Dans le discours qu’Emmanuel Macron a prononcé, pour saluer les 500 ans de la Réforme, il s’est épanché sur la laïcité, mais malheureusement au prix d’un contresens. On le voit avec la phrase qu’il a twittée à cette occasion :
« La laïcité n’est pas la négation des religions, c’est la capacité de les faire coexister dans un dialogue permanent. »
Il est étonnant qu’un homme de sa culture – car à la différence d’un Hollande ou d’un Sarkozy il est véritablement cultivé – puisse commettre une pareille erreur, voir un pareil contresens. La laïcité, ce n’est pas la coexistence des religions (qui est naturellement souhaitable), ni même la tolérance religieuse ou la liberté de conscience. Certaines de ses notions découlent de l’application de la laïcité mais ne la résument pas. Il faut aussi signaler que cette erreur s’inscrit dans la droite ligne de nombre de citations de son prédécesseur, François Hollande sur le même sujet. Dès lors, on peut s’étonner de la répétition de ces erreurs, et penser que cette répétition a un sens. Car, la laïcité est en réalité profondément liée à la notion de souveraineté.
Il n’est pas sans signification que la nation et l’État se soient simultanément construits historiquement en France à la fois dans la lutte contre les féodalités locales et contre les prétentions supranationales de la papauté et de la religion chrétienne. Il n’est pas donc sans importance non plus que le penseur qui a établi le rôle central de la souveraineté, Jean Bodin, qui était par ailleurs un fervent catholique, ait aussi écrit l’un des livres les plus fondamentaux sur la laïcité parce qu’il avait pris acte de l’hétérogénéité de la société. Le lien entre la laïcité, la souveraineté mais aussi la démocratie a fait l’objet d’un livre que j’ai fait paraître en 2016 [1].
Pourquoi la laïcité est-elle importante ?
La laïcité n’est donc pas un supplément d’âme à la République : elle en est en réalité le ciment [2]. Il n’est pas anodin que l’un des grand penseur de la souveraineté, Jean Bodin, qui écrivit au XVIème siècle dans l’horreur des guerres de religion, ait écrit à la fois un traité sur la souveraineté [3] et un traité sur la laïcité [4]. Il convient ici de bien comprendre ce lien étroit qui unit la notion de souveraineté à celle de laïcité. La souveraineté implique la définition d’un souverain. Une fois établie que la « chose publique » ou la Res Publica est le fondement réel de ce souverain, comme nous y invite Jean Bodin, il nous faut définir le « peuple » qui exercera, soit directement soit par l’entremise de formes de délégation, cette souveraineté. C’est bien pourquoi la question de la souveraineté est aussi centrale, car elle implique la définition de la communauté politique qui l’exerce.
Dès lors, nous obliger à nous définir selon des croyances religieuses, des signes d’appartenances, aboutit en réalité à briser le « peuple ». Et c’est très précisément le piège que nous tendent les terroristes qui veulent nous ramener au temps des communautés religieuses se combattant et s’entre-tuant. Pour ces terroristes, la souveraineté n’existe pas. Seule existe la « loi divine » qui est par essence transnationale. D’autres alors y ajouterons des communautés ethniques. Si nous cédons sur ce point nous nous engageons vers un chemin conduisant à la pire des barbaries. La confusion dans laquelle se complet une grande partie de l’élite politique française, et on l’a vu au moment de l’attentat contre Charlie Hebdo mais aussi les attentats qui ont suivi, est ici tragique et lourde de conséquences. En mettant une prétendue « islamophobie » en miroir à cette violence destructrice, ils sont tombés dans le piège que leur tendaient les terroristes, celui de la mise « hors débat » de l’islam.
Les attaques contre les musulmans (comme celles contre les juifs, les chrétiens, les bouddhistes, etc…) sont évidemment inqualifiables et insupportables. Il ne s’agit pas d’islamophobie mais bien d’une forme de racisme. Mais, on a le droit de critiquer, de rire, de tourner en dérision, et même de détester TOUTES les religions. Il convient ici d’affirmer que toute religion relève du monde des idées et des représentations. C’est, au sens premier du terme, une idéologie. À ce titre, toute religion est critiquable et doit pouvoir être soumise à la critique et à l’interprétation. Cette interprétation, de plus, n’a pas à être limitée aux seuls croyants. Le droit de dire du mal (ou du bien) du Coran comme de la Bible, de la Thora comme des Évangiles, est un droit inaliénable sans lequel il ne saurait y avoir de libre débat. Un croyant doit accepter de voir sa foi soumise à la critique s’il veut vivre au sein d’un peuple libre et s’il veut que ce peuple libre l’accepte en son sein.
Ce qui est par contre scandaleux, ce qui est criminel, et ce qui doit être justement réprimé par des lois, c’est de réduire un être humain à sa religion. C’est ce à quoi s’emploient cependant les fanatiques de tout bord et c’est cela qui nous sépare radicalement et à jamais de leur mode de pensée.