En affirmant que toutes les civilisations ne se valent pas, Claude Guéant ne pouvait ignorer la polémique qu’un tel « dérapage » ne manquerait pas de susciter à gauche. Cette vision d’une droite impérialiste contre une gauche profondément attachée au relativisme culturel n’est pourtant qu’une supercherie que les médias se sont empressés de confirmer.
Supercherie historique pour commencer. La pensée de gauche fondée sur l’universalisme des Lumières a en effet joué un rôle moteur dans la colonisation française. On se souvient d’ailleurs de l’enthousiasme d’un Jules Ferry, chef de la gauche républicaine, pour le projet impérial français.
Le fardeau de l’homme blanc semblait alors bien être celui de l’homme de gauche, progressiste et universaliste. Force est de constater que lorsque l’UMP s’empresse de défendre M Guéant, affirmant avec conviction et la main sur le cœur que son ministre est un « Républicain », elle ne fait que reprendre à son compte les idéaux historiques de la gauche.
Mais la gauche a-t-elle réellement renoncé à cet idéal ? Cette gauche des droits de l’homme, n’est elle pas au contraire plus que jamais celle d’aujourd’hui ? Le droit d’ingérence de Bernard Kouchner ne sous-entend-il pas que toutes les civilisations n’ont pas la même valeur ? Certains « intellectuels » soutiendront alors qu’il ne faut pas confondre régime politique et civilisation. Jean Michel Apathie fait ainsi remarquer dans le grand journal du 6 février que l’on peut estimer égales les civilisations et les cultures, tout en affirmant la supériorité de la démocratie sur les régimes politiques dictatoriaux présents dans de nombreux pays.
La démocratie devient alors une valeur universelle, incontestablement supérieure à tout autre régime politique quel que soit le contexte culturel. L’arrogance d’une telle prétention occulte totalement toute analyse sociologique et anthropologique d’une population et société données.
Ce sont donc bien les contradictions internes d’une gauche, piégée entre son universalisme droit-de-l’hommiste et son libéralisme culturel, que met en valeur cette polémique. Entre néo-colonialisme et relativisme culturel, le paradoxe est de taille mais possède sa cohésion interne. Tout est question de périmètre : à l’échelon international, la démocratie libérale et occidentale doit s’imposer car supérieure par essence aux autre régimes.
Mais à l’échelon national français, le relativisme culturel est de mise car disposant d’un pouvoir de dissolution des odieuses traditions franchouillardes, pour paraphraser Bernard-Henri Lévy et ses comparses (cf. Globe numéro 1, édito, 1985). Ainsi, Le bobo de Gauche, le même qui qualifie habituellement de « beaufs » ses compatriotes un peu trop attachés à leur sol, s’extasie devant le mode de vie des tribus africaines qu’il visite devant la caméra de Frédéric Lopez (cf. Rendez-vous en terre inconnue).
Il serait pourtant prêt à leur imposer avec enthousiasme la démocratie et son package droit-de-l’hommiste, préparant par la même occasion le terreau idéologique propice au développement de l’économie de marché avec les conséquences civilisationnelles que l’on sait.
Les différences de civilisations doivent se situer dans l’altérité et non dans la hiérarchie de valeur. Mais le multiculturalisme prôné par nos élites de gauche comme de droite ne peut mener qu’à la destruction mutuelle des cultures voulue par la gauche libérale, et au fameux choc des civilisations savamment orchestré par la droite néo-conservatrice.