unis », a-t-il poursuivi.
Certains hauts responsables iraniens demeurent cependant soucieux de maintenir une symétrie dans les investissements et cherchent des façons innovantes pour préserver les liens économiques avec les pays occidentaux.
La CCI de l’Iran encourage les entreprises des pays occidentaux à envisager l’option du transfert des technologies afin de posséder des fonds propres sur des projets en Iran, au lieu de se concentrer uniquement sur le capital.
D’après Mostofi, un fonds off-shore de 2,5 milliards d’euros est en attente d’approbation. Éventuellement basé au Luxembourg, il constituerait pour les étrangers un moyen indirect d’investir en Iran, dans les PME notamment.
Ce fonds donnerait les garanties que les investisseurs étrangers attendent en retour, s’avançant sur un terrain où les banques ont peur d’aller. Selon Mostofi, la majorité des capitaux viendrait d’Iran.
Mais pour le moment, les grandes compagnies occidentales demeurent coincées. Ansaldo Energia, la compagnie électrique italienne contrôlée par l’investisseur publique CDP et en partie par Shangai Electric Group, est présente en Iran depuis 70 ans.
Son président, Giuseppe Zampini, a confié à Reuters à la conférence de Rome que les opportunités de nouveaux contrats étaient nombreuses mais que pour le moment, il avait les pieds et les mains liés par le fait, entre autres, que les obligations d’Ansaldo étaient entre les mains d’investisseurs américains. « Mon cœur me dit que nous sommes en train de perdre quelque chose », a déclaré Zampini.