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La faillite grecque : leurre, levier ou laboratoire ?

Il faut le dire, même si c’est un peu gênant à l’égard de notre (nos ?) éventuel(s) lecteur(s) grec(s) francophone(s) : en Grèce, il ne se passe pas grand-chose. Que l’Etat grec soit au bord de la cessation de paiement est très ennuyeux pour les Grecs, voilà une chose qu’on ne peut nier. Que cela soit réellement gênant pour l’Union Européenne, a fortiori pour l’économie mondiale, voilà qui, en revanche, est tout à fait faux.

Rappelons les ordres de grandeur, histoire de remettre les pendules à l’heure.

Le PIB de la Grèce avoisine 340 milliards de dollars, soit 2,3 % du PIB de l’Union Européenne et 3 % de celui de l’Euroland (petit joueur). Le pays présente la particularité déroutante d’importer 3 fois plus qu’il n’exporte (60 milliards de dollars contre 20 milliards), et de dépendre, pour financer ce trou béant, d’un énorme secteur touristique (15 % du PIB). La corruption est endémique (généralisée serait plus juste), l’économie informelle (terme pudique pour « marché noir ») franchement surdimensionnée (omniprésente si on préfère). Avec une dette extérieure totale estimée à 550 milliards de dollars (160 % du PIB) et une dette publique de l’ordre de 300 milliards d’euros (chiffre du gouvernement grec), ou plutôt 400 milliards d’euros (120 % du PIB, calcul aimablement fourni par les experts de la banque allemande Commerzbank), la Grèce est techniquement en faillite (un pays structurellement déficitaire, à faible croissance et dont la dette publique, en grande partie extérieure, dépasse le PIB, est un pays en faillite – là-dessus, pas de contestation possible). Soit dit en passant, pour ceux qui s’étonneraient que le gouvernement grec se soit « trompé » à hauteur de 30 % du PIB national concernant la dette publique (c’est pas chez nous qu’on verrait ça !), précisons que « l’erreur » a été facilitée par l’ingénierie financière fournie (moyennant commissions, cela va sans dire) par les petits génies de Goldman Sachs, au moment où la Grèce peinait à entrer dans la zone euro.

Faillite, donc, et faillite frauduleuse, en prime.

Comme je vous le disais, pour les Grecs, c’est très ennuyeux.

MAIS pour le reste de la planète, eu égard à la situation d’ensemble, c’est une broutille.

Là encore, histoire que les pendules marquent toutes l’heure exacte, rappelons quelques péripéties récentes dans le Grand Feuilleton Passionnant de la Faillite Globale (GFPFG) :

- Interrogé récemment au Congrès sur la question de savoir s’il voulait bien fournir quelques indications au sujet de ce que la FED avait fait de la modique somme de 8 700 milliards de dollars (rachat de titres plus ou moins pourris, en partie revendus, en partie toujours en stock, par la FED, pour sauver les grandes banques de Wall St.), le big boss de cette vénérable institution (soyons poli), monsieur Bernanke (meilleur comique de sa génération), a répondu, avec son urbanité et sa concision coutumières : « No » (point). Pour apprécier le propos comme il se doit, signalons que la somme en cause représente à peu près 16 fois la dette publique grecque totale telle que recalculée par les Teutons. Franchement, mister Bernanke, pour ce prix-là, vous auriez pu arrondir à 9 000 milliards et filer un pourboire aux Grecs, non ?

  • Dans le cadre de sa géniale démarche visant à résoudre la quadrature du cercle financier par la magie de la « swift action on economy », le Président américain des USA appointé par Wall Street pour achever les USA, monsieur Obanania Obama, a récemment démontré une capacité très relative à redresser les comptes publics de la première (?) puissance mondiale. Aux dernières nouvelles, le déficit public des USA devrait avoisiner 1 900 milliards de dollars (presque 6 fois le PIB de la Grèce), et la dette publique US, rapportée au PIB américain (lui-même calculé comme on sait, c’est-à-dire n’importe comment) pointera probablement vers 2012 au niveau actuel de la dette grecque rapportée au PIB de la Grèce (lui-même dépendant en partie du pouvoir d’achat des touristes américains). Je ne veux pas dire par là que les Grecs ne sont pas dans la m… Je veux dire que leur m… est minuscule par rapport à d’autres.
  • Dans ces conditions, il est assez comique de lire, dans la presse anglo-saxonne, une vertueuse condamnation de l’économie grecque financée par la dette alors que sa balance commerciale est ultra-déficitaire. D’autant plus comique, d’ailleurs, que la Grande-Bretagne (très sourcilleuse en ce moment s’agissant de la vertu des finances publiques dans la zone euro) est, on le remarquera au passage, en train de rattraper la Grèce à une vitesse impressionnante. Avec une croissance négative de l’ordre de 5 % en 2009, une dette publique avoisinant 70 % du PIB (+ 18 % en un an, à ce rythme-là, la Grèce n’a qu’à bien se tenir), un déficit commercial de 120 milliards de dollars (6 % du PIB, et encore, les importations s’effondrent) et un endettement des ménages faramineux (140 % du revenu disponible), la Grande-Bretagne est à peu près autant en faillite que la Grèce – pour l’instant, ça ne se voit pas parce que la City continue à prêter au pays qui l’héberge, mais ça ne durera pas, la City elle-même devant pour finir faire faillite (c’est ce qui arrive quand on prête à des gens qui ne peuvent pas rembourse.
  • Enfin, cerise sur le gâteau, signalons que la vertueuse (tout est relatif) Allemagne ferait bien, plutôt que d’embêter les Grecs (les pauvres), de s’occuper de ses oignons. Par exemple, pour aider à soulager les petits Grecs, Berlin pourrait s’intéresser de près, disons, aux petites combines de la Deutsch Bank. La Deutsch Bank a joué un rôle clef dans la faillite de sa partenaire IKB, en 2007. Où l’on découvrirait que cette faillite fut due à l’implosion d’une filiale spéculative basée en Irlande, avec à la clef une impasse de 13 milliards d’euros (pour la petite histoire, il semble que cette addition faramineuse ait été cumulée par une société au capital de 500 euros – en matière de ratio dettes/capitaux propres, un record du monde). Où l’on s’apercevrait encore que c’est la Deutsch Bank qui a entraîné IKB dans cette aventure, avant de la laisser tomber comme une vieille chaussette. Où l’on réaliserait par là-dessus (le monde est bien fait) que la Deutsch Bank est, pour l’essentiel, un faux nez de Wall St. On suggère donc aux autorités de Berlin de dire aux anciens de l’aventure IKB de demander à la Deutsch Bank d’exiger de ses partenaires à NY qu’ils filent les 13 milliards aux Grecs pour qu’ils remboursent ce qu’ils doivent aux Allemands. Déjà, ce serait un début. Si on fait la même chose avec tout le fric que la haute finance d’Outre-Rhin, consanguine à celle d’Outre-Atlantique, a pompé dans les bas de laine teutons et autres, on trouvera sans problème de quoi sauver la Grèce.

