1.2
LE CHAPITRE FINANCIER
a) Aux Etats-Unis
Les faits : aux Etats-Unis, la situation est simple – un immense pays tout entier est entièrement, collectivement et pour l’instant solidairement en faillite :
Les particuliers sont de plus en plus nombreux en faillite : en deux ans, 3 millions de foyers ont été expulsés pour non paiement de leurs traites, soit 10 millions d’Américains à la rue. Le nombre de faillites personnelles a progressé de 50 % sur un an.
Les entreprises sont au bord de la faillite : s’étant fait tondre la laine sur le dos par Toyota, Ford, Chrysler et General Motors sont au bord de la cessation de paiement. Du côté des PME, ça ne va pas mieux : le nombre de faillites quotidiennes d’entreprises a progressé de 50 % sur un an, et il a été multiplié par 4 depuis trois ans, pour atteindre le chiffre de 5.000 faillites d’entreprises par jour (France : 150 / jour environ).
Les fonds spéculatifs sont tous plus ou moins au bord de la faillite. Si Bernard Madoff passe pour l’instant pour un mouton noir, il y a fort à parier que dans quelques mois, on s’apercevra que le troupeau tout entier n’avait pas la blancheur Persil. Un homme d’affaires américain de Floride, responsable d’un fonds d’investissement, est porté disparu depuis la semaine dernière, avec les quelque 350 millions de dollars dont il avait la gestion, a rapporté samedi un journal local. Des « mini-Madoff » comme celui-là, on en verra beaucoup… jusqu’à ce qu’arrive, un jour, un « super-Madoff » ?
Les banques sont en faillite : l’État fédéral a sauvé Bank of America, plombée par Merrill Lynch, qu’elle avait rachetée récemment en catastrophe (pour éviter sa faillite). En pratique, cela veut dire que la banque commerciale a servi de relais de transmission des créances pourries entre une banque d’affaires véreuse et un Etat fédéral qui ne pourra payer que par l’inflation, donc par le pouvoir d’achat des Américains. Pendant ce temps, Citigroup ex Salomon Brothers, symbole de la Haute Banque juive globale, est démantelée entre une maison mère qui poursuivra son activité, si Dieu et le Président des Etats-Unis le veulent, et une structure de défaisance dont l’Etat finira forcément par hériter… s’il n’est pas lui-même en faillite !
Certains Etats fédérés sont en effet déjà au bord de la faillite : Arnold Schwarzenegger, le gouverneur de Californie, a avoué que son Etat risquait la cessation de paiement à brève échéance. Résultat : à partir du 1er février, un certain nombre d’allocataires de pensions et d’aides publiques se verront remettre, au lieu d’une liasse de dollars, une simple reconnaissance de dette. En Amérique, le gouvernement fédéral a pu débloquer 2.300 milliards de dollars, en tout, pour sauver la Haute Banque, mais les boursiers des quartiers pauvres de L.A. devront choisir entre manger et faire des études… Jusqu’à quand ?
Interprétation possible : de toute manière, l’Etat fédéral lui-même est en réalité virtuellement en faillite. Nous avons confirmation de ce que les spécialistes prévoyaient depuis plusieurs années : l’économie américaine est en train de s’effondrer sous une incroyable accumulation de dettes impossibles à rembourser. Mais pire encore, il s’avère que les bases sur lesquelles nous raisonnions étaient en partie faussées – et pas dans le sens optimiste du terme ! Alors qu’en 2007, un Pierre Larrouturou tablait sur un ratio dette des acteurs non financiers / PIB de l’ordre de 240 %, le chiffre est aujourd’hui réévalué à 300 %, entre autres du fait du transfert en dette d’Etat de certaines dettes jusque là situées dans le portefeuille des acteurs purement financiers. Et si l’on défalque du PIB américain les éléments qui ne correspondent à aucune production de bien ou de service réelle (par exemple les primes d’assurances, 4,5 % du PIB officiel, ou encore les 1,5 % de PIB représentés par les frais juridiques !), alors le ratio est de l’ordre de 400 %. And counting. Dans ce contexte, la relativement bonne santé du dollar ne peut s’expliquer que par des manipulations de cours et des réactions irrationnelles des marchés. Il faut dire qu’avec une chute de 22.000 milliards de la capitalisation boursière mondiale sur un an (- 45%), les USA ont réussi à entraîner la planète entière dans leur implosion – et la principale raison pour laquelle, pour l’instant, cette implosion reste dissimulée, c’est probablement que tout le monde a intérêt à ne pas la constater.
b) En Europe
Les faits : financièrement, la Grande-Bretagne est le seul pays du monde à aller encore plus mal que les USA. Londres ne peut pas se permettre de laisser imploser la City, tant il dépend des services financiers (pays peut-être plus profondément désindustrialisé que la France elle-même). Or, l’implosion de la finance spéculative globalisée est bel et bien entrain de détruire complètement la crédibilité du secteur financier londonien. L’Etat britannique s’apprête à débloquer directement un plan de soutien de 200 milliards de livres sterling, auquel va s’adjoindre tôt ou tard un ensemble de factures complémentaires qui finira par porter l’addition peut-être à 1.000 milliards de livres. Cela représente 30.000 livres environ par contribuable britannique, soit 70 % du revenu annuel. Dans un pays où les particuliers sont déjà surendettés à outrance, c’est le coup de grâce. La Grande Bretagne est en fait virtuellement en faillite collective, exactement comme les USA, mais comme elle n’a pas le poids des USA, elle risque de tomber plus vite.
