Nous avons sélectionné trois extraits de l’article du Figaro sur les lectures de l’ancien président de la République François Mitterrand, décédé en 1996. Il possédait 20 000 volumes dans sa bibliothèque, et on peut penser que ce n’était pas que du décor, qu’il les avait tous lus.
« Si on lui doit la reliure d’une dizaine de titres signés par son mari, celle du Voyage en Italie de Chateaubriand ou du Rire de Bergson, elle s’est aussi occupée d’un ouvrage de Brasillach, Comme le temps passe, (“dos à nerfs et coins de maroquin rouge”), Rebatet, Les Deux Étendards, (“coins de maroquin noir”), Drieu, Drôle de voyage (“coins de maroquins havane”) ; on sourit en imaginant l’admiratrice de Castro encollant consciencieusement et sans sourciller le meilleur des écrivains de la collaboration. Son bibliophile de mari lui aura cependant épargné les écrits de Philippe Henriot. On ne trouve pas trace dans le catalogue de livres du propagandiste abattu par la Résistance, mais de deux poèmes autographes, dont l’un contient ce vers qui devait plaire à François Mitterrand : “Je songe quelquefois au destin qui vous ment”… »
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« Les lecteurs de L’Unité savaient-ils que pour Mitterrand le style, c’était tout. Les idées, peu de choses. On ne s’étonnera donc pas qu’il n’ait conservé dans sa dernière bibliothèque aucun livre de Zola, mais une quinzaine d’éditions originales de Barrès. C’est le paradoxe de ce fonds. Il contient le minimum de ce qu’un militant socialiste est en droit d’attendre de son champion : Jaurès et Blum, Jacquou le Croquant, et Hôtel du Nord. Si Sartre et Beauvoir sont absents, Duras est là, avec un envoi tout à sa manière : “Pour Danielle Mitterrand, pour François du même nom. De la part de la Marguerite de vos amis, Duras. François je voudrais faire un entretien avec vous où on se dirait des blagues et autres choses entre les blagues. Mais vous voudrez pas, alors”... »
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« En revanche, on y trouve une vingtaine de volumes de Montherlant. Et Chardonne, dont il avait réuni la plupart des ouvrages ; Chardonne, cette passion littéraire qu’il avait confiée à ses lecteurs : “Je ne sais comment Jacques Chardonne écrivait. Lentement en prenant sa respiration, j’imagine. De sa génération il reste pour moi le modèle ? Par esprit de clocher, j’imagine. Je suis né à quelques lieues de sa maison et me suis beaucoup promené près de la butte sablonneuse”. »
- Danielle admire François qui lit
Sans tomber dans la basse matérialité, si l’on suppose que le jeune François a commencé à lire sérieusement à 10 ans, et qu’il a lu jusqu’à sa mort à 80 ans, alors ça fait 70 ans de lecture, soit 25 550 jours. Nous divisons alors les 20 000 volumes par les 25 000 jours, et ça donne grosso modo un livre par jour. Ce qui n’est pas un exploit pour un amoureux de la littérature. Michel Drac a récemment fait une vidéo où il expliquait être un très gros lecteur, ce qu’il déconseillait par la même occasion !
Le Figaro est le seul quotidien sérieux en littérature. On en profite pour regretter la période Renaud Matignon, cette plume à l’humour scélérat, n’est-ce pas, qui qualifiait Max Gallo de « Malraux des campings », une trouvaille parmi d’autres qui figurent dans le recueil de ses chroniques La Liberté de blâmer... En face, Le Monde des Livres était dans les années 90 patronné par la désastreuse Josyane Savigneau, vous voyez le genre... Pur-sang contre bourrin, y avait pas photo.
Le Figaro est donc le mieux placé pour parler littérature, et Mitterrand étant un grand lecteur, et un bon écrivain, c’est tout naturellement que l’admiration sera réciproque. On sait comment Mitterrand savait charmer ses ennemis politiques, dont Louis Pauwels et, dans une moindre mesure, Jean d’Ormesson. Aujourd’hui la famille Mitterrand vend ces ouvrages de collection aux enchères et comme c’est du commerce, ça nous intéresse moins.
Alexis Brézet, qui a été le nègre du député FN Jean-Marie Le Chevallier et qui est aujourd’hui le patron des rédactions du Figaro (à 47’40) :
« C’est vraiment une bibliothèque d’homme de droite et souvent d’extrême droite, et quand on se dit qu’il a fait relier à Danielle Mitterrand dont on connaît les opinions, il lui faisait relier Brasillach, Comme le temps passe, roman pas mauvais, un peu démodé, Les Deux Étendards, Rebatet, grand roman, dont François Mitterrand disait, il y a deux sortes d’hommes, il y a ceux qui ont lu Les Deux Étendards de Rebatet et ceux qui l’ont pas lu ! Rebatet condamné à mort... Brasillach fusillé, Drieu La Rochelle... Donc c’est absolument inouï d’imaginer la militante de gauche et souvent d’ultragauche Danielle Mitterrand à qui il fait relier tous les auteurs d’extrême droite ! »