Bernard Cazeneuve et François Hollande ont lancé le lendemain de la tuerie de Nice (14 juillet 2016), l’idée d’une réserve opérationnelle. Cette milice semi-citoyenne est composée de 12 000 Français issus de la gendarmerie et de l’armée, enfin de ceux qui ont effectué leur service dans un de ces corps. Ces réservistes seront intégrés dans des unités de l’armée pour surveiller lieux sensibles et événements publics. Jusque-là, rien de scandaleux.
Voir ici comment se passe une intégration dans la réserve citoyenne :
Le gouvernement surfe sur la demande de sécurité et le regain patriotique, car on sait tous qu’on se sent plus en sécurité quand on est soi-même « sécurisant ». Armé, on craint moins les agressions potentielles. L’insécurité change de camp. À ce propos, les statistiques donnent la France dans les premiers pays d’Europe pour l’armement individuel : 31% des foyers seraient « équipés ». C’est le fusil de chasse du grand-père. Une tradition française.
Cependant, un parallèle peut être fait entre la constitution de cette « garde nationale » et l’évolution des effectifs des pompiers. Depuis l’avènement de François Hollande, mais la droite libérale avait commencé avant lui, (« La ministre du Budget Valérie Pécresse a calculé qu’un fonctionnaire “coûte” en moyenne 1,5 million d’euros, en additionnant ses salaires et sa retraite sur plus de 40 ans de carrière », citait Le Monde du 1er décembre 2011), le pouvoir se met à choyer les pompiers volontaires : un programme de développement de l’attractivité du volontariat est même décidé. L’IFRASEC (institut française de sécurité civile), think tank libéral, dirigé par Pascal Perrineau, expert auprès du Conseil de l’Europe et analyse de l’extrême droite, a pondu ceci, dans son rapport d’octobre 2013 :
« La sauvegarde du système actuel passe donc de manière inexorable par un recours massif au volontariat, seule une hausse de ces effectifs permettra de le pérenniser tout en maîtrisant les coûts de fonctionnement du service public. »
Ce que résume magnifiquement Pascal Perrineau : « Ce volontariat, au-delà de sa vertu civique exemplaire, est l’élément central du fonctionnement à moindre coût du service public de sécurité civile. »
Concrètement, pour des raisons de budget, l’État fait en sorte de réduire le taux de professionnels dans la sécurité publique, qui est un service public. La création de la réserve opérationnelle va dans le même sens que l’augmentation du volontariat chez les pompiers : on délègue de plus en plus la sécurité civile à des non-professionnels. Le pouvoir joue le bénévolat contre la professionnalisation. Il y gagne matériellement, et aussi politiquement, car le taux de syndicalisation, et donc de résistance ou de revendication potentiel, est très élevé chez les pompiers. Ceci étant dit, chez les militaires, il n’y a pas de syndicats.
- François Hollande annonce en octobre 2013 des mesures en faveur des pompiers volontaires
Dans le corps des pompiers, à la base, ça grogne, car on voit d’un mauvais œil une partie des budgets et primes partir chez les « amateurs », alors que les pros se serrent vraiment la ceinture, avec tous les risques que cela comporte pour les citoyens. Pour ce qui concerne l’armée, on assistera à un remplacement progressif des effectifs professionnels (qui ne veulent plus jouer aux plantons dans « Sentinelle », sans oublier la sécurisation de lieux de culte très privilégiés) dans la rue au bénéfice d’amateurs ou de semi-amateurs, avec là aussi des conséquences invisibles mais bien réelles sur une authentique sécurité.
On rappelle que le président de la République s’était engagé en 2012 – promesse relancée en novembre 2015 (attentats de Paris) – à créer 9 000 postes de policiers et de gendarmes. D’après la Cour des comptes, citée par Le Figaro, seuls 390 emplois auront été créés sur la période 2012-2015 : 110 policiers et 280 gendarmes. On comprend donc mieux l’appel au patriotisme de l’exécutif, qui jusque-là considérait l’amour de la France au mieux comme une incongruité, au pire comme du fascisme. Pour relativiser cet effet d’annonce, on rappellera que le précédent président avait carrément diminué les effectifs de la sécurité en France (voir la déclaration de Valérie Pécresse plus haut).
- La terrible bataille idéologique droite/gauche illustrée par ce cliché
Un travail de sape qui vient de la droite et de loin, et qui se poursuit tranquillement sous la gauche. La facture LRPS coûtera 250 morts à la France en deux ans.
La possibilité d’un conflit civil sous couvert de sécurisation
Outre l’« amateurisation » de la sécurité, le second danger qui se profile dans la constitution de cette nouvelle « arme », c’est son côté milice, mélange de citoyens et de militaires, même si les citoyens seront encadrés par les militaires. La réserve opérationnelle serait le vernis de cette milice... heureusement républicaine. Chacun sait que la République, qui dispose de moyens officiels de défense (armée, police), interdit toute constitution de milice (à part la LDJ mais c’est un autre débat), qui plus est armée.
Or qui empêchera des individus prêts à en découdre avec les terroristes (c’est l’objectif), les islamistes (plus difficiles à distinguer), voire des pseudo-islamistes (reconnaissance au faciès, pardon, faciale), de tirer en pleine rue s’ils se sentent menacés ? Le noyautage de la « réserve » par des groupes constituant eux-mêmes en milices est de l’ordre du possible.
Sans faire d’humour ou de politique-fiction, peut-on imaginer Marion Maréchal-Le Pen, qui s’est tout de suite proposée pour intégrer la réserve, tirer sur un « terroriste » en pleine rue ?
On peut théoriquement s’attendre à une multiplication d’accrochages, de provocations (des deux côtés), de bavures, vraies ou fausses, soit la naissance d’un conflit armé de basse intensité sur notre sol – un scénario à l’israélienne – sous prétexte de lutte contre la « barbarie ». C’est le terme qu’a employé François Hollande dans sa dernière allocution, et il a promis de gagner cette « bataille ».
Ainsi, pour deux raisons, toutes les deux cachées, l’une purement financière, l’autre sournoisement politique, nos dirigeants nous préparent-il à la fois à une baisse de la sécurité dans l’espace public, et à une augmentation de la tension générale, c’est-à-dire des tensions intercommunautaires. Une ingénierie sociale de plus, dans une France qui les accumule.