La guerre a été principalement terne, avec peu de mouvement. Une guerre de tranchées comme lors de la Première Guerre mondiale. La grande erreur a été commise au début, lorsque la Russie a essayé de s’emparer d’un pays de 40 millions d’habitants avec quelques soldats à peine. Le chef des services de renseignement russes, M. Naryshkin, a récemment admis que la Russie ne disposait d’aucun renseignement fiable sur l’Ukraine. Pendant de nombreuses années, depuis 1991, les services de renseignement russes n’avaient pas suivi l’évolution de la situation en Ukraine. La Russie est donc entrée en guerre, en espérant que les Ukrainiens accueilleraient leurs soldats avec des fleurs. Cela s’est terminé par une grande retraite des troupes russes. Poutine pensait pouvoir passer un accord avec Kiev, mais il s’avère que l’Ukraine signe des accords un jour et les renie le lendemain. Les choses ont donc continué ainsi, jusqu’à ce que, six mois plus tard, l’armée russe commence à mobiliser ses réserves.
Il n’y a pas eu que du ratage : la Russie a connu de bons et de mauvais moments dans son combat contre l’Ukraine. La prise de Marioupol, sur la côte de la mer d’Azov, a été un bon moment. Un mauvais moment, en revanche, a été la retraite de Kharkov. L’accord sur les céréales et le retrait de l’île des Serpents ont été des moments de stupidité. Les moments de trouble grave ont été l’explosion des gazoducs réalisé par les marines américains et britanniques et l’assassinat de Daria Douguine. Nous vivons un moment de vérité, avec la critique des chefs militaires, qui comporte des appels au suicide du ministre de la Défense. Les gens sont mécontents de la façon dont l’armée russe agit. L’explosion sur le pont de Crimée a exacerbé ce sentiment.
Et c’est à ce moment-là que Poutine a appelé le général Sourovikine à prendre en charge la guerre en Ukraine. Sourovikine est un général populaire qui a commandé l’opération syrienne et il a été surnommé « général Armageddon » pour des raisons évidentes. Et le général Armageddon a fait ce que le peuple voulait : il a lancé des dizaines de missiles de croisière sur les villes ukrainiennes. Kiev a été attaquée pour la première fois ; l’électricité a été coupée dans de nombreux endroits, y compris à Kharkov. Jusqu’à présent, Poutine prenait soin de l’infrastructure ukrainienne comme si c’était son bien. Aujourd’hui, cela a changé. Une chose se maintient : les Russes essaient de préserver les civils, par opposition aux militaires ukrainiens qui ne se gênent pas pour les massacrer.
La guerre a commencé parce que depuis le coup d’État de 2014, les Ukrainiens bombardaient régulièrement le Donbass, une région à majorité russe située au sud-est du pays. Poutine a tenté de résoudre le conflit par l’accord de Minsk, qui promettait un Donbass autonome au sein de l’Ukraine fédérale. Les Ukrainiens ont signé l’accord de Minsk mais n’avaient aucune intention d’en respecter les articles. Ils ont tué des milliers d’habitants du Donbass, principalement en bombardant leurs magasins, leurs écoles et même leurs rues. Les nationalistes du bataillon Azov étaient particulièrement féroces envers les habitants du Donbass. Lorsque les troupes russes sont venues aider le Donbass en février de cette année, les combattants d’Azov se sont retirés dans les vastes galeries souterraines de l’aciérie de Marioupol.
Ils se sont toutefois rendus assez rapidement : être enfermé dans des cavernes n’est pas très réjouissant, même s’ils avaient de la nourriture et de l’eau. Quelque deux mille combattants sont partis en captivité. Les habitants du Donbass voulaient les envoyer devant un tribunal avec des mercenaires étrangers. Mais Moscou a passé outre et ils ont été échangés contre des prisonniers de guerre russes et, chose bien ennuyeuse, contre un politicien de l’opposition. Certains prisonniers de guerre d’Azov ont été tués par le bombardement du camp de prisonniers par Kiev : ils avaient apparemment commencé à révéler des vérités dérangeantes sur leurs actions. Les combattants d’Azov échangés ont été transportés par un oligarque, le juif russe Roman Abramovitch, dans son jet privé vers les Émirats arabes unis. Cela a également contrarié la population, qui aurait largement préféré qu’ils soient jugés.
