Cette étude démontre que la crise grecque qui a éclaté en 2010 est d’origine bancaire privée. Elle n’est pas le résultat d’un excès de dépenses publiques. Le soi-disant plan d’aide à la Grèce a été conçu pour servir les intérêts des banquiers privés et ceux des pays qui dominent la zone euro. L’adoption de l’euro par la Grèce a joué un rôle important dans les facteurs qui ont contribué à la crise. L’analyse contenue dans ce texte a été présentée à Athènes le 6 novembre 2016 lors de la réunion de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque.
Pour la période 1996-2008, à première vue, l’évolution de l’économie grecque ressemble à une success story ! L’intégration de la Grèce au sein de l’Union européenne et à partir de 2001 dans la zone euro a l’air de réussir. Le taux de croissance économique est élevé, plus élevé que celui des économies les plus fortes d’Europe.
En réalité, ce succès apparent cachait un vice, tout comme cela a été le cas dans un grand nombre de pays : non seulement l’Espagne, le Portugal, l’Irlande, Chypre, les républiques baltes, la Slovénie, mais également la Belgique, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l’Autriche… qui ont été très affectés par la crise bancaire à partir de 2008 [1]. Sans oublier l’Italie rattrapée par la crise bancaire quelques années après les autres.
Au début des années 2000, la création de la zone euro a généré d’importants flux financiers volatils et souvent spéculatifs [2] qui sont allés des économies du Centre (Allemagne, France, Benelux, Autriche,…) vers les pays de la périphérie (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne, Slovénie, etc.).
Les grandes banques privées et d’autres institutions financières des économies du centre ont prêté de l’argent aux secteurs privé et public des économies périphériques car il était plus profitable d’investir dans ces pays que dans les marchés nationaux des économies du centre. L’existence d’une monnaie unique, l’euro, a encouragé ces flux car il n’y avait plus de risques de dévaluation en cas de crise dans les pays de la périphérie.
Cela a créé une bulle du crédit privé, touchant principalement le secteur immobilier, mais aussi celui de la consommation. Le bilan des banques de la périphérie a fortement augmenté.
En Irlande, la crise a explosé en septembre 2008, lorsque d’importantes banques ont fait faillite suite à l’effondrement de Lehman Brothers aux États-Unis. En Espagne, en Grèce et au Portugal, la crise a débuté plus tard, en 2009-2010 [3].
L’explosion de la bulle du crédit privé en 2009-2010 (provoquée par la récession internationale qui avait suivi la crise des subprimes aux États-Unis et sa contamination aux banques des économies européennes du centre) et notamment la crise du secteur bancaire ont conduit à des sauvetages (bail-out) massifs des banques privées.
Ces sauvetages ont provoqué une énorme augmentation de la dette publique. En effet l’injection de capitaux publics dans les banques et les autres mécanismes de sauvetage ont été très coûteux.
Il est clair qu’il NE fallait PAS recourir au bail-out des banques et qu’il NE fallait PAS socialiser leurs pertes privées.
Il fallait recourir au bail-in des banques : organiser leur faillite ordonnée et faire payer le coût de l’assainissement par les grands actionnaires privés et les grands créanciers privés. Il fallait également en profiter pour organiser la socialisation du secteur financier. C’est-à-dire exproprier le secteur bancaire privé et le transformer en un service public [4].
Mais il y avait d’importants liens, et même une complicité, entre les gouvernements des pays de la zone euro [5] et le secteur bancaire privé. Les gouvernements ont donc décidé d’utiliser de l’argent public pour sauver des banquiers privés.
Puisque les États de la périphérie n’étaient pas assez forts financièrement pour organiser eux-mêmes le bail-out de leurs banques afin de mettre à l’abri les banques françaises, allemandes, etc., les gouvernements des économies du centre (Allemagne, France, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Autriche, etc.) et la Commission européenne (parfois avec l’aide du FMI) ont mis en œuvre les tristement célèbres Memorandums of Understanding (MoU) ou « protocoles d’accord ». Grâce à ces MoU, les grandes banques privées et d’autres grandes institutions financières privées d’Allemagne, de France, des pays du Benelux et d’Autriche (c’est-à-dire le secteur financier privé des économies du Centre) ont pu réduire leur exposition dans les économies périphériques. Les gouvernements et les institutions européennes ont profité de cette occasion pour renforcer l’offensive du capital contre le travail ainsi que pour réduire la possibilité d’exercice des droits démocratiques à travers toute l’Europe.
La manière dont la zone euro a été construite et la crise du système capitaliste sont responsables de la crise des pays périphériques que nous pouvons observer depuis 2009-2010.
Les étapes qui ont mené à la crise grecque de 2010
À partir de 1996, sous la conduite du premier ministre Kostas Simitis (PASOK), la Grèce s’est engagée encore un peu plus dans le modèle néolibéral qui avait commencé à être appliqué à partir de 1985 quand Andreas Papandreou, après un début prometteur, a pris le même virage que François Mitterrand avec deux années de décalage [6].
Entre 1996 et 2004, au cours des deux mandats de Kostas Simitis, a été mis en pratique un programme impressionnant de privatisations (ce n’est pas sans rappeler le bilan du gouvernement socialiste de Lionel Jospin – 1997-2002 – qui à la même période a réalisé en France d’importantes privatisations que la droite et le patronat rêvaient d’accomplir depuis les années 1980).
En matière de baisse d’impôts sur les profits des entreprises, la Grèce est allée plus loin que la moyenne de l’UE. Des mesures visant à la précarisation du travail et revenant sur les conquêtes de la période 1974-1985 ont été adoptées. De même, le gouvernement socialiste a favorisé une forte déréglementation du secteur financier (qui s’accomplissait également dans les autres pays de l’UE et aux États-Unis) qui s’est traduit par une forte augmentation de son poids dans l’économie.
Les banques grecques se sont développées dans les Balkans et la Turquie, ce qui a renforcé la trompeuse impression de réussite.