Le « modèle » de développement de la Russie a été le fruit de compromis qui ont évolué depuis 2000. Ils ont permis la forte croissance des années 2000 à 2008. Leurs principaux traits ont été conservés, y compris lors de la crise de 2008-2010. Ces compromis semblent cependant avoir atteint la limite de leurs potentiels.
Le freinage de la croissance, sensible dès 2013, en témoigne, et ceci donna naissance à l’époque à plusieurs travaux [1]. La situation actuelle, marquée à la fois par une forte baisse des prix du pétrole et par un affrontement entre les pays occidentaux et la Russie, rend par ailleurs ces compromis largement inopérants. En témoignent les prévisions fort sombres pour 2015, comme celles du ministre des Finances, M. Siluanov, annonçant une récession de - 4 % du PIB. Un nouveau modèle de croissance s’impose désormais, ce qu’a reconnu le président Poutine lors de son adresse du 4 décembre. L’importance du débat sur ce sujet ne date d’ailleurs pas de ces derniers jours [2]. Mais, l’ampleur du tournant que risque d’imposer la nouvelle situation reste largement sous-estimée dans une partie de l’élite russe. En fait, la situation actuelle pourrait s’avérer très favorable à terme pour la Russie, si le gouvernement se décide à employer les bonnes solutions. On pourrait voir, d’ici quelques mois, se mettre en place un nouveau modèle de développement assurant l’indépendance complète du pays.
Un changement de paradigme ?
À la suite de la transition des années 1990, on a assisté à l’émergence de nouvelles configurations entre acteurs privés et acteurs publics en Russie. La crise de 1998 avait impliqué un basculement au profit des acteurs publics. Un compromis autour d’une stabilisation de ces configurations et une consolidation du rôle de l’État a été passé lors de l’arrivée de V. Poutine au pouvoir. Ce compromis a connu des évolutions au début des années 2000 entre les « interventionnistes » et les « libéraux » au sein du gouvernement et plus généralement de l’élite russe. Si le gouvernement gardait la haute main sur certains secteurs, il ouvrait l’économie russe au capital étranger en ce qui concerne les autres et s’accommodait des règles de la globalisation financière [3]. Ceci entraînait une progressive disparition des barrières aux flux de capitaux, aboutissant à la libéralisation totale du taux de change à la fin de 2006. Ce compromis reposait sur l’idée que la Russie pourrait utiliser à son profit le système financier international pour financer son développement. Il correspondait aussi au souhait des grandes entreprises russes, que ce soit dans le domaine des hydrocarbures ou dans celui des métaux, de recourir à une croissance externe (par le biais d’acquisitions) afin d’atteindre la taille nécessaire pour affronter la concurrence mondiale [4]. Mais il est clair que d’autres raisons, moins avouables, et liées à l’exportation du patrimoine industrielle de la Russie, étaient aussi présentes. On pouvait aussi s’interroger sur un modèle où la Russie produisait des matières premières pour importer par la suite les biens manufacturés issus de ces matières premières [5].
Ce compromis incluait aussi un accord sur une utilisation mesurée des moyens financiers issus de la rente des matières premières. Le rôle de cette rente avait eu tendance à monter à partir de l’été 2002, offrant plus de possibilités au gouvernement russe tandis que la Banque centrale pouvait accroître très fortement ses réserves de change. La réaction à la hausse des prix du pétrole fut la définition des quatre « Priorités nationales » par Vladimir Poutine en 2004 (Santé, Éducation, Logement et Intégration agro-industrielle). Ces « Priorités » ont permis de canaliser une partie de l’investissement souhaité par les « interventionnistes », sans provoquer de déséquilibres macro-économiques importants. Il en a été de même pour les investissements liés aux jeux Olympiques de Sotchi, qui ont permis de moderniser les infrastructures de transport. La Russie a ainsi pu éviter le piège du « syndrome hollandais » et conserver une économie aussi diversifiée que possible [6].