La carte électorale montre une Italie plus que jamais divisée entre un Nord industriel et un Sud en déshérence. Mais ces deux composantes se retrouvent soudées face à l’ennemi commun : l’Europe de Bruxelles. Autopsie d’une élection qui fait trembler la technocratie européiste et qui marque le grand retour des peuples.
- Projection de la future Chambre où le M5S (26%) et la droite nationale (42%) représentent 70% des députés
Du Nord au Sud, une vague « NO GLOBAL » a submergé l’Italie
Les journaux italiens dans leur ensemble sont d’accord pour acter la victoire d’une Italie populiste, anti-UE, plus généralement NO GLOBAL (les italiens n’italianisent pas les anglicismes et les expressions étrangères). Derrière la victoire du Mouvement 5 Étoiles et de la Ligue du Nord, les médias sont en train de vivre l’apocalypse qu’ils ont tant redoutée, et contre laquelle ils ont tant œuvré. Car si ces deux partis sont opposés politiquement, ils ont une ligne commune : « Prima gli italiani » (les Italiens d’abord). Comme l’analyse avec dépit Andrea Malaguti, un journaliste de La Stampa,
« Et pourtant le Nord et le Sud ont quelques sensibilités communes mais des besoins complètement différents. Ils rêvent ensemble à bloquer et expulser la masse des immigrés (...) et rêvent aussi de fuir de l’Europe, d’abolir le Jobs Act, la loi Fornero (retraites) et peut être aussi les vaccins obligatoires ».
- En rouge la gauche libérale de Renzi, en bleu la Ligue de Salvini et en jaune le M5S de Di Maio
Le Sud, profondément marqué par le chômage avec le plus fort taux européen, a complètement décroché face à un Nord qui lui voudrait bien se libérer de ce fardeau. Le M5S avec la promesse d’un « revenu universel » de 800 euros a fait carton plein (70 % des électeurs du mouvement) dans ce sud désenchanté, et où le rejet des partis traditionnels est massif. À commencer par le rejet de la Lega, qui fut une formation séparatiste par le passé, et dont les insultes et le mépris exprimé envers les méridionaux ont laissé des traces et des blessures profondes.
« Dire que l’on vote Lega dans le sud n’est pas socialement acceptable », explique ainsi le professeur Roberto D’Alimante. La formation emmenée par Luigi Di Maio, l’enfant du pays, a raflé le Sud tout entier avec 50 % des voix en Sicile et en moyenne autour de 40 % dans le reste du mezzogiorno. Des voix « piquées » à la coalition de Centre-Gauche de Matteo Renzi qui a disparu totalement du paysage politique méridional. Ce qui intéresse le Sud c’est, outre l’immigration, l’abolition du Jobs Act de Renzi qui est un équivalent du mort-né CPE français mais élargi à tous les travailleurs. Le retour de l’article 18 qui protégeait le salarié et bien sûr le « revenu citoyen ».
Dans le Nord industriel, c’est l’inverse. Ici la Lega règne en maître. Les ouvriers et en particulier les plus pauvres sont acquis à la formation de Salvini.
« J’ai voté Lega, explique Giorgio Dusina, un ouvrier de 54 ans employé d’une usine familiale de minuteries métalliques en Lombardie dans un village de 2 000 habitants dont 500 migrants. Je suis fier d’être un populiste parce que le peuple cette fois a fait entendre sa voix. Nous avons voulu mettre une gifle à Rome et à la gauche de Renzi qui gouverne, il ne sait rien de nous et n’a rien fait pour nous. Et une autre gifle pour l’Europe ou commandent les Allemands et les Français et nous nous comptons pour rien de rien. »
La Ligue du Nord ne remporte que 17 % des voix, mais s’impose à la tête d’une puissante coalition de centre-droit qui réunit 37 % des votants. Un exploit pour Salvini qui parvient a tripler le score de 2013. Une réussite qui récompense le changement radical d’orientation de ce parti qui dans son ancienne version prétendait séparer le Nord du reste de l’Italie. Il ne manque aujourd’hui que 50 députés et 25 sénateurs au parti de Matteo Salvini pour obtenir la majorité absolue dans les deux chambres. Une croissance éclair qui s’est faite au détriment de l’allié Sylvio Berlusconi. Dont il se murmure qu’il ne parvient pas à digérer cette seconde place humiliante. Le Cavaliere se voyait bien arriver en tête et négocier une alliance avec Renzi dans un coup politique audacieux dont il a le secret. Du reste, son parti Forza Italia a semblé bien à la peine dans cette campagne où il a souvent donné l’impression de courir derrière la Lega sur le thème des retraites, de l’immigration et des taxes.
- Giorgia Meloni, présidente du parti nationaliste Frères d’Italie
Autre fait politique marquant à droite, la poussée effectuée par la belle Giorgia Meloni. La romaine a su mener son mouvement Fratelli d’Italia au Parlement avec plus de 4 % des voix.
L’unique majorité est anti-UE
Malgré les divisions, l’unique majorité est celle anti-UE. Tous les partis pro-européens ont connu une véritable débâcle, et ce malgré des moyens et une exposition médiatique hors du commun. L’exemple le plus frappant est le parti + EUROPA d’Emma Bonino, qui comme son nom l’indique milite avec véhémence pour plus d’Europe et un programme complètement déconnecté des réalités italiennes. Celui-ci est axé sur plus d’immigration, plus de taxes (notamment sur les maisons) et moins de souveraineté. La championne des élites européennes, souvent moquée pour son soutien actif à l’avortement et son financement (assumé et revendiqué) par George Soros, fait un flop monumental.
