Tout le monde connaît la lutte des classes opposant le mouvement ouvrier à la bourgeoisie. Moins connue, et pour cause, est la lutte opposant, à l’intérieur du camp socialiste, le socialisme internationaliste au socialisme libertaire. Et, à l’intérieur du camp national : le socialisme parlementaire, d’inspiration maçonnique, au syndicalisme révolutionnaire considéré comme pré-fasciste.
Luttes qui, ramenées à leurs origines de classe, opposèrent d’une façon générale deux franges de la bourgeoisie : la moyenne et grande bourgeoisie cosmopolite, pour le socialisme dit scientifique (Marx, Lassalle…) s’ingéniant à discréditer, au nom du concept et du messianisme prolétarien, une petite bourgeoisie nationale empiriste (Proudhon, Sorel…) mais, elle, ancrée dans le réel et le monde du travail.
Lutte sourde, mais lutte à mort qui se soldera par la victoire des internationalistes sur les nationaux et, surtout, par la victoire d’un socialisme réduit à la question du pouvoir d’achat - donc au Marché - sur un socialisme qui voulait changer radicalement la vie.
Les classes sociales ont toujours existé
Déterminées par l’évolution des forces productives - soit l’histoire du progrès technique - et les rapports de production qui découlent de cette évolution (pas de rapports bourgeoisie / prolétariat sans invention, aussi, de la machine à vapeur nécessaire à la révolution industrielle), les classes sociales ont toujours existé.
Toujours existé ou, plus exactement, existé depuis que l’homo faber, sortant d’un mythique « communisme primitif », s’engagea sur la voie nécessaire et fatale de la spécialisation des tâches, pour générer, par la division du travail, les premières divisions sociales.
Une division sociale en classes qui remonte donc à la nuit des temps historiques.
Classe par la pratique et mentalité de classe
Des classes sociales définies par leur praxis : les laboratores par l’agriculture, l’artisanat puis le commerce, les bellatores par le métier des armes, les oratores par l’apprentissage et la transmission du savoir, dans l’ancien monde tripartite.
Une praxis qui génère aussi une culture et une mentalité de classe : mentalité commerçante aujourd’hui dominante, mentalité populaire majoritaire mais toujours méprisée, et mentalité aristocratique logiquement en voie de disparition.
Une culture et une mentalité de classe qui n’épuisent, par ailleurs, ni la question du groupe ethno-culturel entraînant un autre ordre de conscience et de solidarité ; ni la persistance de l’animal en l’homme et les comportements réflexes qui vont avec : instinct de survie individuel, souci de sa progéniture…
Antagonismes de classes, collaboration de classes et « luttisme de classe »
Mais du temps du pouvoir royal, notamment sous la monarchie théocratique qui précéda notre démocratie maçonnique et marchande, les antagonismes de classes étaient jugulés ou transcendés - selon qu’on y voit un mal ou un bien - par la soumission générale à l’ordre divin.
La solidarité ethno-culturelle, celle par exemple de tous les sujets de sa majesté dans le royaume de France, primant, en dernière instance et malgré les tensions, sur les antagonismes de classes comme sur la solidarité de classe.
Une acceptation de la loi de Dieu - et du fatum - qui empêchait ce « luttisme de classe » dénoncé par Charles Péguy comme le mal moderne, et qui caractérise fatalement le monde de l’immanence qui lui a succédé.
Un « luttisme de classe » ne pouvant être contré, dans notre société bourgeoise de l’immanence et du profit, que par la solidarité nationale, en remplacement de l’ordre divin ; ou, dans le sens opposé, par la promotion d’un individualisme exacerbé détruisant alors toute solidarité…
La classe ouvrière, incarnation du mensonge et de la trahison bourgeoise
Dans le monde de l’immanence ayant succédé à la Révolution française, la lutte des classes devient donc effectivement le nouveau moteur de l’Histoire. Une lutte résultant d’abord de la fin de la solidarité trans-classes existant précédemment dans la monarchie de droit divin ; mais une lutte résultant ensuite, et surtout, de la promesse non tenue des Lumières.
