Gilead marque un point décisif. Le laboratoire américain a signé un contrat d’approvisionnement en traitements anti-Covid 19 avec la Commission européenne. Un choix qui interpelle, le remdesivir n’ayant pas montré de résultats probants lors d’essais cliniques « randomisés ». Une affaire qui pourrait nuire à l’image de l’UE.
Fin de partie pour la chloroquine du professeur Raoult ? La Commission européenne a tranché : face au Covid-19, les citoyens européens seront traités au remdesivir, l’antiviral et produit-phare de la société pharmaceutique américaine Gilead.
Mercredi 29 juillet, l’organe exécutif de l’Union européenne a annoncé avoir signé la veille un contrat d’approvisionnement médical avec la firme californienne (immatriculée dans le paradis fiscal du Delaware). Ainsi, à partir du mois d’août, 30 000 patients dans l’Union – et au Royaume-Uni – pourront-ils recevoir un traitement au Velkury, le nom commercial du remdesivir.
La Commission a signé hier un contrat avec @GileadSciences afin de garantir l'accès de l'Union au Remdesivir.
Le Remdesivir est le 1er traitement autorisé contre la COVID19, mis sur le marché il y a moins d'un mois → https://t.co/OSlnCB0RWd#StrongerTogether @SKyriakidesEU pic.twitter.com/WBbsllTHCB
— Commission européenne (@UEFrance) July 29, 2020
L’Union européenne aurait « travaillé sans relâche » avec le laboratoire US ces dernières semaines, assure Stella Kyriakides, la nouvelle commissaire européenne à la Santé et à la Sécurité alimentaire. 63 millions d’euros ont ainsi été déboursés, soit 2100 euros par patient. Un tarif en adéquation avec celui fixé fin juin par la firme pour les pays développés, à savoir 2340 dollars facturés par patient aux systèmes de santé nationaux contre 3120 dollars aux assureurs privés. Concrètement, le laboratoire facture 390 dollars le flacon dans le cas de l’UE, et le traitement se compose de six flacons à injecter sur cinq jours. Cependant, il faut en moyenne 6,25 flacons par patient. Pas sûr donc que les 30 000 traitements achetés par Bruxelles servent réellement à 30 000 patients.
Cette tarification est estimée 10 fois supérieure au prix raisonnable (310 dollars) d’un traitement, au regard de sa modeste utilité thérapeutique, selon l’Institute for Clinical and Economic Review (ICER). Mais cela n’a pas empêché le gouvernement des États-Unis de racheter fin juin 92 % des stocks mondiaux de l’antiviral phare de Gilead, soient 500 000 traitements.
Gilead, roi du pricing
Le prix de 2340 dollars n’a pas manqué de susciter la polémique aux États-Unis, du magazine économique Forbes, qui le juge « scandaleux », au mensuel pro-démocrate Wired, qui s’interroge sur la justification d’un tel prix pour un traitement dont « le coût de production est d’environ 10 dollars », en passant par les opposants à Donald Trump qui ont vertement fustigée cette « aubaine » offerte à la firme pharmaceutique. La polémique n’a pour l’heure pas atteint la France.
Pourtant, dans l’Hexagone, le laboratoire américain avait déjà défrayé la chronique lorsqu’en 2014 il avait facturé à la Sécurité sociale son dernier traitement contre l’hépatite C (Sovaldi) à plus de 41 000 euros par patient. Bien qu’il ait depuis baissé ses prix, Gilead propose pas moins de quatre traitements contre l’hépatite C, allant de quelques milliers à plusieurs dizaines de milliers d’euros, notamment grâce au rachat de ses concurrents sur le marché. Un beau pactole… puisque la France compte à elle seule 130 000 infectés à l’hépatite C.
Des essais cliniques… peu concluants
Pire encore que le prix, le plus gênant dans toute cette affaire reste sans nul doute les résultats jusqu’à présent peu probants de l’antiviral de Gilead contre le Covid-19. Un premier essai « randomisé » (c’est-à-dire avec un panel de patients recevant le traitement et un autre recevant un placebo, afin de pouvoir comparer leurs taux de guérison et de mortalité) aurait démontré que le « remdesivir […] n’améliore pas l’état des malades et ne réduit pas la présence de l’agent pathogène dans le système sanguin », relève le quotidien britannique The Financial Times. Une étude dont les résultats auraient été publiés « par erreur » par l’OMS fin avril, qui les retira rapidement de son site Internet. Le laboratoire – dont l’action en bourse a souffert de cette publication – riposta en la qualifiant de « prématurée », l’étude portant selon la firme sur un échantillon trop restreint de patients.
Généralement désigné comme « l’essai chinois » dans la presse, celui-ci n’est pas à intégrer dans la compétition que mènent les États dans la recherche d’un traitement au coronavirus, puisque cet essai clinique fut effectué en Chine par Gilead Sciences lui-même.
