Concert d’indignation, éructation de la gestapo droitdelhommiste, etc. Aucun intérêt.
Positivons : cette guignolade obscène me donnera l’occasion d’exposer mes idées sur le sujet.
Les chambres à gaz, détail de l’Histoire ? Peut-on donner raison à Le Pen ?
Sur le plan des résultats purement matériels du processus d’extermination, c’est effectivement un élément annexe, non essentiel. Le fait est que si les gens avaient été fusillés au lieu d’être gazés, ils seraient morts quand même. Si Le Pen, par « point de détail », veut parler uniquement des conséquences pratiques associées au modus operandi, il est difficile de lui donner tort.
Sur le plan quantitatif, cependant, il est moins évident qu’on puisse parler de détail – au sens minoratif du terme, cette fois. La Seconde Guerre Mondiale a fait presque 60 millions de morts. On estime qu’environ 11 millions de personnes sont mortes dans le système concentrationnaire nazi. La machine concentrationnaire compte tout de même pour 20 % des pertes. C’est un point d’Histoire significatif, qui renvoie à un phénomène de grande ampleur. Si Le Pen veut parler de « détail » au sens minoratif du terme, il a tort.
On m’a dit que certain dictionnaire français fut modifié, dans les années 90, pour inclure désormais ce sens minoratif. A croire qu’on a changé le sens des mots pour donner tort à Le Pen !
Bref, peu importe.
Reste la vraie question : l’aspect symbolique. C’est ça qui vaut ses ennuis à Le Pen, et c’est d’ailleurs pour ça aussi qu’il dit ce qu’il dit, s’il sait ce qu’il fait.
Auschwitz fut une Apocalypse, c’est-à-dire une révélation. Là-bas, en Pologne, la technique régnante a trouvé son aboutissement, comme pour avertir les hommes à travers les Juifs, les Tziganes, les réprouvés, les faibles, agneaux sacrifiés aux insatiables idoles. Le projet sous-jacent a affleuré à la surface du mythe, on a vu ce qu’il y a sous la croyance naïve dans un progrès technologique indéfini : la machine a détruit l’homme humble, pour que triomphe l’homme de péché. Gros plan sur la bouche obscène du cannibale. L’exploitation dans sa nudité.
Or, cette nudité est incandescente. Elle répand une lumière si violente, si crue, que ceux qui la contemplent en sont comme aveuglés – et c’est bien pour cette raison que certains l’exhibent à tout bout de champ : pour aveugler ceux à qui l’on montre sans pudeur la chose innommable. Parler des chambres à gaz est aujourd’hui devenu une stratégie du pouvoir. Parler des chambres à gaz est, pour les chiens du garde du Capital, un moyen de ne pas parler de la régression sociale qui traverse l’Occident. Parler des chambres à gaz est, pour le pouvoir français, un moyen de ne pas parler du Rwanda. Parler des chambres à gaz est, pour le pouvoir américain, un moyen de ne pas parler de l’Irak. Parler des chambres à gaz est, pour certains sionistes, un moyen de ne pas parler de la Palestine.
Ce qui rend le sujet brûlant, ce qui fait qu’on ne peut pas parler de détail, c’est donc l’instrumentalisation cynique qui est faite de la symbolique auschwitzienne. Comment rendre compte de ce crime sur le crime ?
Pour en parler avec, disons, la distance requise, j’ai bien envie de citer l’Apocalypse, le chapitre XIII, verset 14. D’ailleurs, c’est le passage que nous avons mis en exergue à Eurocalypse.
« Et elle (la bête montée de la terre) séduisait les habitants de la terre par les prodiges qu’il lui était donné d’opérer en présence de la bête, disant aux habitants de la terre de faire à la bête une image qui avait la blessure de l’épée et qui vivait. »
Petit décodage.
Dans la symbolique apocalyptique, « la terre » désigne le peuple juif, « la mer » désigne les nations.
« La bête qui avait la blessure de l’épée et qui vivait » désigne la bête montée de la mer, qui a le pouvoir de vaincre les saints et de régner sur les nations. La blessure de l’épée qui frappe la bête montée de la mer est la marque que l’Antéchrist s’impose pour simuler la Passion, afin de se substituer au Christ.
Tout simplement.
MICHEL DRAC