La prise du pouvoir par le Tiers-État, une fois évincés la Noblesse et le Clergé, n’ayant pas débouché sur l’égalité sociale de tous les citoyens et la fraternité nationale, mais sur l’exploitation, à l’intérieur du Tiers-État, d’un prolétariat industriel par une nouvelle bourgeoisie capitaliste entrepreneuriale, encore plus dure envers ses salariés que ne l’était la noblesse avec ses paysans.
Le prolétariat et sa misère étant, littéralement, l’incarnation du mensonge de la bourgeoisie et de ses soi-disant Lumières.
Une situation nouvelle de violence et de mensonge à l’intérieur du camp progressiste, qui fera le lit, à partir de 1840, de la pensée et de l’épopée socialiste…
Le rêve d’un messianisme prolétarien
Une fois gommées, par les ratés de l’Histoire, les prétentions du marxisme à la scientificité, la grande idée du socialisme peut se résumer ainsi :
Le prolétariat créé, tel le golem, par la bourgeoisie elle-même - et qui est le fruit de ses contradictions - sera, de par sa conscience puisée à sa souffrance et les qualités morales qui sont censées en résulter : respect et solidarité envers les travailleurs… la classe chargée, par l’Histoire, de punir la bourgeoisie capitaliste exploiteuse et menteuse, par une prise de pouvoir dépossédant cette même classe bourgeoise de son pouvoir sur cette fausse démocratie qu’est la démocratie libérale.
Une prise du pouvoir par le prolétariat qui achèvera, du même coup, le travail politique progressiste entrepris par la Révolution française - et trahi par la bourgeoisie - pour produire enfin réellement, et plus seulement formellement, cette société fraternelle et sans classes, promise par l’égalité citoyenne des Lumières…
Un espoir et une vision du monde qui fait du marxiste, quoi qu’il en dise, un moraliste et un idéaliste.
Un projet s’efforçant de renouer avec l’eschatologie chrétienne du partage et de l’amour, dans le monde matérialiste généré par l’immanentisme marchand, en s’appuyant sur un messianisme prophétique, puisé lui au judaïsme.
Projet socialiste prétendant s’appuyer sur le logos grec pour réaliser le projet juif messianique et missionnaire chrétien réconciliés, et résultant sans doute de la triple culture juive, chrétienne et grecque du philosophe Karl Marx, principal théoricien du socialisme dit scientifique…
Le Messianisme prolétarien, projet des intellectuels
Un projet de révolution socialiste, par et pour les prolétaires, pensé et voulu non par des prolétaires - les prolétaires, pour des raisons de praxis, ayant rarement le bagage conceptuel nécessaire - mais par des intellectuels issus de deux franges de la bourgeoisie :
La petite bourgeoisie nationale, pour les socialistes libertaires et autres syndicalistes révolutionnaires, tels que Pierre-Joseph Proudhon et Georges Sorel.
Penseurs souvent autodidactes et profondément liés au monde du travail.
La moyenne et grande bourgeoisie ashkénaze, pour les socialistes internationalistes tels que Karl Marx ou Ferdinand Lassalle.
Théoriciens totalement étrangers aux classes laborieuses, et opposants à l’empirisme petit-bourgeois des premiers, l’arrogance d’une abstraction conceptuelle puisée à la philosophie helléno-européenne ; une philosophie fiévreusement embrassée depuis leur récente émancipation de la pensée talmudique et du ghetto.
Le plus bel exemple de cet écart absolu entre le sujet pensant et l’objet pensé étant sans doute « Histoire et conscience de classe » de George Lukacs. Énorme pavé historico-philosophique où ce fils de banquier de la grande bourgeoisie juive hongroise tente de démontrer, par une élucubration conceptuelle virtuose, le destin messianique et anti-bourgeois d’un prolétariat idéalisé qu’il n’a jamais côtoyé. Un engagement théorique qui le conduira, lui le fin lettré, à participer au gouvernement sanguinaire de l’aventurier Béla Kun, puis à soutenir jusqu’à son dernier souffle l’œuvre de Joseph Staline !