Par la suite, les Instituts de santé américains (NIH), après un essai sur 1063 patients hospitalisés avec une détresse respiratoire, ont annoncé à la mi-mai que le remdesivir permettait une récupération plus rapide des patients graves (11 jours au lieu de 15), sans pour autant sauver plus de vies… « La mortalité du groupe de patients traités par remdesivir était de 8 %, contre 11,6 % dans le groupe témoin ; une différence trop faible pour exclure que ce soit le fruit du hasard » synthétisait la RTBF.
Cette parution poussa néanmoins les autorités américaines à approuver le 1er mai le médicament de Gilead. Notons que d’un point de vue américain, au vu des frais d’hospitalisation, la possibilité pour les patients de rester quatre jours de moins à l’hôpital amortit largement le coût du traitement.
Régulièrement, le laboratoire américain communique sur les « résultats encourageants » qu’il obtiendrait avec le remdesivir, prenant le soin de souligner que ceux-ci restent néanmoins à vérifier par une étude. Des annonces qui ne manquent pas de doper son cours en bourse. L’entreprise a aussi tendance à racheter ses propres actions pour en faire monter la valeur avant de les revendre, le régulateur boursier de Wall Street garde un œil vigilant sur la compagnie.
Lobbying anti-hydroxychloroquine ?
S’ajoutent à cela les nombreuses polémiques autour des traitements incluant de l’hydroxychloroquine. En effet, le coûteux remdesivir fut présenté comme l’antithèse de ces traitements à bas coût. Une bataille du pot de terre conte le pot de fer qui a fait naître de nombreux soupçons de conflits d’intérêts vis-à-vis des critiques du traitement promu notamment par le professeur Didier Raoult. En France, Karine Lacombe, l’un des principaux détracteurs de la méthodologie du professeur marseillais avait d’ailleurs, à diverses occasions, touché d’importantes sommes d’argent et avantages du laboratoire américain. D’autres allèrent visiblement plus loin que le combat médiatique :
« Quand j’ai commencé à parler pour la première fois de la chloroquine, il y a quelqu’un qui m’a menacé [de mort, ndlr] à plusieurs reprises de manière anonyme, j’ai porté plainte et j’ai fini par trouver que c’était celui qui a reçu le plus d’argent de Gilead depuis six ans », accusait l’épidémiologiste devant la Commission d’enquête parlementaire sur la gestion de la crise du Covid-19.
Celui-ci avait d’ailleurs, lors de son audition devant ladite commission, le 24 juin dernier, accusé les adversaires de l’hydroxychloroquine de conflit d’intérêt avec Gilead Sciences. L’épidémiologiste avait ainsi appelé les députés à enquêter sur le lobbying de Gilead Sciences afin d’imposer le remdesivir. Quelques semaines plus tôt, lorsque le scandale de la manipulation des chiffres de l’étude publiée dans la célébrissime revue médicale The Lancet éclata, des regards se tournèrent vers Gilead, soulignant notamment des actionnaires communs au laboratoire et à la revue.
Le remdesivir ne soigne pas. Pire, il cause des insuffisances rénales : sur les 5 premiers patients traités par ce médicament à l'hôpital Bichat @APHP, 2 ont été mis sous dialyse.
Quand aura-t-on les résultats de Discovery ?
Qu'attend l'OMS pour réagir ? https://t.co/Z92kZ3AdZJ— Didier Raoult (@raoult_didier) July 9, 2020
« Le remdesivir ne soigne pas, accuse Didier Raoult. Pire, il cause des insuffisances rénales », avait-il par la suite accusé sur les réseaux sociaux. De son côté, l’INSERM estime « prometteuse » l’association du remdesivir combinaison avec le Diltiazem, un antihypertenseur utilisé dans le traitement de l’angine de poitrine.
Bras de fer pro-remdesivir et pro-hydroxychloroquine
Développé depuis 2009, le remdesivir était initialement destiné à lutter contre l’hépatite C. S’avérant inefficace, il fut redirigé contre les virus Ebola et de Marburg, deux agents infectieux de la famille des Filoviridae provoquant des fièvres hémorragiques. Les recherches ne purent aboutir, faute d’épidémie, mais la firme américaine aurait découvert par la suite que son médicament avait « une activité antivirale à large spectre ». Bien qu’il ait été écarté des traitements en Italie et en Chine, où il fut testé lors du pic épidémiologique, il est pour l’heure le seul traitement homologué depuis un mois contre le Covid-19 au niveau européen.
Du côté des traitements reprenant de l’hydroxychloroquine, certains chiffres interpellent, comme celui de la mortalité dans les services de réanimation. Ainsi, à l’AP-HP (Assistance publique hôpitaux de Paris), 43 % des patients admis sont morts, contre 16 % à l’IHU de Marseille dirigé par le désormais célèbre professeur Didier Raoult.