Jérôme Kerviel couche depuis hier soir, dimanche 18 mai, en prison. Mais le destin individuel de cet ancien trader de la Société générale est devenu aujourd’hui politique. Kerviel a reçu le soutien des autorités de l’Église catholique et de personnalités aussi opposées que Jean-Luc Mélenchon et Marine le Pen en passant par Nicolas Dupont-Aignan. C’est assez dire que son destin est devenu emblématique.
Kerviel fait partie de ces traders qui étaient engagés dans des activités d’arbitrage, comme il y en a dans toutes les banques. Il a excédé ses limites d’opération et, quand il a commencé à perdre il a, réflexe de joueur, redoublé ses mises pour effacer ses dites pertes. Bien entendu, ces dernières sont devenues astronomiques… Il ne fait aucun doute qu’il est allé au-delà de ses limites, ce qui constitue un délit, et qu’il a délibérément cherché à camoufler cela à ses supérieurs, ce qui constitue un second délit. Mais, il ne fait aussi aucun doute que les dits supérieurs de Kerviel se doutaient largement de ses opérations, et n’y trouvaient rien à redire tant qu’il était gagnant. Le problème est que cela n’est pas « prouvable » dans l’enceinte d’un tribunal, même si, connaissant les milieux du trading et les pratiques, y compris à la Société Générale, je n’ai aucun doute sur ce point. En cela, son cas est effectivement emblématique.
Le cas Kerviel est aussi emblématique de l’atmosphère qui régnait, et qui règne encore, dans les salles de trading des grands établissements financiers. Un système de primes calculées sur les marges bénéficiaires des opérations pousse des individus jeunes à prendre des risques de plus en plus grands. Les banques connaissent pertinemment les risques qui seront pris dans ces opérations, mais elles estiment que ces risques valent la peine d’être pris car ils contribuent à faire monter les bénéfices et, en cas de pertes, ces pratiques fournissent des boucs émissaires tout trouvés. Les dirigeants de la Société générale qui se drapent dans les principes bancaires pour condamner leur ancien employé font ainsi la démonstration d’une hypocrisie et d’un cynisme sans égal.