« Complotiste », le mot n’existe pas encore dans le Larousse français. Pourtant, il est devenu aujourd’hui un qualificatif on ne peut plus commun pour désigner ceux qui le plus souvent remettent en cause les versions officielles. De la genèse de l’utilisation de ce terme aux enjeux de compréhension des événements politiques, économiques et sociétaux actuels, penchons-nous sur une nouvelle façon de voir le monde, à la lumière des nouveaux moyens d’information.
Le complotiste, ce citoyen presque comme les autres
Vous le croisez surement tous les jours, mais vous le reconnaissez rarement. En effet, le premier attribut du complotiste est qu’il est discret. Vous ne le verrez jamais attablé à une terrasse de café, braillant à ses amis circonspects que le 11 septembre 2001 c’est la CIA ou encore que Chavez a été assassiné. Non. Le complotiste est un être discret, calme le plus souvent, observant avec attention le monde qui l’entoure et se questionnant sans cesse sur l’étrange maladie qui touche ses concitoyens, à savoir leur aversion profonde pour la réflexion.
Le complotiste n’est pas matérialiste, parce qu’il a compris la stratégie de la société de consommation et ses conséquences sur les peuples, sur les nations. Si vous discutez avec lui, le complotiste vous écoutera, mais vous coupera régulièrement la parole, exaspéré par ce qu’il considère être des incohérences majeures dans votre discours et une absence évidente de logique dans votre argumentation. Oui, c’est un défaut du complotiste, il pense avoir toujours raison. Il pense avoir toujours raison parce que lui, contrairement à d’autres, il lit, il s’informe partout où il le peut, la presse française, la presse étrangère, il lit les médias dominants, il lit la presse dissidente. Il lit absolument tout, il regarde tout et ensuite… eh bien il réfléchit.
Dernière chose, le complotiste se fout de la doxa, de l’opinion dominante, il pense en son âme et conscience, observant pour chaque sujet qu’il étudie une démonstration quasi mathématique : le postulat de départ, la démonstration, et la conclusion. Dans sa bibliothèque vous trouverez du Sartre, du Camus, du Bourdieu, du Chomsky, des livres des éditions La Découverte, Xénia, Kontre Kulture et bien d’autres encore car le complotiste ne discrimine pas les auteurs… sauf BHL, quand même !
La fourchette d’âge du complotiste n’a jamais été renseignée, et nous ne savons pas le pourcentage d’hommes et de femmes français qui sont à l’heure actuelle des complotistes. Il n’en demeure pas moins que pour reconnaitre un complotiste il vous suffira de lui demander ce qu’il pense de BFMTV. À ceci, s’il en est un, il vous répondra pour sûr : « BFMTV c’est de la merde, prend toujours l’inverse de leur information et tu auras la vérité. »
Complotiste, un terme devenu aujourd’hui nom commun
C’est après le 11 septembre 2001 et les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone que ce terme est véritablement apparu dans les discours des commentateurs d’actualités et des politiciens. Était alors complotiste celui qui remettait en cause la version officielle de ces attentats et qui par définition y voyait un… complot. Majoritairement la thèse en présence chez les complotistes du 11/09/2001 était qu’ils voyaient la main du gouvernement américain derrière les attaques et notamment celle de la CIA, dans le but de permettre au gouvernement Bush de l’époque d’orienter l’opinion publique américaine afin de légitimer une intervention militaire en Irak, et là on se souvient de son célèbre discours avec « l’Axe du Mal »…
Cela dit, il fut un temps ou être complotiste n’était pas si mal vu et je me souviens que lors de la sortie au cinéma du film W., on trouvait devant les salles obscures de certaines villes de provinces, des citoyens qui distribuaient des tracts sur lesquels était résumée assez grossièrement la thèse des complotistes. À cette époque, nous pouvions encore échanger cordialement entre complotistes, pro-américains et simples badauds qui passaient par là. Le côté exotique de l’opinion divergente ajoutait du piment aux discussions entre amis, collègues ou voisins. Chacun donnait son opinion, librement…
Mais petit à petit, les enjeux géostratégiques et géopolitiques évoluant, les politiques occidentales d’ingérence dans les pays du Moyen-Orient se sont durcies et les actes condamnables au regard du droit international aussi. Des voix ont commencé à s’élever, il a fallu les bâillonner. Trop dangereux pour la pérennité du projet impérialiste.
Donc, toute remise en cause d’un événement servant les politiques occidentales au détriment de vies humaines civiles ou plus largement du processus de paix dans certains pays devint, pour les journalistes – bras droit du pouvoir politique – du complotisme pur et dur, un truc grave genre virus H1N1, il fallait trouver le vaccin en urgence. Alors, perfusion de désinformation au 20h et sur les chaînes d’infos en continue, injection de « complotisme, ce truc d’illuminés » – une dose de cheval comme dirait l’autre, et procès permanents pour bien faire comprendre aux citoyens le côté illicite de la réflexion libre, ou quand réfléchir par soi-même devient un délit, on comprend que la lutte pour la liberté et la vérité vient véritablement de commencer.
Faire son choix entre presse d’État et presse indépendante
Entre presse d’État, financée et orientée, et presse indépendante, le complotiste a fait son choix. Consommateur de médias dits de « réinformation », on le trouve souvent sur Égalité & Réconciliation, Réseau Voltaire, MetaTV et certains autres médias étrangers (russes notamment), souvent bien plus objectifs que la soupe indigeste de la presse française.