Un prolétariat idéal sorti de la tête de l’intellectuel, utilisé comme arme contre sa propre classe chez le cadet de la bourgeoisie empli de culpabilité pour la trahison des Lumières perpétrée par ses pairs.
Prolétariat supposé révolutionnaire, utilisé aussi comme arme de la revanche et de la conquête, par le déclassé et le cosmopolite, contre les élites possédantes : cette bourgeoisie nationale et chrétienne dont on veut prendre la place au nom du prolétariat…
Pas d’autonomie de classe sans culture de classe
Théâtre antique, geste chevaleresque, roman bourgeois… la conscience et l’autonomie d’un groupe social se démontre d’abord par sa production culturelle. Une culture spécifique où ce collectif exprime devant l’Histoire ce qu’il sait être et ce qu’il veut.
Or, comme Edith Piaf interprète magnifique, mais interprétant des textes écrits par d’autres, le prolétariat révolutionnaire n’a jamais fait que suivre des meneurs non issus de ses rangs, et jouer devant l’Histoire une partition qui n’est pas de sa main.
Lucide sur ce point, Louis-Ferdinand Céline, petit bourgeois lettré qui a le mieux exprimé la souffrance et l’âme populaire, tirait une fierté ironique de ce compliment de Joseph Staline - autre déclassé cynique - qui considérait « Le Voyage au bout de la nuit » (traduit en russe par une Elsa Triolet elle aussi parfaitement étrangère au monde ouvrier) comme le seul roman prolétarien jamais écrit.
Ironie, partagée par ces deux esprits d’un réalisme amer, de constater que l’individu prolétaire, dont le XIXème siècle intellectuel avait fait le héros de l’Histoire, était en fait un héros muet ; la fameuse classe messianique, une classe n’ayant jamais produit la moindre culture spécifique où exprimer sa conscience et son projet - le « réalisme socialiste » imposé par le Parti en étant la démonstration même - sauf à confondre un peu vite culture prolétarienne et culture populaire…
Peuple ou prolétariat ?
De François Villon à Dieudonné en passant par Louis-Ferdinand Céline, Michel Audiard et Coluche, la culture populaire perpétue, à travers les siècles, un génie débonnaire aux antipodes d’un « réalisme socialiste » exprimant par décret l’art prolétarien.
Une culture du peuple et pour le peuple qui nous oblige, pour définir le groupe humain dont elle est l’expression, à préciser d’abord ce que le peuple n’est pas. Peuple qui n’est d’abord ni la noblesse ni le clergé, mais ce « tiers exclus » constitué des non privilégiés sous l’Ancien régime, et qui accède en théorie - comme Tiers-État - aux pleins pouvoirs par la Révolution française.
Peuple que l’on doit définir encore, face à l’exploitation et au parasitisme des classes supérieures - noblesse puis bourgeoisie à l’intérieur du Tiers-État - comme le monde du travail et de la production ; soit cette classe des laboratores assumant et assurant - selon la terminologie freudienne - le « principe de réalité » : paysans, artisans, commerçants, ouvriers, petits entrepreneurs… auxquels il faut agréger encore les petits fonctionnaires utiles et les artistes exprimant cette sensibilité.
Peuple que l’on peut donc définir en terme de classes, comme l’addition du prolétariat et de la classe moyenne.
Un peuple constitué de la petite bourgeoisie et du prolétariat qui se côtoient d’ailleurs dans la vie réelle - comme le patron de bistrot, propriétaire de son moyen de production, et son client l’ouvrier salarié.
Deux groupes sociaux mitoyens et mêlés que le socialisme scientifique, au nom d’abstractions intellectuelles démenties par la réalité - à commencer par la réalité sociale et urbaine du quartier et du bistrot - s’est toujours évertué à séparer et à opposer…
Mensonge de l’internationalisme prolétarien : Le peuple est toujours patriote
Prolétariat fantasmé et manipulé par les abstractions d’agitateurs cosmopolites, présenté comme internationaliste, alors, qu’autre constat pratique historiquement démontré, le peuple est toujours patriote.
