L’année 2015 a commencé par un attentat le 7 janvier qui a décimé la rédaction du magazine satirique Charlie Hebdo et qui a eu un retentissement au niveau planétaire. Retour avec Gilad Atzmon sur cet événement, qui, selon certains, n’aura pas manqué d’être exploité par le pouvoir pour restreindre les libertés sur Internet et pour réprimer de manière encore plus insidieuse la liberté d’expression à l’aide de la loi sur le renseignement [1].
Alimuddin Usmani : Un grand nombre de personnes ont été choquées par l’attaque meurtrière contre la rédaction de Charlie Hebdo. Nombreux sont ceux qui y ont vu une attaque grossière contre les valeurs occidentales. Est-ce que la liberté d’expression est une valeur occidentale et universelle ?
Gilad Atzmon : La réponse est, bien entendu, affirmative. La liberté d’expression est intégrée dans la pensée athénienne. L’idée est bien illustrée par l’orateur attique Démosthène, qui déclare qu’ « à Athènes on est libre de louer la constitution de Sparte, alors qu’à Sparte seule la constitution de Sparte est autorisée à être louée ». Contrairement à Athènes, qui défend le pluralisme, l’éthique et une recherche incessante de la vérité, Jérusalem représente la répression de la liberté et le rejet de la pensée éthique et universelle. Jérusalem est guidée par les « commandements » et le légalisme. Le « légal » remplace le mode éthique en fixant des limites au discours.
Une telle lecture peut nous aider à comprendre le rôle du politiquement correct au sein de la notion plus large de la liberté d’expression : si la liberté est née à Athènes, la tyrannie du politiquement correct a été importée de Jérusalem et elle est, de loin, la pire ennemie d’Athènes, de la liberté et de l’Occident.
Si la liberté d’expression est le bien culturel des Athéniens, le politiquement correct en est le gardien ; c’est une tentative grossière de fixer les limites de l’intégrité, de l’éthique et de l’expérience humaine en général.
Le pape François a défendu la liberté d’expression suite à l’attaque du journal satirique français mais a également souligné ses limites. Il a dit que les religions doivent être traitées avec respect, afin que la foi des autres peuples ne soit pas insultée ou tournée en ridicule. Est-ce que la liberté d’expression doit avoir ses limites ? Charlie Hebdo était-il réellement une force novatrice en matière de liberté d’expression, ainsi que le prétendent ses sympathisants ?
Charlie Hebdo, comme nous l’apprenons, n’était pas une publication spécialisée dans la liberté d’expression. C’était un magazine néoconservateur et philosémite qui soutenait les guerres sionistes et se consacrait à discriminer les minorités et les musulmans en particulier, alors que dans le même temps il réduisait au silence la critique du pouvoir juif et de la machine de guerre américaine [2]. Charlie Hebdo agissait de la même manière que l’attaché culturel d’Israël à Paris. Au moins idéologiquement, il était un équivalent Français du « Gardien de Judée » [Gilad Atzmon fait référence au journal britannique The Guardian, qu’il s’amuse régulièrement à surnommer « The Guardian of Judea »]. Mais contrairement à son âme-soeur idéologique d’outre-Manche, la défunte revue était particulièrement insipide, extrême et apparemment sur une pente suicidaire.
Les partisans de « Charlie » peuvent faire valoir, à juste titre, que si la liberté est une valeur occidentale, alors cracher sur les prophètes des autres peuples doit également être considéré comme une aventure occidentale. Après tout, la liberté d’expression est la liberté d’exprimer tout ce qui vous passe par l’esprit.
Les « Charlies » ont tort sur ce point. Bien que la tolérance et l’amour du prochain soient intégrés dans l’ethos Chrétien occidental, cracher sur la croix, cracher sur les églises et cracher en général n’est pas nécessairement dans les valeurs occidentales, comme l’a justement suggéré le pape François. Ces gens sont, une fois de plus, un produit de Jérusalem.
En 2009, le Jerusalem Post a publié un exposé sur la tendance croissante des juifs orthodoxes de Jérusalem à cracher sur leurs voisins chrétiens [3]. Israël Shahak a également commenté la haine juive du christianisme et de ses symboles, en suggérant que « déshonorer les symboles religieux chrétiens est un ancien devoir religieux dans le judaïsme ». Selon Shahak, « cracher sur la croix, en particulier sur le crucifix, et cracher quand on passe devant une église, sont devenus obligatoires depuis environ l’an 200 pour les juifs pieux ».
