Alors que le père de Tintin est célébré au Grand Palais, la rumeur réapparaît. Il aurait été collabo, raciste et sexiste. Mille sabords. Qu’en est-il ?
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Quand il a rejoint le quotidien belge Le Vingtième Siècle pour lequel il a créé Tintin en 1929, Georges Remi (le vrai nom d’Hergé) était un blanc-bec de 18 ans, tout frais émoulus des scouts. Peut-on affirmer qu’il était intellectuellement assez charpenté pour partager les orientations politiques très droitières (antiparlementarisme, antisémitisme, catholicisme ultra-conservateur) de son employeur ? C’est excessif.
Il est certain que l’influence du très charismatique patron du Vingtième Siècle, l’abbé Wallez a été considérable sur le jeune Belge sans bagage scolaire. Mais rien ne permet d’affirmer qu’il était 100 % raccord avec l’idéologie nauséabonde de Wallez, grand admirateur de Mussolini.
En revanche, une dizaine d’années plus tard, en 1940, quand les Allemands occupent la Belgique, Hergé a 33 ans et déjà sept albums à son actif, qui ont connu un relatif succès. C’est un homme marié et relativement prospère. Qu’il fasse des pieds et des mains pour intégrer Le Soir, quotidien réquisitionné par les nazis, lesquels ont placé des journalistes collaborationnistes à sa tête, n’est pas du meilleur effet.
Avec un peu d’indulgence, on pourrait songer qu’il ne s’agit que de l’opportunisme d’un artiste obsédé par la réussite sociale, qui a trouvé là une tribune parfaite pour élargir son audience… Mais une lettre de juillet 1941 ne laisse pas de doute sur son engagement :
« Je ne suis ni germanophile, ni anglophile. J’avoue cependant que la notion d’"ordre nouveau" me plaît. (…) Même si l’Allemagne choisissait [de nous réduire en] esclavage, j’aurais au moins la conscience tranquille, et je pourrais me rendre cette justice (…) que je n’aurais rien fait pour empêcher cette collaboration de se réaliser ».
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Dernière pièce à charge au dossier Hergé : il aurait pu, sous l’Occupation, se contenter de publier des BD géniales et apolitiques. Mais son antisémitisme lui souffle quelques caricatures qui passent mal : celle de Blumenstein, le méchant juif au nez crochu et lèvres charnues de L’Étoile mystérieuse, tout comme Isaac, l’horrible usurier israélite se réjouissant de la fin du monde dans le même album : « Hé ! Hé ! Ce serait une bonne bedide avaire, Salomon. Che tois 50.000 Frs à mes vournizeurs… » Ajoutons un dessin aussi lourdement « stéréotypé » produit sous l’Occupation dans un recueil de fables pour enfants dont la morale est « Un juif trouve toujours plus juif que lui ».
Jusqu’à la fin de sa vie, Hergé invoquera « les histoires juives » – l’humour juif, en somme – pour justifier ce droit à la caricature. Dans un pays, la Belgique, où sont distribuées les étoiles jaunes et où les rafles démarrent en 1942, on a le droit – même sans tomber dans l’anachronisme – de ne pas l’apprécier outre mesure.