Patriote comme le Peuple de la Commune refusant, au nom de la fierté française, la défaite de Sedan et une soumission de Paris à l’occupant prussien, acceptées par la bourgeoisie versaillaise.
Peuple patriote acclamant toujours ses équipes sportives nationales, face au mépris ou à la manipulation - quand le sport devient un marché - des élites d’argent ricanant de ces engouements simples et collectifs (cf. Bernard-Henri Lévy).
Peuple fidèle à sa nation face à la trahison de ses élites cosmopolites ; que ce soit celle de Louis XV sacrifiant les intérêts de la France à ceux de son cousin le roi de Prusse, ou celle de Sarkozy l’américain, liquidateur actuel de l’indépendance française…
Il n’y a d’international que le Capital
Des familles régnantes mettant le cousinage européen au-dessus de l’intérêt national (d’où la fuite à Varenne de Louis XVI), à la bourgeoise soumise à l’intérêt d’un capital lui aussi sans frontières, la mentalité internationaliste - en réalité cosmopolite - est parfaitement étrangère au peuple.
Un internationalisme qui est, en revanche, le propre des élites voyageuses et des manipulateurs nomades, faisant leurs affaires au-dessus de la tête de peuples, de par leur praxis, peu mobiles et enracinés.
Ainsi, l’anti-nationalisme proféré par un Georges Sorel à la veille de 1914, ne doit pas se comprendre comme un mépris élitiste de la solidarité nationale, mais comme le refus d’une manipulation bourgeoise poussant les peuples, français et allemands, au bain de sang pour le plus grand intérêt du Capital…
L’internationalisme ouvrier bien compris, contraire de l’antinationalisme trotskiste
Refus d’un nationalisme belliqueux instrumentalisé - dès Napoléon Ier - par les forces d’argent et conduisant toujours à la souffrance des peuples, qui doit nous faire comprendre l’internationalisme ouvrier, non pas comme l’expression d’un antipatriotisme instinctif, mais comme la solidarité des peuples du travail, dans un souci d’efficacité politique, face aux manipulations du Capital apatride.
Un internationalisme partant du national pour revenir à lui, comme celui du PCF anti-immigrationiste de Georges Marchais, exprimé par son fameux discours de Montigny-lès-Cormeilles.
Discours populaire et patriote, aux antipodes de l’internationalisme trotskiste exprimant une haine quasi-religieuse de la nation. Un mépris de la frontière et des peuples enracinés professé par des agitateurs professionnels, rarement issus du peuple du travail, et partagé par la grande bourgeoisie d’argent.
D’où l’intérêt, pour le Grand capital, de favoriser discrètement ces agitateurs anti-nationaux au détriment des représentants légitimes du peuple ouvrier solidaire et patriote.
Une collusion entre mondialistes de droite et internationalistes de gauche – en réalité tous cosmopolites - rendue d’autant plus facile qu’ils sont souvent issus, comme le démontre l’Histoire, de la même communauté…
Philosophie de la misère contre misère par la philosophie
Mais pour revenir au combat théorique anticapitaliste mené durant toute la seconde moitié du XIXème siècle au sein même de la famille socialiste, deux camps vont s’affronter, prétendant tous deux apporter la bonne réponse à cette même question centrale :
« Dans le monde de l’immanence où tout provient de la praxis, quelles sont les conditions matérielles, sociales et politiques propres à libérer l’Homme ? »
Une question mais deux réponses et deux groupes principaux pour mener à bien la lutte antibourgeoise :
D’un côté, le socialisme libertaire des Mikhaïl Aleksandrovitch Bakounine et Pierre-Joseph Proudhon.
De l’autre le socialisme dit « scientifique » du tandem Karl Marx - Friedrich Engels.
Les premiers s’efforçant de répondre à cette question immense par le bon sens et l’empirisme.
Les seconds opposant aux tâtonnement et aux approximation des premiers, un système philosophique totalisant se réclamant d’un « sens de l’Histoire » repris de Hegel, et qui traitera, du haut de sa prétendue scientificité, la tentative de penser les remèdes pratiques à la misère des premiers, de « misère de la philosophie ».