Les Russes patriotes étaient assez mécontents de la façon dont la guerre était menée. Ils estimaient que les commandants russes étaient trop tendres avec l’Ukraine alors que les Ukrainiens continuaient à bombarder le Donbass. Les écrivains et les artistes russes ont souvent soutenu l’Ukraine. À Moscou, on collectait de l’argent pour l’Ukraine, pas pour l’armée russe. Aujourd’hui, le blitz du général Armageddon a changé ce sentiment, mais l’Ukraine a toujours de nombreux partisans en Russie dans les milieux pro-occidentaux. Cela ne devrait pas changer de sitôt : 30 ans de politique pro-occidentale ne peuvent être défaits en un instant. La frustration est grande, car le Donbass est toujours bombardé tandis que Kiev restait intacte.
Il semble que Poutine mette la pédale douce dans sa campagne : il espère encore des changements positifs après les élections américaines de mi-mandat, et garder le tiers-monde de son côté. Le temps nous dira si cet espoir est raisonnable. Les grands médias occidentaux battent le rappel pour l’Ukraine. Les Russes tués sont présentés comme des victimes du nettoyage ethnique russe, comme à Boutcha et Izioum. L’accord sur les céréales avait été conclu uniquement parce que les médias vociféraient sur la famine en Afrique. Ce fut un flop : seuls 2 % du blé sont allés aux pays pauvres, le reste allant à l’UE. Les Russes ont également cédé l’île des Serpents, qui aurait été une base parfaite pour lancer une opération de débarquement à Odessa.
L’élite ukrainienne reçoit beaucoup d’argent, ainsi que des contacts de haut niveau et des encouragements. Mme Zelensky a été invitée à boire et à manger par SAR la princesse de Galles. Ces gens-là ne vont pas aimer la paix et se voir relégués dans l’obscurité. Les désirs de Poutine n’ont plus rien à voir avec la situation actuelle, car le gros client de l’Ukraine, ce sont les États-Unis et le Royaume-Uni, et la guerre leur profite. La guerre est payée par l’Europe, et ce sont les États-Unis qui en tirent des bénéfices. Aujourd’hui, les États-Unis vendent du gaz liquéfié quatre fois plus cher que le prix russe, et ce sont les Européens qui paient.
Bien sûr, le peuple ukrainien en fait les frais ; ils souffrent sous les missiles russes. Mais les États-Unis s’en moquent. Pour eux, c’est rentable. Les industries allemandes vont probablement disparaître : c’est encore mieux pour les États-Unis. Ils espèrent qu’elles se délocaliseront aux États-Unis.
Il ne fait aucun doute que les gazoducs russes ont été sectionnés par un sabotage américano-britannique. Des sources russes désignent même le responsable (le lieutenant Chris Bianchi). Nous apprenons maintenant que l’OTAN avait essayé de bombarder les gazoducs en 2015 une première fois, mais ils avaient été appréhendés. Ce n’est que maintenant que cela se sait. Hélas, la Suède ne veut pas permettre à la Russie d’accéder au site de l’explosion ; elle ne veut pas non plus partager les résultats de son enquête. Les terroristes ont salopé le boulot : ils ont laissé un pipeline intact, de sorte que les Russes et les Allemands peuvent recommencer à pomper du gaz immédiatement, à condition qu’il y ait une volonté politique en ce sens. Mais il n’est pas certain que les Allemands aient une volonté politique autre que celle de se conformer aux souhaits des États-Unis.