En France il y a d’abord l’AFP comme presse d’État. C’est l’Agence France Presse, existant depuis 1944 et qui fournit aux médias français toutes les actualités. Et même si l’Agence France Presse se revendique comme étant indépendante vis-à-vis du pouvoir politique, elle a souvent été épinglée dans des manipulations d’informations servant ce même pouvoir politique, comme par exemple la traduction mensongère du discours de l’ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad aux côtés d’Hugo Chavez, l’ancien président du Venezuela, en 2012. Le tollé sur la toile avait d’ailleurs été énorme une fois la manipulation découverte.
Ainsi, la principale agence d’info qui fournit toutes les rédactions d’information avec des actualités tronquées et mensongères, des fausses informations qui servent la politique menée en France, pose véritablement la question de l’indépendance de cette agence AFP (qui assure diffuser aux rédactions des informations « neutres et fiables ») et plus largement cela questionne sur le crédit à accorder aux médias d’information français.
Il y a ensuite le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel), organisme lui aussi soi-disant indépendant, qui surveille et sanctionne les chaînes de télévision qui n’appliqueraient pas la loi, et qui, et on va le voir avec une affaire édifiante, sert encore une fois le pouvoir politique en tenant le rôle plus que jamais de police de la pensée. Ainsi, en 2002, l’analyste politique Thierry Meyssan était reçu sur le plateau de l’émission Tout le monde en parle sur France 2, une émission animée par Thierry Ardisson, et dans laquelle il venait présenter son livre 11 Septembre 2001 – L’effroyable imposture, dans lequel il remettait en question la thèse officielle des attentats du 11 septembre 2001. C’est un courrier que le CSA envoya au président de France Télévisions pour rappeler à l’ordre la chaîne de TV (pas de thèses non officielles à la télévision), et Thierry Meyssan ne fut plus invité sur un plateau de télévision en France.
Le CSA a donc clairement le pouvoir de censurer ceux qui ont une parole un peu trop libre sur certains sujets…
Le CSA, un organe de censure qui souhaiterait d’ailleurs élargir son champ de compétence puisqu’en 2014, certaines propositions ont été faites notamment par Olivier Schrameck, l’actuel président du CSA, pour qu’ils obtiennent le pouvoir de « réguler » (donc censurer un peu plus) des sites Internet proposant un contenu audiovisuel, comme YouTube par exemple.
Nous sommes donc indéniablement ici face à des organismes indépendants fantoches qui cachent un pouvoir politique voulant à tout prix verrouiller les moyens d’informations pour que seule la presse d’État, ou la presse validée par l’État, puisse être accessible et ainsi désinformer sans cesse pour modeler, à la convenance de ceux qui nous gouvernent, l’esprit des citoyens de ce pays.
Internet à l’épreuve de la pensée unique
Et s’il était aisé jusque dans les années 1990 d’orienter une opinion publique de telle ou telle façon en affirmant des contre-vérités sur les pays étrangers, ou sur tout autre sujet propre à initier un débat public défavorable à la politique du pouvoir en place, un outil a mis en difficulté les politiciens et journalistes habitués au mensonge systématique : Internet.
L’info, la bonne, est à bout de clic et en quelques secondes sur tablette, PC et Smartphone.
Ca, c’est le Graal pour le complotiste.
Démonter les théories officielles devient donc un jeu online, partisans de la vérité face aux debunkers autoproclamés. Mais la partie est rarement gagnée par le complotiste. En effet, la législation, de plus en plus sévère en la matière, sanctionne le complotisme, rebaptisé tantôt révisionnisme, tantôt diffamation, tantôt négationnisme… Pourtant, les combattants de la vérité persévèrent pour une raison simple. Ils se sentent investis d’une mission, celle de lever le voile sombre de la pourriture oligarchique qui dirige le monde, de faire tomber le masque du mensonge et pourquoi pas de participer à la prise de conscience des peuples, opprimés qu’ils sont, et initier leur révolte contre leurs oppresseurs… Telle est la finalité du complotiste actif sur le Net. Le trollage pseudo-subversif du geek warkrafteur aux neurones complètement carbonisés, sur des sujets sérieux, ça n’est pas du complotisme.
Le complotisme c’est un travail de fond et de faits, d’analyse et d’argumentation.
En conclusion : complotiste, vice ou vertu ?
À l’heure de la bêtise instituée, des programmes télévisés du service public totalement abrutissants, des journaux détenus par des hommes d’affaires milliardaires aux intérêts connus et critiquables, certains font le choix de s’extraire de ce processus de vidage des cerveaux, de broyage de l’intellect, d’asservissement par la promotion de la stupidité. Certains font le choix de raisonner, ceux-ci sont les complotistes.
Vous l’avez compris, le complotiste n’est en réalité rien d’autre qu’un citoyen lambda qui a décidé de réfléchir. Pas de haine, pas de frustration, de névrose, de paranoïa, de folie furieuse ou d’idées dangereuses chez le complotiste, simplement la volonté de savoir, de comprendre et de… dire, écrire, réinformer.
Difficile à admettre pour les professionnels de la désinformation, mais ils – les complotistes – sont des gens normaux. Tellement normaux que les diaboliser à outrance devient indispensable pour ne pas éveiller la curiosité de la masse amorphe des Français qui se complaisent encore dans leur effrayant vide intellectuel.
Qu’ils aient raison sur tout ou tort parfois, saluons le courage des complotistes connus et anonymes, ceux qui agissent dans l’ombre et la lumière, offrons leurs les fleurs du mal, c’est-à-dire de l’attention, de la considération, un peu d’intelligence et surtout de la réflexion dans notre monde empli de mensonge et de bêtise.
Bref, passons du solipsisme cartésien à un solipsisme un peu plus moderne : Je pense donc je suis… complotiste !