Une virtuosité conceptuelle dite « matérialiste historique et dialectique » qui, malheureusement pour eux et pour le prolétariat, se révélera, avec le recul du temps qui dit le vrai sens de l’Histoire, les élucubrations prétendument scientifiques de bourgeois arrogants comme des nouveaux riches, usant, en apprentis sorciers, d’une philosophie très éloignée de leur culture héritée prophético-messianique, pour se moquer de penseurs autodidactes mais issus du monde du travail, dont toutes les intuitions anti-marxistes-léninistes se sont révélées justes.
Se méfier du progrès
Le Progrès, promu au nom du « sens de l’Histoire » par Marx, contre les intuitions et les remarques de bons sens de Proudhon puis Georges Sorel - qui eux prenaient humblement acte du refus du machinisme exprimé par les luddites en Angleterre, les canuts en France, et d’une façon générale par les corporations représentant l’aristocratie ouvrière - débouchant sur l’abrutissement du travail parcellaire, l’aliénation suprême du taylorisme et du fordisme…
Vers le salariat généralisé
Ce progrès machiniste aliénant - de surcroît exigeant en Capital - passant nécessairement par la concentration et la grande unité de production. Soit par la généralisation d’un salariat générateur de soumission, de passivité et d’infantilisme, comme Proudhon puis Sorel l’avaient également pensé contre Marx et Engels…
La dictature du prolétariat c’est la dictature du parti
La dictature du prolétariat, théorisée par Marx puis accompli par les bolcheviks - Lénine constatant l’amorphie des masses prolétaires livrées à elles-mêmes et à leur conscience, préférant tabler, pour prendre le pouvoir, sur une « avant-garde révolutionnaire », soit sur des professionnels non prolétaires mais formés à l’action révolutionnaire, plutôt que sur un « spontanéisme » des masses accomplissant un « sens de l’Histoire » qui conduira l’universitaire virtuose, mais la politique naïve Rosa Luxembourg à l’échec et à la mort.
Bref, la soi-disant « dictature du prolétariat » qui n’a rien demandé ni projeté, conduisant dans les faits à la dictature inéluctable du Parti-État. Soit, dès Lénine, à la bureaucratie et à la nomenklatura stalinienne…
Socialisme et Populisme : les conditions de la conscience et de la liberté
Face à ce régime fondé sur la division du travail et le salariat généralisé sous l’autorité exclusive du Parti-État - soit la dictature machiniste et policière d’un « socialisme réel » justifié et maquillé par l’arrogance d’une science philosophique rabâchée et crue comme une religion - les penseurs populistes : Bakounine, Proudhon puis Sorel, plus réalistes que matérialistes, plus intuitifs que conceptuels, opposèrent dés le début une autre piste de salut pour le peuple du travail.
Prônant, pour accoucher d’un monde de conscience et de liberté, une société de petits patrons, petits propriétaires, issus de l’aristocratie ouvrière et travaillant main dans la main dans le respect de l’échelle humaine.
Soit la conscience facilitée, non pas par le catéchisme du Parti sur des salariés infantilisés, mais par la responsabilité économique et sociale - donc politique - résultant de la propriété de ses moyens de production.
Soit encore la liberté, non pas distribuée par un État gendarme centralisateur, mais concrètement permise par l’indépendance économique et sociale - donc aussi politique - conférée aussi par la propriété, pour le plus grand nombre, de ses moyens de vie et de production.
Une société mutualiste de petits producteurs citoyens, exprimant non pas le désir de pouvoir et de domination d’un petit groupe manipulant un prolétariat exploité et sans objectif à travers l’appareil d’État, mais une société de liberté, d’égalité et de fraternité concrètes, renvoyant plus à la démocratie grecque qu’au socialisme soviétique, mais cette fois sans esclaves !
Une société aux antipodes aussi bien du socialisme marxiste-léniniste que du capitalisme bourgeois, tous deux fondés sur la fuite en avant technicienne, l’extrême division du travail et le salariat généralisé au service d’un État-patron (pour le socialisme) ou d’un Patron-État (pour le capitalisme), ce qui revient au même.