Fait intéressant, cette habitude juive de crachat a eu un impact sur le paysage urbain de l’Europe. Le texte qui suit peut être lu dans un guide touristique :
« Sur le pont Charles de Prague, le visiteur observera un grand crucifix entouré d’immenses lettres hébraïques dorées qui prononcent la traditionnelle sanctification en hébreu Kadosh Kadosh Kadosh Adonai Tzvaot, “Saint, Saint, Saint est le Seigneur des Armées”. Selon divers commentateurs, cette œuvre, dégradante pour les juifs, fût conçue en 1609 parce qu’un juif avait été accusé d’avoir profané le crucifix. La communauté juive fut contrainte de payer pour mettre en place les mots hébreux en lettres d’or. Une autre explication est que le juif avait craché sur la croix et pour cela, son châtiment impliquait une condamnation à mort. Lorsque cet homme supplia pour sa vie, le roi qui cherchait à avoir de bonnes relations avec les juifs dit à la communauté juive qu’elle devait réparer l’offense… [4] »
En fait, le crachat physique n’est pas le problème ici. Cracher est juste le symptôme d’un rejet catégorique culturel profondément ancré de « l’altérité ». Tragiquement, la même chose peut être dite à propos de Charlie Hebdo. Un regard rapide sur les couvertures des magazines révèle un mépris et un irrespect honteux pour l’altérité, les minorités et les musulmans en particulier. Charlie Hebdo est un symptôme de la « jérusalémisation » du libéralisme français et de la nouvelle gauche.
Bien que la première réaction des rédactions du monde entier suite au massacre de Paris ait été la volonté de relayer les caricatures de Charlie Hebdo, il a fallu moins de trente-six heures pour que les éditorialistes occidentaux ne changent d’avis ; en fait, presque personne n’a relayé cette saleté sioniste. Bien que certains éditoriaux aient prétendu que ces publications pourraient mettre leur personnel en danger, il est plus probable que personne n’ait jugé que les dessins de Charlie Hebdo soient valables pour la publication. Et c’est exactement la réponse d’Athènes à Jérusalem. C’est notre jugement éthique qui nous empêche de cracher sur les autres peuples et leurs prophètes. C’est le jugement éthique qui entretient la tolérance occidentale par opposition au politiquement correct, qui crée l’illusion de la tolérance tout en tuant la capacité à tolérer.
Le massacre de Charlie Hebdo est une alerte dévastatrice pour nous tous. Le choix entre Athènes et Jérusalem est attendu depuis longtemps. Le choix est entre l’universalisme et l’éthique d’un côté et le banal exclusivisme tribal de Charlie Hebdo et de la nouvelle gauche de l’autre.
Au lieu de nous prêcher les valeurs et la liberté de l’Occident, il serait temps que les « Charlies » comprennent le véritable sens de « l’idéal occidental » et de ses fondements culturels. La tolérance chrétienne alimentée par le pluralisme universel et polythéiste athénien est le cœur de la pensée occidentale. L’idéal occidental est l’amour de la beauté, de la « cité », du civil, de l’éthique, de l’harmonie ; c’est le rejet de l’exaltation et du binarisme judéo-centrique. Au lieu de cracher sur les prophètes des autres, nous devons apprendre à chérir le dieu des autres, même celui des juifs, et attendre des autres qu’ils fassent de même.
Vous avez probablement raison : presque personne n’a publié les dessins de Charlie Hebdo après le massacre comme ils l’avaient promis. Mais une semaine plus tard, la couverture du Prophète en larmes, qui incluait au moins un sexe masculin caché, a été reproduite dans plusieurs pays autour de la planète [5]. Qu’en dites-vous ?
C’est en effet une très bonne remarque. La rédaction qui s’est remise au travail a produit cette image embarrassante du prophète Mohammed en sanglots et indulgent.
Depuis un certain nombre d’années nous assistons à une tentative de la part de la gauche d’ériger des dichotomies entre les (bons) « juifs » et les (mauvais) « sionistes », entre les (affreux) « islamistes » et les (pacifiques) musulmans. Ces tentatives sont, en grande partie, intrinsèquement trompeuses et sont mises en place pour compartimenter la discussion au sein d’un discours qui trouve sa place à l’intérieur d’une terminologie de gauche dysfonctionnelle.
La vérité c’est que l’inquisition était une facette du catholicisme. La brutalité sioniste est la voix la plus populaire des juifs du monde entier, au moins depuis 1967, et la résistance islamique et le djihad militaire sont intégrés à l’islam. Il y a un consensus parmi les savants islamiques selon lequel le concept de djihad inclura toujours une lutte armée contre les transgresseurs.
Cependant, il est toujours amusant d’observer les athées gauchistes qui sont exclusivement familiers avec la compréhension de n’importe quel discours ou texte religieux et qui nous font la morale en nous expliquant qui sont les bons musulmans et ce qu’est l’islam. Ils font la même chose à propos des juifs et du sionisme. Et il n’est pas surprenant que la vision du monde de cette gauche qui sert ses petits intérêts n’ait aucune pertinence dans le monde dans lequel nous vivons. Mais cette tendance unique explique comment la gauche européenne est parvenue à s’aliéner elle-même des gens et a atterri dans un état bizarre de détachement complet.
