Cœur sur la main ou arme au poing, comment ces jeunes marqués par les attentats de Paris construisent leur engagement de demain.
« Avoir la chance de me retrouver un jour en face d’un terroriste et pouvoir le mettre hors d’état de nuire. » Au lendemain du 13 novembre, c’est ce qu’a souhaité Nicolas (son prénom a été modifié, [NDLR]), engagé dans l’armée depuis deux ans et demi. Âgé de 23 ans, il a envisagé de rejoindre l’infanterie pour affronter des djihadistes de l’État islamique en Syrie. Si son esprit de vengeance a fait peur à ses proches, il a ensuite « appris à relativiser », comme il le reconnaît trois mois après.
Nicolas appartient à ce que beaucoup appellent la « génération Bataclan ». « Celle qui a été attaquée, sur ces terrasses, dans ces lieux de culture, près d’un stade à Saint-Denis », selon les mots de François Hollande. Qu’elle souhaite défendre son pays en prenant les armes, en portant secours, ou en adoptant un engagement citoyen, cette jeunesse réagit de manière inédite. La semaine suivant les attentats, l’armée de terre a reçu 1 500 demandes par jour, trois fois plus que d’habitude. Sur l’année 2015, les candidatures ont bondi de 28%. Les autres corps de l’armée connaissent une tendance similaire : 15% en plus pour l’armée de l’air et 40% pour la Marine.
« Un réflexe de défense de l’identité républicaine »
« Dans les jours qui ont suivi les attentats, on a constaté une recrudescence des inscriptions sur nos sites de recrutement », confirme le colonel de gendarmerie Jean-Valéry Lettermann. Le nombre de candidats pour les concours de sous-officiers et de gendarmes adjoints volontaires a doublé et le profil s’est rajeuni, s’établissant autour de 16-25 ans : « Il y a un besoin d’une partie de la population de se sentir protégée par ses forces de l’ordre et parmi cette population, une petite partie s’est dit “je vais y aller”. »
Dans cet attrait des jeunes pour les métiers de l’uniforme, Anne Muxel, directrice de recherche au CNRS et au Cevipof, voit « un réflexe lié à l’appartenance à la Nation, un réflexe de défense de ce qui peut constituer le coeur même de l’identité républicaine », mis à mal par les attentats. « Je veux aider à défendre le pays en cas d’attaque comme le 13 novembre », témoigne Maxime, comme en écho. Ce lycéen entend bien rejoindre la réserve opérationnelle de l’armée de terre dès qu’il aura 17 ans, l’âge minimal requis. S’il hésitait encore à parler à ses parents de sa volonté d’intégrer l’armée, les attentats l’ont décidé à sauter le pas. Ses parents l’ont approuvé – son père a lui-même fait Saint-Cyr. Mais il hésite encore entre faire carrière dans l’armée et suivre des études de journalisme tout en étant réserviste.
25.000 engagés dans la réserve opérationnelle
Un pas dans la gendarmerie, l’autre dans le monde civil : c’est le compromis que certains voient dans la réserve opérationnelle de la gendarmerie. Elle compte aujourd’hui 25 000 membres, dont deux tiers de jeunes âgés de 17 à 30 ans. En 2015, la réserve a reçu 1 300 demandes supplémentaires. « L’augmentation est bien là, elle se tasse un peu en janvier, on peut le comprendre car la réaction a été immédiate », commente le général Alain Coroir, délégué aux réserves de la gendarmerie nationale. Aujourd’hui, 1 500 réservistes sont actifs chaque jour sur le territoire, un chiffre que la gendarmerie ambitionne de faire passer à 2 000 d’ici à l’année prochaine.
« Un chamboulement personnel »
Quand ce n’est pas l’uniforme de gendarme ou de militaire qui séduit, c’est celui de policier qui suscite des vocations. Anaïs, 18 ans, a choisi de postuler pour être cadette de la République. Si elle n’est pas retenue, elle optera pour adjointe de sécurité. « Ça faisait deux ans que j’y pensais. C’est triste, mais il m’a fallu des attentats pour que je me lance dans la police », lâche-t-elle. Le 12 janvier, c’est sur le mur Facebook de la Police nationale qu’elle annonce avoir envoyé sa candidature. Les forces de l’ordre ont pris l’habitude de ce type de sollicitations. Dans les premières 24 heures qui ont suivi le 13 novembre, les prises de contact avec les policiers sur les réseaux sociaux ont connu un pic de 11 000 demandes par heure, contre 200 à 250 habituellement.
Les lettres de motivation des candidats au concours exceptionnel de gardien de la paix, qui s’est clôturé le 29 janvier, témoignent d’un même « déclic ». Ils évoquent les attentats « comme un chamboulement personnel », explique la commissaire Camille Chaize. Ils « parlent beaucoup plus de valeurs républicaines, et mentionnent leur volonté d’aide et de soutien à la population ». Trente mille personnes ont postulé à ce concours qui ouvre 2 000 postes.
« Construire son pays »
« Les jeunes cherchent dans les autorités régaliennes à contrecarrer l’immense chaos causé par les actes barbares et gratuits du 13 novembre », décrypte la sociologue Anne Muxel. Une partie de la jeunesse « cherche des réponses auprès d’institutions qui ont une légitimité à combattre », conclut-elle.
Un engouement qui vient répondre aux annonces de François Hollande concernant la création de 5 000 emplois de policiers et gendarmes sur les deux années à venir. « C’est une génération qui a encaissé toutes ces images et qui veut construire son pays, c’est normal de vouloir leur ouvrir nos portes », estime Camille Chaize. Combattre et protéger.