Proximité de deux systèmes, fondés tous deux sur le seul progrès matériel, qui explique parfaitement le passage sans heurt, et sans contestations, de l’URSS de Mikhaïl Gorbatchev à la fédération de Russie de Boris Eltsine ; la vitesse à laquelle le soi-disant « homme nouveau », forgé par soixante-dix ans de socialisme, se convertit à l’abrutissement consumériste occidental, puisqu’il a suffi pour ça de remplacer, à la tête d’un édifice parfaitement vertical, l’Étoile rouge par Coca-Cola !
Un « socialisme scientifique » arrogant, ultra-conceptuel, en réalité psalmodique et finalement grossier (dont l’œuvre absconse de Louis Althusser sera l’ultime caricature) masquant l’irresponsabilité salariale et fordiste, guidée par le parasitisme de la nomenklatura, derrière une dictature bureaucratique.
Socialisme réel qui se révèlera non pas, au final, la volonté d’émancipation du monde ouvrier, mais la volonté de domination de cosmopolites et de déclassés manipulant la légitime souffrance ouvrière contre la fautive bourgeoisie chrétienne…
Ni capital ni dictature du prolétariat : la solitude de Georges Orwell
Un vaste mensonge politique rejoignant l’autre dans un même totalitarisme, qu’avait pu constater l’Anglais Georges Orwell dès les années 40, suite à ses pérégrinations en France puis en Espagne.
Mascarade du « socialisme réel » dénoncé par le Russe Alexandre Soljenitsyne dans les années 50, mais cette fois du point de vue de la réaction.
Réhabilitation d’un populisme renvoyant dos à dos capitalisme et socialisme, défendu aujourd’hui en France par le subtil Jean-Claude Michéa, à la suite des travaux de l’américain Christopher Lasch…
La lutte pour la bonne lutte des classes
Recherche du salut pour Orwell et Michéa, non pas par le prolétariat et l’opposition abstraite prolétariat / bourgeoisie, mais dans l’union du prolétariat et de la classe moyenne, vers la classe moyenne généralisée. Dans cette union du peuple : ouvriers, artisans, se levant lors de la Commune de Paris contre un Capital « versaillais » dont les intérêts lui demeurent étrangers.
Un populisme taxé par ses ennemis bourgeois - comme révolutionnaires cosmopolites - de « petit bourgeois » et assez éloigné, c’est vrai, de la verbeuse et emphatique démocratie parlementaire française issue de la Révolution.
Un populisme frondeur et libertaire tout aussi éloigné du socialisme soviétique, continuateur sur bien des plans - n’en déplaise à Soljenitsyne - du despotisme tsariste.
Un populisme renvoyant finalement bien plus à l’idéal pionnier américain, luttant à la fois contre la banque et l’ État – incarné alors par la City et la monarchie anglaise - pour une démocratie mutualiste de petits propriétaires producteurs, incarnée encore dans l’Amérique profonde par un certain esprit républicain…
La discrète stratégie de l’Empire, ou la banque empêchant, au nom du socialisme, la jonction populiste du prolétariat et de la classe moyenne (Marx contre Proudhon)
Dès lors, le combat socialiste - à commencer par l’opposition Bakounine-Proudhon contre Marx-Engels - peut et doit se comprendre, non pas comme l’opposition binaire du socialisme du travail contre la bourgeoisie du capital, mais plutôt, de façon plus perverse et triangulaire, comme la lutte du Grand Capital mondialiste manipulant et finançant des révolutionnaires professionnels, le plus souvent issu de la bourgeoisie cosmopolite : agitateurs stipendiés, dialecticiens fumeux, mettant en scène un soi-disant combat unitaire du travailleur contre le bourgeois, où grand bourgeois spéculateur apatride et petit bourgeois entrepreneur enraciné sont systématiquement confondus - comme dans le catéchisme d’Arlette Laguiller - pour empêcher la jonction populaire, elle authentiquement révolutionnaire au regard du pouvoir du Capital, de la petite bourgeoisie et du prolétariat national.