Le reste de l’Europe est maintenant rattrapé par la crise financière, avec une configuration générale assez simple :
le cœur de l’Euroland est touché, mais pas en situation de faillite immédiate (l’Allemagne est encore industrialisée, donc moins dépendante des activités purement financières ; la France est, elle, sous-industrialisée, mais aussi relativement peu endettée, grâce entre autres à son système de retraites par répartition qui permettra une gestion du choc démographique plus souple – grâce aussi à un taux d’épargne des ménages comme toujours excellent) ;
la périphérie de l’Euroland est menacée de collapsus financier (à mon très humble avis, la non faillite de l’Etat italien ne peut s’expliquer que par des financements occultes, un peu comme la Colombie des années 90 ; quant à l’Espagne, championne des comptes publics équilibrés jusqu’à tout récemment, elle va laisser filer son déficit jusqu’à 5 ou 6 points de PIB, et sa dette publique devrait assez vite rejoindre celle de la République Française aux lisières du définitivement non remboursable).
Interprétation possible : Commençons par dire franchement que la Livre Sterling est finie comme monnaie de référence, sauf très improbable miracle. Ce point évacué, parlons de l’Euro. Les grandes négociations pour le réaménagement de la zone Euro vont bientôt commencer. D’ores et déjà, la commission européenne anticipe pour de nombreux pays des déficits publics bien au-delà de la limite des 3 % du PIB posée par le pacte de stabilité – et sans pacte de stabilité, l’Euro devient ingérable. Deux solutions apparaissent possibles :
L’émission d’une dette commune européenne, libellé en euro, gérée par la BCE et rétrocédée aux pays membres, solution souhaitée par l’Italie (taux de référence des emprunts d’Etat : 4 % environ), qui y voit un moyen de continuer à se financer à un prix raisonnable, grâce à la garantie implicite de l’Allemagne (taux : 3 %) et de la France (taux : 3,5 %), mais récusée par l’Allemagne, qui ne veut pas se retrouver à régler les factures italiennes, espagnoles ou grecques (taux : 6 % !) ;
L’émission par les Etats en faillite d’une monnaie nationale couplée à l’euro par un taux de change fixe révisable, qui permettrait de fabriquer de la dévaluation compétitive sans faire complètement exploser la monnaie commune. Faites vos jeux.
c) Le reste du monde
Les faits : sur le plan financier, le reste du monde n’est pas dans la situation de l’Occident. Fondamentalement, ce que nous vivons, c’est la l’implosion de la domination occidentale dans le secteur financier, implosion financière qui résulte d’un recul dans l’économie productive matérielle.
Il y a du surendettement en Chine ou au Japon, mais la situation globale de ces pays en fait des créditeurs nets. Ainsi, s’il y a beaucoup de Japonais surendettés, leurs créanciers sont eux-mêmes japonais (Japon : position extérieure nette positive de 4.000 milliards de dollars environ). Si le boom boursier chinois a donné lieu à des excès spéculatifs énormes, la Banque de Chine n’en est pas moins devenue le plus grand acteur financier mondial (réserves de change : 1.400 milliards de dollars). Pour l’instant, la Chine et le Japon ne se sont pas retirés massivement des bons du trésor américains (ce qui explique que le dollar n’ait pas implosé). Donc pour l’instant, l’Asie, créancière du monde occidental, continue à financer ses clients.
L’économie russe est un cas particulier. On n’arrive pas à définir le fonctionnement de la finance moscovite. Il y a une très grande opacité, qui fait qu’on ne connaît pas avec certitude la position extérieure nette de la Russie. Ce qu’on sait, c’est que la Russie dispose de réserves de change importantes (de l’ordre de 500 milliards de dollars), qui devraient lui servir de matelas de sécurité dans les années qui viennent. Pour l’instant, Moscou a laissé filer le rouble, ce qui revient à pratiquer une forme de dévaluation compétitive, et pris des mesures protectionnistes. La Russie s’apprête à faire face à une fuite des capitaux rapatriés par les acteurs américains en faillite, et à gérer la crise par une austérité que, de toute façon, elle ne craint guère – même si la classe moyenne a pris quelques habitudes de luxe.
L’Inde, qui dispose de réserves de change non négligeables (300 milliards de dollars), n’a pas laissé filer sa monnaie comme la Russie. Elle semble caler son comportement sur celui de la Chine. Le Golfe envisage de se doter d’une monnaie commune. Il est à noter que cette monnaie, dont il était initialement prévu qu’elle serait liée au dollar, pourrait être pour finir appuyée sur un panel de monnaie privilégiant dollar, euro et yen.
Interprétation possible : La chute de l’impérialisme financier occidental n’est pas souhaitée par les dirigeants non occidentaux, parce qu’elle ouvre la porte à une période d’incertitude inquiétante. C’est pourquoi l’Asie, qui serait en situation de faire imploser instantanément le dollar, s’en garde soigneusement. A l’image des pays du Golfe, qui sont tributaires des USA pour leur sécurité et redoutent l’implosion du dollar parce qu’ils possèdent une part importante de la dette publique américaine, les non-occidentaux se positionnent pour amortir les chocs autant que possible. C’est plutôt de la puissance en déclin, les USA, que l’agressivité financière peut survenir.