Près de la moitié des retraités grecs vivent déjà sous le seuil de pauvreté. Les nouvelles mesures d’austérité les ciblent pourtant une nouvelle fois. Reportage.
Un vieillard en survêtement s’approche d’un pas mal assuré d’une benne à ordures. D’un bras, il soulève avec peine le couvercle bleu. De l’autre, il sonde les détritus autant qu’il peut. Son butin : une boîte à chaussures et un cintre en plastique. Il referme le conteneur, se retourne et traverse lentement la route, en direction de la poubelle d’en face. La scène se passe à Athènes, dans un quartier résidentiel. Elle est presque devenue banale dans la capitale grecque.
Les 2,7 millions de retraités que compte la Grèce – sur 11 millions d’habitants – sont en première ligne des mesures d’austérité mises en œuvre dans le pays depuis 2010 pour tenter de réduire le déficit budgétaire. Les nouvelles coupes dans les pensions imposées au parlement hellénique par les créanciers internationaux s’ajoutent à treize autres réformes en sept ans. Ces dernières, appliquées de manière graduelle, ont notamment rehaussé l’âge de la retraite, relevé les cotisations et supprimé certaines aides.
Sous le seuil de pauvreté
Les allocations, qui avec la nouvelle loi devraient diminuer de 9 % à l’horizon 2019 pour économiser 1,8 milliard d’euros, ont déjà été réduites de 40 % en moyenne. À l’heure actuelle, la retraite standard est d’un peu plus de 800 euros par mois, selon les autorités, et 43 % des pensionnaires reçoivent moins de 660 euros, un montant inférieur au seuil de pauvreté. Or la plupart ne perçoivent aucun autre argent et les pensions constituent le revenu principal d’un ménage sur deux. Elles se substituent en outre à d’autres prestations sociales, faibles en Grèce. Enfin, les retraités doivent faire face comme tout le monde à la hausse des taxes en tous genres.
« Que vont-ils enlever à ceux qui n’ont déjà plus rien ? » s’inquiète Teresa, une rousse de 67 ans active dans le réseau de solidarité Mirmigi (« la fourmi »), situé à Kypseli, un quartier central d’Athènes qui s’est paupérisé ces dernières années. L’association fondée en 2012 fournit des vivres et des produits de base à environ 400 familles nécessiteuses, grecques et étrangères, deux fois par mois. Un bénéficiaire sur dix est retraité, indique Kostas, 26 ans, l’un des piliers de Mirmigi. « Ils sont toujours plus nombreux, observe-t-il. Certains touchent 500, 300 euros, voire rien du tout si ce n’est l’assistance sociale. Comment voulez-vous qu’ils vivent ? »
Retraite divisée par deux
Au sein même de Mirmigi, environ la moitié de la trentaine de bénévoles actifs sont des retraités. Il y a par exemple Margarita, 69 ans, une ex-fonctionnaire qui percevait 900 euros ainsi qu’une aide de 100 euros en 2010 et qui n’en reçoit plus que 700 aujourd’hui. Il y a aussi Ioannis, 71 ans, qui travaillait dans les télécommunications et qui a vu sa pension être coupée en deux. De 2 600 euros versés quatorze fois par an, elle est passée à 1 500 fois douze, les 13e et 14e « salaires » ayant été supprimés.
Les tailles n’ont épargné aucune catégorie de retraités mais les pensions les plus hautes ont été les plus fortement élaguées.
Anthi Nikiforakis, une architecte, s’est retirée de la vie active en 2012. Elle aurait dû obtenir 2 000 euros. Elle doit finalement se contenter de 1 300. « J’ai travaillé dur et je touche 40 % de moins que prévu », se plaint-elle. Une fois à la retraite, elle prévoyait de construire une maison et d’aider son fils. Désormais, elle parvient tout juste à régler ses factures : « Une fois, je suis allée au tribunal parce que je ne pouvais pas payer. On m’a répondu que je n’avais pas le choix ! »
Indispensable ou impasse ?
Les retraités sont descendus dans la rue pour protester contre cet énième tour de vis et une cour étatique l’a déclaré anticonstitutionnel. Rien n’y a fait. « Ces coupes étaient inévitables, juge Yannis Koutsomitis, un économiste indépendant. Il y a un vrai problème au niveau du système de pension grec, qui n’est pas du tout soutenable. » La Grèce est le pays d’Europe qui consacre la plus grande part de son budget aux retraites, indique le spécialiste de la zone euro, qui enchaîne : « Le salaire moyen est plus bas que la pension moyenne. Trop de gens ont aussi pu recevoir des retraites confortables sans avoir payé l’entier de leurs contributions. » Des salaires de plus en plus bas, un chômage élevé (50 % chez les jeunes) et une population vieillissante complètent le tableau. Pour l’économiste, « il faut entièrement repenser le filet social, pour pouvoir venir en aide à ceux qui ont été durement affectés par la crise ».
Plus confiance en Tsipras
Le Premier ministre Alexis Tsipras, du parti de gauche Syriza, a promis aux Grecs que cet effort serait le dernier avant un redémarrage de l’économie. Mais beaucoup ont perdu foi en sa parole. Kostas, de Mirmigi, en fait partie. Lui a arrêté de voter pour ce qu’il considère comme un « parti libéral » après le référendum de 2015 sur la poursuite des programmes de rigueur dictés par la troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international), auquel il avait dit « non » comme 61,3 % des Grecs.
« Tsipras et les autres ont tourné ce "non" en "oui" et maintenant nous vivons la même chose qu’auparavant, dénonce-t-il. Il faut une nouvelle gouvernance car ce chemin est toxique. La dépression dure depuis sept ans et les gens continuent de souffrir. Nous sommes dans une impasse. »