L’histoire de cette manipulation et de cette collusion, où un socialisme cosmopolite manipule un prolétariat fantasmé contre une classe moyenne enracinée systématiquement diffamée, étant l’histoire cachée du mouvement ouvrier.
Un mensonge et une manipulation historiquement révélés, à partir des années 1970, par le ralliement final de ces soi-disant révolutionnaires cosmopolites au libéralisme mondialisé.
Ralliement effectué sous la férule des trotskistes, en Europe sous le nom de « libéralisme libertaire » et aux États-Unis sous l’appellation « néo-conservatrice ».
Une flopée de sociaux-traitres dont énumérer les noms évoquerait immédiatement la liste de Schindler…
La discrète stratégie de l’empire, ou la banque favorisant la gauche parlementaire contre le Syndicalisme révolutionnaire (Jaurès contre Sorel)
Une fois assurée la victoire des socialistes « scientifiques » sur les socialistes libertaires, après un combat inégal (au regard des sponsors) qui durera toute la seconde moitié du XIXème siècle, un second combat de liquidation du peuple révolutionnaire s’accomplira à l’intérieur du prolétariat salarié.
Ce sera, au tournant du siècle jusqu’à la première guerre mondiale, le combat du syndicalisme révolutionnaire, adepte de la grève générale et de l’action directe, contre le socialisme parlementaire sous influence maçonnique ; soit la deuxième défaite populiste de Georges Sorel face à Jean Jaurès…
La lutte réduite à la lutte pour le pouvoir d’achat, ou Le combat perdu des représentants du peuple unis contre les manipulateurs du prolétariat
Ainsi, de 1840 à 1970, tout le combat mené à l’intérieur de la gauche doit se comprendre comme la lente défaite des forces populaires face aux professionnels du socialisme.
La transformation progressive et subtile, par les forces de gauche stipendiées par le Capital et sous l’influence des loges, d’un combat anti-bourgeois pour changer la vie en combat pour le pouvoir d’achat.
Soit, au final, la démocratie - qu’elle soit libérale ou socialiste - limitée au Marché…
Conclusion : liquider la classe moyenne
Un monde régit par la dérive du Capital nomade, dont la constante, quelles que soient les manipulations du monde salarial et ses collaborations, aura été tout du long - outre la maximisation du profit - de liquider la classe moyenne, par définition indépendante et rétive au pouvoir.
Isoler la classe moyenne d’abord, par la propagande des agitateurs socialistes cosmopolites, en l’amalgamant idéologiquement à la grande bourgeoisie, afin de la jeter à la vindicte de la classe ouvrière avec qui pourtant, depuis la Commune, elle constitue le peuple ; et notamment le peuple du Travail.
Remplacer la classe moyenne ensuite, à coup d’absorption-acquisitions imposées par l’économie d’échelle, par les dociles couches moyennes salariées ; soit les petits patrons indépendants par les cadres dociles.
Liquider la classe moyenne enfin purement et simplement, en se servant notamment de la crise financière orchestrée par la Banque, pour lui couper, face à une surfiscalisation imposée par l’ État complice, le crédit-relai nécessaire à son fonctionnement.
Cette destruction finale de la classe moyenne - productive, lucide et enracinée - correspondant au projet impérial de liquidation de toute insoumission au Capital, par essence apatride, pour que rien ne subsiste enfin de liberté, de conscience et d’indépendance entre le pouvoir impérial de la Banque et la masse salariée…
Et je finirai par cette éloquente, et peu connue, citation de l’anarchiste Bakounine, rival contemporain de Marx et pourfendeur acharné, dans le camp révolutionnaire, des socialistes dits scientifiques :
« L’État n’est pas la patrie. C’est l’abstraction, la fiction métaphysique, mystique, politique, juridique de la patrie. Les masses populaires de tous les pays aiment profondément leur patrie ; mais c’est un amour réel, naturel. Pas une idée : un fait... Et c’est pour cela que je me sens franchement et toujours le patriote de toutes les patries opprimées. »
Mikhaïl Bakounine
Merci d’avoir écouté ce bref et dense exposé. J’attends vos questions.
Alain Soral