Le parti de la guerre des États-Unis est très fort et les Russes n’ont aucune chance de le vaincre. Mais cela ne signifie pas qu’une guerre nucléaire soit inévitable. Ni le président américain ni celui de la fédération de Russie ne la souhaitent. Il est probable que la guerre conventionnelle se poursuivra sans franchir le seuil nucléaire. L’accord de paix ne répondra probablement pas aux attentes des deux parties, mais les Russes ne sont pas disposés à conclure un autre accord de Minsk juste pour se faire rouler dans la farine par Kiev.
La Russie et les sanctions
Les principales armes des États-Unis et de l’Union européenne contre la Russie sont les sanctions et le rideau de fer. Si les sanctions n’ont que peu entamé le tissu de la société russe, ce n’est pas le cas du rideau de fer. C’est douloureux et pesant. Au cours des 30 dernières années, les Russes se sont habitués à voyager en Europe. Maintenant, ils doivent changer leurs habitudes. Certes, les Russes peuvent aller en Turquie et en Israël, en Inde et en Amérique latine, mais l’Europe était toute proche et amicale. Aujourd’hui, il est difficile de s’y rendre : en général, ils peuvent le faire en prenant un vol pour Istanbul, mais pour un prix beaucoup plus élevé. C’est particulièrement pénible pour les Russes aisés : ils avaient l’habitude d’aller passer leurs week-ends à Paris et à Londres ; c’est bien fini…
Les sanctions sont probablement dérangeantes pour les hommes d’affaires, mais les gens ordinaires en pâtissent moins en Russie qu’en Europe. La viande est bonne et abondante ; le gaz est bon marché ; le théâtre est bon et peu coûteux. On peut écouter l’intégralité de l’Anneau des Nibelungen (quatre opéras extra-longs) pour cent dollars.
L’inflation existe en Russie, comme partout ailleurs. Mais il n’y a pas de folie verte, ni de délire du genre. Il n’y a pas d’enseignement ou de chants patriotiques. La Russie est assez progressiste, mais pas trop. Les églises sont ouvertes et pleines de fidèles. En fait, la vie est normale. Peut-être trop normale pour un pays dont la ligne de front vient de s’effondrer par manque de soldats.
La mobilisation est venue corriger cette carence. Pour la première fois en 80 ans, les Russes se mobilisent, et cela ne s’est pas bien passé. Les volontaires sont refusés, tandis que des malades et des personnes âgées sont enrôlés. Beaucoup de pro-occidentaux relativement jeunes se sont enfuis en Géorgie et en Israël, où il n’y a pas besoin de visas. Mais malgré tout, le nombre nécessaire de personnes a été enrôlé. Dans deux mois, l’armée russe aura assez de soldats pour tenir la ligne de front.
En attendant, elle doit faire face au terrorisme. L’explosion du pont de Crimée a fait l’objet d’une enquête. Il s’est avéré que les explosifs ont été envoyés hors d’Ukraine par un bateau ostensiblement chargé de blé, conformément à l’accord sur le blé. La cargaison mortelle est passée par la Bulgarie et la Géorgie pour rejoindre la Russie. Les services de sécurité russes viennent d’arrêter les Ukrainiens qui avaient fait passer en fraude deux missiles anti-aériens Igla avec leurs lanceurs via l’Estonie. Ils prévoyaient d’abattre des avions civils en Russie. L’Estonie a été impliquée dans le meurtre de Daria, la jeune russe fille du philosophe Alexander Douguine, dans les environs de Moscou. Le ministre estonien a félicité l’Ukraine pour l’attentat terroriste sur le pont de Crimée. La Lituanie a tenté d’empêcher l’accès des Russes à son enclave en Prusse orientale. Bref, l’Ukraine n’est pas seule, et la Russie a beaucoup de sympathisants neutres, mais peu d’alliés.
Bref, la guerre continue…