Le documentaire date de 2008 et depuis quelques années, les médias n’en parlent plus : le mariage blanc est sorti de l’actualité. L’immigration clandestine massive aurait-elle changé la donne ? Les dizaines de milliers de clandestins qui entrent chaque année frauduleusement dans notre pays ont-ils encore besoin de Françaises crédules ou désargentées pour obtenir des papiers ?
Apparemment, oui, et plus que jamais ! Les filières de mariages truqués existent toujours, et se sont même adaptées depuis que l’administration française a augmenté sa vigilance.
L’article de Valeurs actuelles qui suit date de 2017.
Le nombre de mariages blancs et gris explose dans notre pays. Certains étrangers en situation irrégulière se révèlent prêts à tout pour obtenir la nationalité française ou un titre de séjour.
Elle est âgée de 43 ans, tunisienne, et suit son troisième master en France grâce à plusieurs visas d’étudiant. Il a 21 ans, de nationalité tunisienne lui aussi, mais sans papiers. Sana et Jalil (les prénoms ont été changés) seraient ensemble depuis deux ans et, éperdument amoureux, souhaiteraient se marier, « pas pour les papiers, on s’en fiche, ça ne changerait rien », assure le couple. L’officier de l’état civil les reçoit dans le cadre des auditions préalables aux unions. Il doit détecter les éventuels mariages frauduleux, contractés dans le but d’obtenir des avantages fiscaux, successoraux ou… un titre de séjour — situation la plus fréquente. Tel un détective, le fonctionnaire, muni de son questionnaire, interroge séparément les candidats au mariage pendant trente minutes.
Coût moyen de l’enquête pour l’État : 800 euros
Problème : selon que l’on s’adresse à Sana ou Jalil, le scénario de la soirée de la veille diverge, tout comme le récit du réveillon du Nouvel An. Concernant l’anniversaire de sa compagne, Jalil, dans un français approximatif, persiste et signe : ils l’ont fêté ensemble. Pourtant, Sana explique à l’officier qu’elle était en Italie à ce moment-là. Même difficulté quand il s’agit d’évoquer leur vie commune : l’un explique qu’ils ont chacun leur appartement, quand l’autre affirme qu’ils vivent ensemble depuis un an. Sana sort du bureau, désemparée par la précision des questions qui lui ont été posées. Jalil est plus optimiste :
« Il y a des choses que j’avais oubliées, j’ai menti parfois aussi, mais je pense que les petits mensonges, ça passera ! »
Échec : à la fin des entretiens, le couple apprend que l’officier s’oppose à l’union. Sana et Jalil peuvent encore faire marche arrière et revenir sur leur projet matrimonial. Dans le cas contraire, le dossier sera transmis au procureur qui a le pouvoir d’autoriser l’union ou, au contraire, d’ouvrir une enquête de police et de surseoir au mariage. Coût moyen de l’enquête pour l’État : 800 euros.
À Paris, à la mairie du XVe arrondissement, Jean-Manuel Hue, adjoint au maire, se charge de ces auditions depuis plus de dix ans avec, à son compteur, près de 1 000 effectuées. Son cheval de bataille : détecter le mariage blanc — entente illicite moyennant rémunération entre deux personnes en vue de se marier et de pouvoir séjourner légalement en France — ou le mariage gris — escroquerie sentimentale de la part de l’époux de nationalité étrangère pour se marier et obtenir là encore un titre de séjour français.
« Ces derniers mois, les demandes de mariage entre Français et personnes en situation irrégulière battent des records ; en trois mois, j’ai procédé à 39 convocations », confie-t-il.
Même son de cloche à Saint-Gratien (Val-d’Oise), commune de 22 000 habitants, où la maire, Jacqueline Eustache-Brinio, tire le signal d’alarme : elle a réalisé ces trois derniers mois plus d’auditions que sur une année entière.
À l’approche de la présidentielle, des candidats au titre de séjour craignent que les conditions d’obtention de celui ci se durcissent. Ils accélèrent donc l’organisation de l’union, idéalement avec un ou une Français(e). Les filières jouent les wedding planners (agences matrimoniales), avec des tarifs variant selon le pays d’origine : 8 000 euros lorsqu’on vient d’Afrique subsaharienne, autour de 15 000 euros pour un Algérien ou un Tunisien et près de 30 000 euros pour un Chinois. L’argent est ensuite réparti entre la filière et l’époux français.
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En 2014, l’adjoint au maire a été agressé physiquement au cours d’une audition, alors qu’il relevait les incohérences dans les réponses d’un Français « en couple » avec une Tunisienne, de 40 ans sa cadette. Au cours de l’enquête, les policiers trouveront chez le couple plusieurs questionnaires types sur leur vie commune, des faux papiers ainsi qu’un chèque de 1 500 euros de madame pour monsieur. Depuis cette mésaventure, deux agents de sécurité, postés dans le couloir lors des auditions, dissuadent les couples coléreux de passer à l’acte.