Votre analyse de cette couverture est pour le moins inédite et originale. De son côté, Norman Finkelstein a soulevé la question du « deux poids, deux mesures » à propos de cette tuerie. Il a écrit que peu de personnes ont versé une larme pour Julius Streicher, qui avait été condamné à mort par le tribunal de Nuremberg et exécuté pour avoir publié des écrits et des caricatures antisémites [6]. Qu’en pensez-vous ?
Norman Finkelstein a toujours réussi à me fasciner et je suppose que ce n’est pas réciproque. L’intégrité intellectuelle est un produit rare en ce qui concerne la gauche juive occidentale. Nous sommes familiarisés avec le phénomène PEP – Progressiste Excepté pour la Palestine. Finkelstein n’est évidemment pas un PEP, bien qu’il ait sa limite. Finkelstein a été plus loin que le dévoilement du crime israélien, l’industrie de l’Holocauste, il a aussi désigné BDS comme faisant l’objet d’un « culte ». Finkelstein a payé un prix élevé pour avoir été sincère. Mais cela n’a pas atténué ses propos.
Ici, il met une fois de plus en lumière le vide intellectuel qui unit ceux qui se proclament être des « Charlies ». De toute évidence, nombre de ceux qui disent « Je suis Charlie » ne soutiennent pas la liberté universelle et élémentaire, ils font campagne en faveur des droits des gauchistes blancs privilégiés, pour se moquer des musulmans et de leurs prophètes. Est-ce qu’ils vont aussi respecter le droit de Faurisson à réviser l’histoire ? Est-ce qu’ils vont soutenir Dieudonné ? D’une certaine manière, j’en doute.
Je pense que de nombreuses personnes partagent votre doute. Cette nouvelle caricature du Prophète a également provoqué des émeutes dans certains pays musulmans. Au Niger, plusieurs personnes ont été tuées et des églises brûlées [7]. Les émeutiers semblent avoir choisi une cible particulièrement inappropriée car les journalistes de Charlie Hebdo possédaient une tendance anticléricale et pratiquaient souvent l’offense à l’égard des chrétiens. Qui a intérêt à provoquer un « choc des civilisations » ? Il est évident que l’athéisme fanatique est là pour bénéficier des chocs religieux. Il sert à véhiculer l’image selon laquelle les religions sont au cœur de tout le mal. Il est également vrai que la laïcité radicale juive est plutôt une force dominante au sein du milieu idéologique athée. Ce phénomène est aisé à expliquer. La nature rigide du judaïsme rabbinique, qui est basée sur l’observance aveugle, sur l’identification et sur le symbolisme, fait partie d’une expérience épanouissante qui façonne aussi bien la nature de l’idéologie juive athée que la dissidence juive.
Les juifs qui laissent tomber leur dieu ressentent le besoin de remplacer leurs anciennes croyances par une identité alternative et énergique. Ils adhèrent occasionnellement à une forme radicale d’athéisme déraciné, qui est avant tout préoccupé par une défiance universelle complète contre tous les systèmes de croyance. Il est inutile de dire que cette forme radicale d’athéisme conserve la rigidité de l’orthodoxie juive et à l’instar du cas du judaïsme, elle échoue à développer une éthique universelle, ou bien quelque chose qui ressemble de près ou de loin à la tolérance.
Mais examinons la notion de « choc des civilisations ». Comment est-ce qu’elle trouve sa place dans la notion de « tolérance » et de « multiculturalisme ». C’est facile, elle n’y trouve pas sa place. Tout le mythe de la « tolérance occidentale », du « post-colonialisme » et du « multiculturalisme » s’est effondré le 11 septembre 2001 pour autant que la gauche soit concernée. La notion de « gauche », « d’autrui » s’est évaporée dès l’instant où « autrui » a manifesté une réelle altérité. Une fois qu’il était clair que le prétendu « autrui » pense et agit différemment, le lien entre la « gauche » et les « musulmans » s’est effondré. Le massacre de Charlie Hebdo a poussé les choses encore plus loin. Nous assistons clairement à un puissant continuum politique entre la nouvelle gauche et l’extrême droite sur les problématiques liées aux communautés musulmanes.
Une fois ce plus, ce continuum est facile à expliquer. Le monde occidental est, comme nous le savons, déterminé par le principe de l’esprit des Lumières – la célébration du « I », c’est-à-dire de l’individualisme et l’individualité. Le capitalisme, l’impérialisme, l’interventionnisme mais également le bolchévisme et les droits de l’homme sont déterminés par la philosophie du « sujet humain », du « soi » et de son « épanouissement ». Mais dans le cas de l’islam et du judaïsme, c’est l’esprit tribal, en opposition à l’individuel, qui domine et qui dicte même son rôle au sujet. Dans le cas du judaïsme et de l’islam, c’est la lutte et la survie de la tribu qui dominent la philosophie collective et la loi.
À moins que nous comprenions cette claire dichotomie métaphysique, spirituelle et culturelle entre l’Est et l’Ouest, nous ne serons pas en mesure ne serait-ce que d’envisager des perspectives de paix, encore moins d’atteindre une coexistence harmonieuse.