L’éditorial de Il Fatto Quotidiano (proche du M5S) donne le ton. Face aux journalistes mainstream qui cherchent encore les raisons d’une telle déconfiture, il analyse avec clarté la victoire populiste :
« Les Italiens ont ignoré la propagande terroriste des “marchés”, qui une fois de plus voulaient nous enseigner comment on vote et surtout pour qui (…). Et ils ont bouleversé les petits jeux que le Système, avec ses commanditaires internationaux et ses médias à la remorque, croyait avoir déjà conclu dans ses chambres secrètes à l’insu des électeurs ».
C’est donc un vote anti Système qui s’assume et qui s’affirme. Le retour fracassant d’un peuple qui a refusé de céder à la stratégie de la peur impulsée par le gouvernement Renzi et l’UE et distillée dans les médias par une campagne dont l’intensité fut à la mesure des enjeux.
- Renzi vient de démissionner officiellement (le texte est un jeu de mots en dialecte toscan qui veut dire « Rentre chez toi sale truie ! »)
Ultimes sursauts et agonie de l’antifascisme d’État
Et dont le schéma ne diffère guère de ce que l’on connaît en France en termes de manipulation et de culpabilisation. Avec la particularité toutefois d’avoir tiré sur la corde « antifasciste » jusqu’à l’usure complète, puis la rupture. La menace fasciste brandie en permanence par les membres du gouvernement et relayée en abondance dans les médias n’a pas été en mesure de paralyser la fureur des Italiens face à une politique euro-technocratique complètement déconnectée des réalités.
Une campagne également émaillée de violences politiques de part et d’autre qui ravivent des souvenirs dans ce pays marqué par les « années de plomb ». Depuis les « événements de Macerata » , qui ont placé l’immigration sur le devant de la scène de manière définitive, et la fusillade « raciste » de Luca Traini qui a permis d’enclencher la mécanique « menace fasciste »/manifestations antifascistes. Le ras-le-bol d’une immigration aussi massive qu’incontrôlée a pu un temps être jugulé avec la pesante culpabilisation des « heures les plus sombres ».
Du moins c’est ce qu’espérait Renzi, le golden boy mondialiste, en se drapant dans la toge de l’antifascisme intransigeant. Chaque manifestation des partis se revendiquant de la droite nationale (Forza Nuova) ou héritiers du Fascisme (Casapound) donnait lieu à des batailles rangées entre antifascistes et forces de l’ordre. Les antifas ont bien compris la carte blanche offerte par le Système et ont multiplié les agressions violentes et lâches contre des militants et dirigeants jugés fascistes. À Palerme avec le passage à tabac de Massimo Ursini, responsable régional de Forza Nuova. Filmé pieds et poings liés en train de se faire tabasser par une dizaine d’antifas. Même tarif pour les militants de Casapound qui ont dû faire face à de nombreuses attaques. Le quotidien en ligne Il Primato Nazionale a dénombré une attaque antifasciste tous les deux jours durant le mois de février.
- Le fameux autocollant qui dénonce les antifas
À Pavia, en réponse, des autocollants ont été placés sur une quinzaine d’habitations avec mention « ici habite un antifasciste ». ce qui a rappelé aux intéressés les heures les plus sombres quand les commerces juifs étaient marqués par les nazis.
À cela s’est ajoutée la menace des marchés, et enfin celles de Juncker venu à la rescousse en annonçant, catastrophiste : « préparez-vous au pire, à une Italie ingouvernable ». Autre coup de pouce inattendu, ô miracle, une pause dans les débarquements de clandestins pendant la période électorale malgré des conditions favorables comme le remarque l’ex-général Vincenzo Santo.
Tout aura donc été fait pour favoriser l’élection du « camp du Bien », celui des Marchés et de son chien de garde antiraciste. En vain. C’est la déconfiture pour les « paladins de l’antifascisme » et notamment la virulente Laura Boldrini qui est « humiliée » avec un score de 4,6 % à Milan.
- Laura Boldrini, présidente de la Chambre des députés et grande prêtresse de l’Antifascisme
De son côté le Mouvement 5 étoiles (M5S) a été très attaqué par les médias durant la campagne et souvent moqué pour son inexpérience. Certains barons furent visés par une enquête d’une émission populaire appelée les « Hyènes » (un journalisme « justicier ») sur un prétendu scandale financier qui ne fut pas sans rappeler les rouages politico-médiatiques de l’affaire Fillon. L’intransigeance du parti de Grillo face à la franc-maçonnerie, qui a exclu ses membres francs-maçons, a été décrite par les médias comme une « psychose anti-maçonnique ». Les médias ne se sont pas privés de les ranger dans la case populiste à cause notamment de leurs positions sur l’Europe et sur l’immigration.
Deux vainqueurs et une alliance impossible
Renzi et l’alliance de centre gauche éliminés. Les électeurs ont donc désigné deux gagnants : la coalition de centre-droit, emmenée par Matteo Salvini de la Ligue du Nord qui devance son allié et rival Silvio Berlusconi, et l’inclassable Mouvement Cinq étoiles de Luigi Di Maio. Si la coalition de centre droit arrive en tête, le premier parti en nombre de voix est le M5S qui s’affiche en grand vainqueur de cette élection. Ce sera lui le faiseur de rois, car aucune coalition n’est en mesure de gouverner. Di Maio a déjà annoncé qu’il faudra dorénavant jouer selon les règles de son mouvement. Dans un discours de victoire triomphant, le trentenaire parle d’un « résultat post-idéologique qui va au-delà des schémas gauche-droite », et affiche les thèmes qui seront les siens : « pauvreté, réduction des taxes et immigration ». Avant de conclure, « c’est le début de la Troisième République, celle des citoyens ».
De son côté Matteo Salvini clame aussi sa victoire au sein de la coalition. Celui qui a dérobé le sceptre du chef à Berlusconi peut prétendre au poste de Premier ministre. Matteo Salvini analyse la défaite de Renzi comme « une punition pour son arrogance », et n’hésite pas à enfoncer le clou, « je suis et resterai populiste parce que celui qui écoute le peuple fait son métier, les gens ne veulent plus des bobos de gauche qui méprisent les ouvriers ». S’il a fait marche arrière sur la sortie de l’euro, il prédit néanmoins sa disparition prochaine en assurant vouloir « être prêt quand cela arrivera ».
Cependant, le jeu politique italien fait qu’aucun des vainqueurs ne peut prétendre gouverner seul. Et aucun ne semble prêt à une alliance avec l’autre. Du côté du M5S, certains comme Roberto Fico ont déjà déclaré « jamais avec la Lega », et à droite on ne veut pas entendre parler d’une alliance avec les grillini.
- Socio-géologie du vote du 4 mars 2018
La carte des résultats montre en effet clairement une Italie divisée en deux. Le nord avec la Ligue du Nord en tête et le centre et le sud aux couleurs du Mouvement Cinq étoiles. La gauche gardant ses bastions historiques de Toscane et d’Émilie-Romagne. Selon certains analystes, le sud méridional aurait choisi le meilleur opposant à la Lega qui est le parti de Grillo. Impossible en effet pour les méridionaux d’oublier les insultes passées du parti nordiste dans sa version séparatiste.
Prochain rendez-vous crucial le 23 mars, jour où les parlementaires seront appelés à élire les présidents de la Chambre des députés et du Sénat. Une élection à bulletin secret qui permettra de voir de quel côté penche le Movimento Cinque Stelle, à sa gauche où à sa droite.
De notre correspondant en Italie Hervé Poignart