Le journaliste François Bugingo a inventé de toutes pièces plusieurs reportages internationaux. Lesquels sont vrais, lesquels sont faux ? Notre enquête.
C’est « l’un des moments les plus douloureux » que François Bugingo ait « jamais vécu dans [sa] carrière de journaliste et de témoin de toutes les guerres qui ont endeuillé le monde dans les 20 dernières années ».
À Misrata, en Libye, « l’un des tortionnaires les plus zélés du régime du dictateur Kadhafi » est sur le point d’être exécuté par des miliciens triomphants. L’homme, menotté, dégage une odeur fétide : sans doute s’est-il fait dessus. Son visage est boursouflé des coups qu’il a reçus. Alors que des combattants surexcités l’entraînent vers son lieu d’exécution, il se tourne vers François Bugingo et lui crie : « I hate the bad man the Guide made of me [1] ».
Cette histoire a été relatée par François Bugingo lui-même dans son blogue, hébergé sur le site Internet du Journal de Montréal, le 11 février 2014. Une scène d’une grande violence, sûrement douloureuse pour tout journaliste qui aurait eu le malheur d’y être confronté.
Le problème, c’est que François Bugingo n’a jamais mis les pieds à Misrata. Il n’a jamais vu un tortionnaire du régime Kadhafi sur le point de se faire exécuter par des milices rebelles en Libye.
Il n’a pas davantage trinqué avec les tireurs d’élite serbes de Sarajevo en 1993 ;
Il n’a pas négocié la libération d’un journaliste otage avec des terroristes d’Al-Qaïda en Mauritanie en septembre 2011 ;
Il n’était pas représentant de la Commission européenne auprès du ministre égyptien de l’Intérieur au Caire, en février 2011 ;
Il n’était pas à Mogadiscio, en Somalie, le 4 août 2011.
François Bugingo a pourtant publiquement prétendu tout cela, au cours des dernières années, aux micros de différents médias – y compris ceux de La Presse, de Radio-Canada, de TVA, de Télé-Québec, du Devoir, du 98,5fm et du Journal de Montréal. Le reporter dispose d’une large tribune au Québec. Notre enquête démontre toutefois que ses faits d’armes journalistiques sont parfois très romancés, quand ils ne sont pas carrément faux.
Dans le cas de Misrata, François Bugingo a lui-même nié s’y être rendu, au cours d’une longue entrevue avec La Presse, le 15 mai dernier : « Non, je ne suis pas allé à Misrata », a-t-il dit. Lorsque nous avons évoqué la « douloureuse » scène du tortionnaire bientôt mis à mort par les milices de la ville, le journaliste a continué à nier : « Non, non, non. J’ai dû le lire quelque part. »
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