Dans son jugement du 5 mai 2020, la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe a clairement remis en question la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) et sa capacité à répondre à la crise financière.
La BCE a trois mois pour convaincre du bien-fondé de sa politique de rachat d’actif appliquée depuis 2015, sous peine de voir la Deutsche Bundesbank (banque centrale de la République fédérale allemande) ne plus y prendre part.
Cet ultimatum se veut une riposte à l’offensive des pays du sud de l’Union européenne menée par Emmanuel Macron et plaidant pour la mise en place d’obligations européennes afin de répondre à la crise du Covid-19. Offensive qui s’est fracassée sur l’intransigeance des pays du nord emmenés par l’Allemagne...
Il n’est plus possible pour les politiciens des pays du sud de continuer à se voiler la face : l’Allemagne ne paiera pas. Toute approche budgétaire est exclue et les tours de passe-passe monétaire de la BCE sous Mario Draghi ne sauraient être tolérés plus longtemps.
On peut juger cette intransigeance égoïste au vu des formidables bénéfices tirés par l’Allemagne du projet européen. Cependant, un minimum d’honnêteté intellectuel nous permet d’en comprendre le sens.
D’un point de vue constitutionnel, l’Allemagne est parfaitement cohérente avec les engagements qu’elle a pris vis-à-vis de ses partenaires européens lors de la signature des différents traités. L’Europe est pour elle une entité à laquelle elle a délégué des points trés précis de souveraineté, points dont le fonctionnement et la logique ont été encadrés minutieusement lors des ratifications. Il s’agit donc d’une Europe à la carte où ses intérêts priment sur l’intérêt communautaire. La Cour constitutionnelle de Karlsruhe veille au grain. Et tant pis si les pays du sud, France en tête, ont voulu y voir plus qu’il n’y était écrit. La faute leur incombe.
En outre, vingt ans de « zone euro » ont permis à l’Allemagne d’accumuler des excédents commerciaux astronomiques sur l’ensemble de ses partenaire européens. Ces créances sont comptabilisées par Target-2, le système de paiement intra-zone euro des banques centrales. À défaut de taux de change, il constitue le seul indicateur pour mesurer les déséquilibres entre les pays de la zone euro. Au dernier compteur, l’Italie et l’Espagne ont accumulé conjointement une dette de 1 trillions d’euros envers l’Allemagne. Somme qui ne sera jamais remboursée.
Il y a donc deux possibilités : soit ces pays sortent de l’euro et font défaut, soit ils se soumettent totalement à l’UE au niveau politique dans un remake du scénario grec.
Deux mauvaises solutions pour l’Allemagne : dans un cas, elle perd ses créances en plus de l’avantage compétitif que lui octroie l’euro ; dans l’autre, la BCE lui impose sa politique de transfert budgétaire avec mutualisation des dettes (proposition Macron, coronabonds).
La relation Allemagne-UE arrive au bout de ses contradictions, contradictions que la crise du coronavirus a exacerbées, illustrant l’ampleur des déséquilibres au sein de la « zone euro »...
La situation étant désormais intenable, l’Allemagne intransigeante est face à un dilemme : poursuivre une fuite en avant, certes avantageuse mais qui ne pourra pas perdurer encore très longtemps et qui aboutira à la déstructuration de l’UE, ou prendre les devants et quitter la première l’institution de Bruxelles (d’où l’intérêt de l’AfD pour faire pression politiquement, la Cour de Karlsruhe faisant pression juridiquement).