Les préjugés de l’économie dominante ont trouvé récemment deux hérauts, MM. Cahuc et Zylberberg. Dans un livre qui vient de sortir, ils assimilent toute pensée hétérodoxe à un « négationnisme économique » [1].
Passons sur l’usage odieux du terme « négationnisme », qui vise à assimiler tous ceux qui ne partagent pas ces dits préjugés à ceux qui nient les génocides. Cet usage discrédite largement ces deux auteurs et la thèse qu’ils prétendent défendre. Mais, on trouve chez eux surtout un profond mépris pour l’épistémologie et la méthodologie de l’économie. De nombreux économistes se sont d’ailleurs élevés contre la méthode et les arguments de ces deux énergumènes [2]. On retiendra le texte d’André Orléans à cet égard [3]. De fait, ce débat, si l’on peut parler de « débat » en l’occurrence, rejoue mais de manière bien plus violente celui de 2000, qui avait donné, suite à un véritable soulèvement des étudiants en sciences économiques, naissance à l’association Post-Autistic Economics qui s’est depuis transformée en une association mondiale (la World Economics Association) et qui publie une revue en ligne, la Real-World Economics Review [4]. J’ai publié de nombreux textes sur la méthodologie de l’économie, qu’il s’agisse de livre (comme Les trous noirs de la science économique [5]) ou d’articles [6]. Il y a donc largement une sensation de « déjà vu » dans ce débat, surtout en raison du niveau lamentable des arguments utilisés par Cahuc et Zylberberg.
Les « préjugés » ont donc une large place dans ce que l’on appelle la « science économique », et ne sont pas l’apanage des courants hétérodoxes, bien au contraire. Ils définissent une large part de la représentation traditionnelle des problèmes économiques, en en particulier son modèle de comportement de « l’hommo oeconomicus » [7]. Dans l’autodéfinition de cette discipline, telle qu’elle est pratiquée par les économistes du courant « orthodoxe » ou « standard », on peut en effet voir les effets d’un coup de force datant du XIXème siècle avec Léon Walras, qui prétend établir en « science » ce qui n’est que la transposition d’une vieille conception de la mécanique et de la physique [8]. En fait, il y a des démarches scientifiques, dont il faut définir les conditions, plus qu’il n’y a de science au sens normatif. Ceci implique une discussion sur les bases méthodologiques, terrain qu’évite soigneusement l’économie dite dominante et ses « théoriciens » [9]. Cette dernière développe alors des stratégies d’évitement et de contournement pour refuser de se confronter à la réalité, et ces stratégies ne sont ni neutres ni fortuites.
1. La très grande fragilité de la thèse de la « validation statistique » de modèles profondément idéologiques
La question de la validation d’une théorie par des vérifications statistiques soulève de nombreux problèmes, tant épistémologiques et méthodologiques, que techniques. Or, c’est bien cette validation dont se réclament Pierre Cahuc et André Zylberberg, sans savoir ce qu’ils manipulent en réalité comme notions et comme problèmes.