Avant tout, le marché des « repos », qu’est-ce que c’est ?
C’est un marché sur lequel des investisseurs peuvent mettre en dépôt des titres et des créances, qu’ils ont dans leurs portefeuilles, en échange de liquidité, ou dit plus trivialement de cash. De là vient le nom de ce marché : « repos » pour repurchase agreement en anglais, soit l’accord de racheter plus tard les titres déposés à un prix plus élevé. La différence entre le prix initial et le prix de rachat est matérialisée par le taux de repos qui fluctue selon l’offre et la demande.
Sur ce marché, nous avons d’un côté les banques d’investissement et les fonds de pension, qui par ce biais trouvent les liquidités nécessaires pour financer leurs montages et leurs investissements.
De l’autre, nous avons des sociétés de gestion d’actifs, des fonds monétaires, des banques commerciales et même certaines banques centrales… Bref, des sociétés et institutions financières assises sur des piles de cash, et qui trouvent là un moyen pratique pour faire fructifier leur argent sans risque, sur des maturités très courtes.
Les transactions sur le marché des repos se font généralement du jour pour le lendemain et sont amenées à se répéter ainsi tous les jours, tant que les besoins de financement des investisseurs sont présents.
Que s’est-il passé exactement en septembre dernier ?
Les 16 et 17 septembre derniers, ce taux repos, qui fluctuait autour de 2 %, a bondi pour atteindre 10 %. Le marché a été pris d’une véritable panique et bon nombre de banques et de fonds de pension se sont retrouvés dans l’incapacité de se refinancer. La FED (la banque centrale américaine) est donc intervenue afin d’éteindre le feu, en déversant immédiatement 75 milliards de dollars, afin de ramener le taux à la normal. Concrètement, la FED s’est substituée aux acteurs traditionnels de ce marché pour prendre elle-même en pension les titres des banques, afin que ces dernières puissent boucler le financement de leurs opérations.
Est-ce que cela à suffit à régler le problème ?
Non, cette intervention, pourtant massive, n’a rien réglé. Le marché des repos est depuis régulièrement sous pression. Ainsi, la FED est obligée d’intervenir fréquemment, pour garder le marché sous contrôle. C’est ainsi que depuis septembre elle a déversé pas moins de 500 milliards de dollars au cours de différentes interventions.
Est-ce le rôle d’une banque centrale d’intervenir comme cela pour sauver banques et fonds de pension ?
En temps normal, non. Il n’est pas du rôle des banques centrales de se substituer aux acteurs et d’agir comme une assurance tout risque comme c’est le cas actuellement. Mais depuis la crise de 2008, on a bien compris que, sous la pression, les banques centrales n’hésitaient pas à mettre au placard leurs principes pour sauver les banques.
Cet épisode met surtout en porte-à-faux son président, Jérôme Powell, qui souhaitait mettre un terme aux deux décennies de politiques extrêmement laxistes menées par ses prédécesseurs : Janet Yellen, Ben Bernanke et Alan Greenspan. Jérome Powel, donc, qui s’était engagé à relever les taux et à normaliser le bilan de la FED, qui depuis 2008 s’est considérablement accru avec les politiques d’assouplissement quantitatif.
Avec cet épisode, toute sa communication et sa crédibilité sont balayées. En effet, par ces injections massives, la FED lance une nouvelle campagne d’assouplissement quantitatif qui ne dit pas son nom, et donne une nouvelle fois du crédit aux critiques qui l’accusent d’être un outil aux mains des lobbys financier.
Mais alors pourquoi une telle panique de la FED ?
Avec l’avènement de la finance comme élément central de nos économies modernes, le marché des repos est devenu la source principale de financement sur les marchés financiers et s’est ainsi totalement substitué aux banques traditionnelles. Et, parce qu’il échappe aux régulations dont font encore l’objet les banques commerciales, le marché des repos est appelé « Shadow banking », soit finance de l’ombre, par les initiés.
Cette absence de cadre contraignant explique la croissance vertigineuse du marché des repos, qui en 2020 avoisine le trillion de dollars. Il est le cœur qui irrigue les marchés financiers (taux, actions, obligations, produits dérivés). Tous reposent sur sa capacité à les alimenter en liquidités. C’est particulièrement le cas des fonds de pensions, aux politiques d’investissement particulièrement agressives et risquées sur les produits dérivés. La valeur des actifs des fonds pension dans le monde s’élève à 3,2 trillions de dollars.
Ainsi, on comprend mieux le rôle crucial que joue le marché des repos. S’il se grippe, c’est l’ensemble des acteurs qui se retrouvent dans l’incapacité de se refinancer : dans un premier temps les fonds de pensions, puis les banques, puis les chambres de compensation. L’industrie financière devenue, majoritaire dans les économies occidentales de service, s’effondre. Les indices financiers et boursiers du monde entier chutent annonçant une nouvelle crise financière de grande ampleur.
Et on l’a vu avec la crise de 2008, une crise financière cela veut dire :
a) Moins de rentrées fiscales, ce qui engendre une dégradation des finances et donc des coupes dans les services publics et les investissements de l’État.
b) Une mise en danger des économies des petits épargnants, ainsi que la retraite des travailleurs qui ont choisi la capitalisation.
c) Et enfin et surtout, un effondrement des banques. En effet, la séparation des banques d’investissement et des banques commerciales ayant été supprimé aux États-Unis et jamais réalisé en France (« Mon ennemi c’est la finance », F. Hollande), nous sommes tous solidaires des risques encourus par le simple fait d’avoir nos dépôts dans ces banques. En outre, cela veut dire également une économie à l’arrêt, car une économie dont on a coupé toute possibilité de financement de l’économie réelle.
Les banques françaises sont-elles touchées ?
Bien entendu. Le cartel bancaire français, qui est composé du Crédit agricole, de la BNP, de la Société Générale et de BPCE et représente plus de 80 % du marché national, est très présent sur les marchés financiers internationaux et plus particulièrement sur le marché des repos pour financer leurs opérations en dollars, devise qui constitue la majorité de leur encours.
Cette crise des repos n’est pas qu’un problème pour les américains mais également pour chaque citoyen français.
Cette situation est extrêmement choquante !
Vous avez raison, et cela d’autant plus que :
1- Cette profusion d’argent n’a pas vocation à financer l’économie réelle. Elle est cloisonnée dans la sphère financière, en circuit fermé, parmi les différents acteurs que sont les banques, les fonds de pensions, les gestionnaires d’actifs, les chambres de compensation, etc., ce qui explique que cette inflation ne se répercute pas dans l’économie réelle.
2- Le marché des repos opère tel une gigantesque banque qui génère une création monétaire qui pousse le prix des actifs à la hausse : actions, obligations, produits dérivés et même l’immobilier. Cette inflation du prix des actifs génère artificiellement un effet richesse, basé sur aucune création de valeurs, sur les propriétaires et les gestionnaires de ces actifs : actionnaires, traders, salariés des banques, administrateurs de fonds de pension et de société de gestion d’actifs. Le décrochage des 1 % du reste de la population vient essentiellement de là, c’est à-dire de cette incroyable machinerie qu’est la finance mondialisée, qui permet de créer artificiellement de l’inflation à destination des plus aisés.