Qu’il est douloureux d’entendre certains hommes que l’on respecte – voire que l’on admire – se vautrer dans l’erreur. L’histoire nous a montré de ces hommes qui flanchent ou qui se trompent, bien souvent par pusillanimité ou pour sauver qui leur position, qui leurs prébendes, mais aussi parfois en toute innocence et honnêteté – ce qui est peut-être encore pire douleur.
L’histoire très récente nous a fourni un exemple intéressant de volte-face intellectuelle avec Jean Bricmont. Auteur d’un essai qui fit date, Impostures intellectuelles (1997), ce penseur sérieux adoubé par Rudy Reichstdat qui le qualifie de « conspirationniste antisioniste » et par BHL qui le considère comme « négationniste », ce penseur libre à tendance anarchiste est devenu un covidiste forcené revendiquant la vaccination obligatoire tout comme d’autres mesures entrant parfaitement en contradiction avec son logiciel idéologique et 40 ans de convictions politiques.
À l’inverse, un Laurent Mucchieli, un indécrottable gauchiste qui nous gratifie depuis des années d’élucubrations sur l’immigration et la délinquance tout droit sorties du confort d’un bureau de fonctionnaire, s’est révélé un homme intègre et courageux sur le sujet de la crise sanitaire. Son dernier papier citant l’épidémiologiste Laurent Toubiana a d’ailleurs été une fois encore censuré par Mediapart. On le lira ici.
Dans la même veine, un Étienne Chouard est resté parfaitement cohérent dans ses positions à l’aune de cette crise sanitaire qui œuvre – c’est une de ses rares vertus – tel un révélateur photographique : chacun doit se positionner et c’est en ces moments d’occupation que l’on est sommé de choisir son camp, résistant ou collabo.
En d’autres occasions déjà, le défenseur ardent du référendum et de la réappropriation populaire de la Constitution avait montré l’étendue de sa virilité intellectuelle. Désirant toujours s’adresser à tous avec respect et écoute, y compris et surtout envers ses opposants politiques, parce qu’il trouve cette stratégie plus efficace mais aussi davantage en accord avec l’humanisme qui traverse toute sa pensée, Étienne Chouard n’a jamais refusé de discuter avec ce qu’on appelle la fachosphère, les complotistes, voire pire. Et cela, on lui fit payer.
C’était le 11 juin 2019. Invité sur feu Le Média de Denis Robert (viré du Média comme Aude Lancelin avant lui), il fut passé au gril par le gros barbu et son acolyte élu Mathias Enthoven : « As-tu un doute, toi, personnel, sur l’existence des chambres à gaz ? ». Cette question fit date, devenant un mème au même titre que le « Qui ?! » de Claude Posternak. Étienne Chouard refuse de penser qu’il s’agissait d’un piège, préférant imaginer que par cette question Denis Robert voulait justement faire sortir son ami de l’accusation de confusionnisme qui lui colle à la peau. Las, comment peut-on soutenir cette thèse là où la vidéo qui n’était pas en direct aurait pu être montée autrement, évitant à Chouard de trébucher sur LA question ?
C’est précisément l’exact contraire qui se passa : Étienne Chouard devint définitivement confusionniste et même pire : négationniste. Le doute n’était plus possible. Toute la presse de gauche et la lie des plumitifs qui l’alimentent en firent leurs gorges chaudes. « Accablant. Tous ceux qui laissaient à Chouard, depuis des années, le bénéfice du doute, le pourront-ils encore ? Bravo Denis Robert d’avoir fait ce que j’aurais dû faire aussi depuis longtemps, Mais je n’étais pas sûr d’arriver à rester calme… » se félicita Daniel Schneidermann encore tout excité par la chair fraîche qu’on venait de sacrifier.
Ainsi donc Étienne Chouard disparut des radars médiatiques, cantonnés à quelques conférences confidentielles ou autres activités Gilet jaunes secondaires. Or, ce dimanche c’est Éric Morillot, fraîchement viré de Sud Radio, qui invite notre professeur à la retraite. L’interview étant nécessairement un peu préparée, la première question ne fut pas innocente. En abordant immédiatement le piège de Denis Robert, il est entendu que l’intention était de permettre à Étienne de se défendre et de mettre au clair cette histoire de chambre à gaz. Ce qu’il fit.
Alors, Chouard débuta un long plaidoyer pro domo pénible à voir, triste même. Vingt minutes de chambres à gaz, de l’interminable film Shoah, de Raul Hilberg ou de Jean-Claude Pressac. Il sait que cette séquence est le passage obligé vers une absolution et un possible retour médiatique. Il sait, ou il pense. Car il est bien connu que l’antisémite, c’est celui qu’on désigne antisémite, et rien ne peut y changer. On ne choisit pas, on est choisi. Pire, les plus fervents des peccamineux sont recyclés en des zélotes tenus en laisse.
Et j’ai répondu bêtement, j’ai répondu la vérité, c’est vrai que j’en sais rien. Et on n’a pas le droit de dire « j’en sais rien », je ne savais pas. Alors depuis j’ai travaillé.
Cette question qui semble donc ne pas connaître de réponse, comme l’ineffable YHWH ne doit jamais être prononcé, est-elle une question subsidiaire, accessoire et sans intérêt ? Ou bien est-elle celle qui tue chaque Orphée qui se retourne pour la voir et la juger ? « Ce qui est essentiel est invisible » a dit le poète. Ou bien l’est rendu, aurait rétorqué Guy Debord.
Que doit-on conclure de cette triste affaire ? Qui sommes-nous pour le faire ? « Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre ». Que ceux qui critiquent un homme d’une telle qualité viennent le lyncher les premiers. Et face caméra, pas depuis l’anonymat de leur petit commentaire Internet.
Rares sont les hommes qui tiennent jusqu’au bout, jusqu’à l’exil même, si nécessaire. Nous en connaissons bon nombre ici des Soljenitsyne, en particulier à E&R. Mais ils sont rares, car tenir dans la tranchée la plus exposée aux bombes ennemies n’est pas une sinécure, c’est une continuelle tragédie. Il faut des hommes de cette trempe, mais une armée bien organisée ne se compose-t-elle pas aussi d’hommes en retrait, de sapeurs qui sabotent ou de snipers qui officient de loin ?
Ainsi donc, cette position intenable de victime expiatoire, celle de l’homme qui recherche le Bien commun et est persécuté pour avoir fait le choix de la probité et de l’honnêteté, le choix de l’Amour de son prochain et du respect de tous, y compris ses pires ennemis qu’il aime comme ses proches, tout cela ne doit-il pas nous rappeler, toutes proportions gardées, l’histoire d’un homme qui, il y a 2 000 ans, fut sacrifié par le Sanhédrin pour avoir dit la vérité ? Lui ne fit jamais techouva, mais il fut crucifié.