Tout ceci pour dire que décidément, à l’échelle du GFPFG, la Grèce, c’est roupie de sansonnet.

Ici, une question se pose : étant donné que c’est tout le système financier international qui est en train d’imploser dans la joie et la bonne humeur, pourquoi la focalisation médiatique sur le micro-problème posé par l’ultra-fantaisiste mais très modeste finance athénienne ?

A cette question, il y a trois réponses.

UN. Parce que la Grande-Bretagne et les USA sont entrés dans une année électorale, et que, dans ces conditions, la presse aux ordres de ces pays ruinés a besoin de donner l’illusion aux populations que certes, chez eux, ça va mal, mais ailleurs, c’est pire. Explication sans doute en partie valable (surtout en Grande-Bretagne, cette petite île en train de couler qui continue à croire qu’elle est le centre du monde). Mais insuffisante. Il y a d’autres raisons, plus sérieuses.

DEUX. Parce que s’il y a des liquidités en abondance (et pour cause, ça fait deux ans que les banques centrales en répandent à tout va), même cette énorme masse de liquidités ne peut pas saturer l’incroyable trou noir de la dette globale. Pour dire les choses en gros, il y a dans le monde occidental au moins une fois et demi la quantité de liquidités nécessaire pour faire tourner la machine économique, mais sans doute à peine la moitié de la quantité qu’il va falloir injecter pour rembourser (en monnaie de singe) les dettes accumulées par trois décennies de laxisme monétaire (et encore, ça, c’est sans compter les produits dérivés – si on compte les dérivés, enfin non, mieux vaut ne pas compter…). Dans ces conditions, la chasse au capital est ouverte. Tous les moyens vont être bons pour en ramener chez soi, et plus particulièrement à Londres et New York. D’où la gourmandise des médias anglo-saxons pour tout ce qui peut pousser le capital à s’éloigner de l’Euroland. D’où l’intérêt, pour ces médias, de zoomer sur la crise grecque, annonciatrice d’une (possible) explosion de l’eurozone (1). Ça permet un redressement momentané du dollar (mais pas de la Livre Sterling, le cas est désespéré). (2)

TROIS. Parce que la Grèce est, peut-être, un laboratoire. Si l’on admet l’hypothèse un tantinet paranoïde que j’ai longuement développée dans mon livre « Crise ou coup d’Etat ? » (en vente sur ce site, pub), à savoir que l’intelligence émergente des marchés financiers a, de manière plus ou moins planifiée, plus ou moins spontanée, pris appui sur le krach pour déclencher un coup d’Etat global invisible, alors l’issue de la dépression, dans l’esprit des dirigeants, doit être l’écrasement des peuples. Sous cet angle, la dynamique grecque (mise en faillite, plan de rigueur, troubles sociaux, durcissement sécuritaire) est un cas d’école. Et ce que l’on incube là-bas, c’est l’ingénierie sociale qui permettra, le moment venu (et il viendra) de manger tout l’Occident à la sauce grecque. Ceci expliquerait que l’Allemagne, une fois de plus, endosse l’uniforme du flic européen sans trop rechigner (« Tu parles comme les méchants dans les films de guerre, alors tu vas faire le méchant » - « Jawohl, Onkel Sam ! »). En ce sens, le zoom sur la Grèce serait, pour les médias, un moyen de préparer psychologiquement les populations (espagnoles, italiennes, anglaises, américaines, françaises, allemandes – dans cet ordre ou à peu près) à ce qui va bientôt leur arriver. Sur le thème : regardez, on l’a fait aux Grecs, ils ont gueulé, on leur a fait quand même, c’est comme ça et puis c’est tout.

Trois explications qui, au demeurant, peuvent très bien être vraies toutes les trois.

( 1 ) Le différentiel de taux entre les bons du trésor grecs et allemands se tendant jusqu’au point où, pour se financer, l’Etat grec n’aurait plus d’autres solutions que de sortir de l’euro.

( 2 ) Soit dit en passant, le calcul des anglo-saxons est facilité par une paradoxale convergence d’intérêt avec les poids lourds européens. Les premiers ont besoin de capital, les seconds trouvent très bien que l’euro baisse un peu, c’est mieux pour les exportations. Ironie de l’histoire et complexité des stratégies croisées.

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