- Aux visages de Bonino & Soros
Avec un score ridicule de 2,5 %, alors que créditée du double dans les sondages, elle est en dessous du seuil de 3% prévu par la loi électorale. Des résultats piteux qui s’illustrent par un détournement moqueur de son slogan « plus d’Europe, moins de votes ». Faillite d’un projet politique qui veut augmenter la dose d’Europe dans un pays fatigué par Bruxelles, et dans lequel les forces eurosceptiques dépassent largement les 55 % des votants tous partis confondus.
Mais, à l’image de Di Maio qui s’est empressé de rassurer les investisseurs dès les résultats connus, le M5S et la Lega ont mis de l’eau dans leur vin anti-européen. Il n’est plus question de sortir de l’Euro selon Di Maio, pour qui le référendum de sortie serait « le dernier recours ». Tandis que Salvini se défausse en arguant « que la monnaie unique est condamnée à disparaître et qu’il faut s’y préparer ». Restent les programmes électoraux des deux mouvements. Tous sont contre l’austérité voulue par Bruxelles, pour une renégociation des traités et une prévalence du Made In Italy. Avec pour la formation de Salvini, une volonté de faire passer le droit européen après le droit italien. Un retour de fait à la souveraineté nationale.
Les marchés et le petit cercle des élites européennes restent terrorisés par une alliance entre les deux partis et une éventuelle sortie de l’Euro. À l’image d’Aldo Cazullo, éditorialiste au Corriere della sera qui, en février, avait déjà annoncé le pire en cas de gouvernement M5S-LEGA qui conduirait selon lui à une intervention du FMI.
Toujours du côté des eurosceptiques, les camarades de Mélenchon, Potere al Popolo (pouvoir au peuple) ont à peine dépassé les 1 %. Tandis que Casapound avec son programme très anti-UE n’a pas réussi à franchir la barre du 1 %. Mais les « fascistes du IIIe millénaire » réunissent quand même près de 259 000 voix et une énorme progression : + 539 % par rapport à 2013.
« L’effet Macerata »
Macerata, cette ville du centre de l’Italie (région des Marche) qui fut au centre de la campagne électorale, a elle aussi voté Lega. Après la mort atroce de Pamela Mastropietro tuée et découpée en morceaux par des migrants nigérians et le raid de vendetta de Luca Traini qui a suivi, la ville traditionnellement de gauche a changé de couleur. La Lega y enregistre même une fulgurante progression passant de 0,6 % en 2013 à 21 % lors de cette élection. Un résultat scruté avec attention par toute la presse tant ce qu’on nomme avec sobriété « les événements de Macerata » ont été le détonateur de la campagne. Tant la ville fut le symbole des maux qui frappent tant de villes d’Italie.
Un symptôme également du naufrage de la politique de la gauche, emmenée par Matteo Renzi, qui avait fait de l’accueil des migrants, le droit du sol (ius soli) et l’antifascisme, le cœur de sa campagne électorale. Une politique qui explique la défaite de Renzi selon le quotidien de droite Libero : « Droit du sol et antifascistes : voici pourquoi la gauche a perdu ». Une perte sèche de 5 millions d’électeurs. Quand même ! (merde !)
De même, le candidat de la Ligue du Nord en Lombardie Attilio Fontana, dont les propos avaient provoqué un scandale médiatique, est élu à la faveur d’un plébiscite avec près de 50 % des voix. Les électeurs n’ont pas suivi les injonctions de la presse qui l’avait unanimement condamné à une mort politique. Des propos il est vrai qui seraient inimaginables en France :
« Les immigrés veulent occuper notre territoire, nous devons nous rebeller. Nous ne pouvons pas accepter tous les immigrés qui arrivent. Nous devons décider si notre ethnie, notre race blanche, notre société, doivent continuer à exister ou si nous devons être effacés ».
Le jeu de la politique italienne
Reste que malgré ces résultats sans ambiguïté, le jeu de la politique en Italie peut conduire à un renversement de situation. Aucun parti et aucune coalition n’étant en mesure de gouverner seuls, Salvini comme Di Maio cherchent à obtenir une majorité. Les téléphones sonnent, et on s’active dans les coulisses dans des « jeux de palais » opaques, tout en jurant que les promesses envers les électeurs seront tenues.
Contrairement aux vœux de Steve Bannon qui avait fait le déplacement à Rome pour l’occasion, les deux partis populistes ne sont pas prêts de s’allier. Même si politiquement La Lega et le M5S ne sont pas si éloignés, ils sont séparés par cette frontière invisible entre le Nord et le Sud. De plus ils ont chacun clairement annoncé leur refus de gouverner avec l’autre. Deux populismes qui ne peuvent pas s’entendre, un peu comme le FN et la France Insoumise dites-vous ? Il se murmure dans la presse que la coalition la plus probable serait une alliance du Cinque Stelle avec un Centre-Gauche sans Renzi. Beaucoup à gauche réclamaient, et ont obtenu, sa tête en vue d’obtenir un accord avec Di Maio.
Salvini lui, réclame de son côté la victoire, et espère combler le nombre de sièges manquants avec les élus de l’étranger et des dissidents du M5S.
- Ce graphique illustre la défaite absolue de Renzi (en rouge), le recul de Berlusconi (en bleu), la poussée fulgurante de Salvini (en vert) et Di Maio (en jaune), la croissance de Melloni, et le développement de Casapound
Dans tous les cas, ce sera au président de la République Sergio Matarella de trancher après l’élection des présidents des deux Chambres et la constitution des groupes parlementaires le 23 mars. C’est le président de la République qui désigne celui qui aura la charge de former un gouvernement qui possède la confiance des deux Chambres. Mais cette charge n’est pas forcément attribuée au leader du parti qui a obtenu le plus de voix, plutôt sur celui qui peut compter sur une majorité au Sénat et à la Chambre des députés. Tout peut encore changer.
De notre correspondant en Italie Hervé Poignart