Au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle qui a vu Emmanuel Macron et Marine Le Pen se qualifier, Rébellion a recueilli l’analyse d’Alain de Benoist sur la grande transformation du champ politique.
Le premier tour de la présidentielle est-il le signe de la mort définitive du clivage droite-gauche ? Pensez-vous qu’une recomposition politique soit en cours ?
Rien n’est jamais définitif, mais il est sûr que le clivage droite-gauche n’est plus aujourd’hui l’alpha et l’oméga de la vie politique. Indépendamment du fait que ce clivage a renvoyé au cours de son histoire à des contenus bien différents, et qu’il a de surcroît toujours existé plusieurs gauches et plusieurs droites, tous les sondages montrent que les gens ne comprennent plus à quoi ces notions renvoient exactement. Le recentrage des programmes est l’une des causes de cette incompréhension, d’autant que l’on n’a cessé de voir des gouvernements réputés de droite faire une politique de gauche et des gouvernements réputés de gauche faire une politique de droite. L’impression générale qui s’en dégage est que les hommes politiques de droite et de gauche veulent au fond la même chose, et ne se séparent que sur les moyens d’y arriver.
Le premier tour de l’élection présidentielle marque à cet égard une étape décisive, puisque les deux anciens grands partis de gouvernement, qui étaient aussi les porteurs du clivage droite-gauche traditionnel, seront absents du second tour. Cette élimination, à laquelle on n’avait jamais assisté depuis que le chef de l’État est élu au suffrage universel, est à mon sens le trait le plus important de ce scrutin. Le clivage droite-gauche constituait un axe horizontal. Le clivage entre le peuple et les élites, qui est en train de lui succéder, est un axe vertical. Cela annonce de toute évidence une recomposition politique qui n’en est encore qu’à ses débuts.
De quoi Emmanuel Macron est-il le nom ?
Le nom de tout et de rien. J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire : Macron est un algorithme, une image de synthèse, un milliardaire issu des télécoms, un joueur de flûte programmé pour mener par le bout du nez « selzésseux » qui ne voient pas plus loin que le bout de ce nez. C’est le candidat de la Caste, le candidat des dominants et des puissants. C’est un libéral-libertaire qui conçoit la France comme une « start up » et ne rêve que d’abolition des frontières et des limites, des histoires et des filiations. C’est l’homme de la mondialisation, l’homme des flux migratoires, l’homme de la précarité universelle, le chef de file des « progressistes » par opposition à ceux qui ne croient plus au progrès parce qu’ils constatent que celui-ci n’améliore plus, mais au contraire assombrit leur ordinaire quotidien.
Dans le passé, les milieux d’affaires et les marchés financiers soutenaient le candidat qu’ils estimaient le plus apte à défendre leurs intérêts (Alain Juppé en début de campagne). Cette fois-ci, ils ont jugé plus simple d’en présenter un eux-mêmes. Aude Lancelin n’a pas eu tort, à cet égard, de parler de « putsch du CAC 40 ».
La rupture entre le peuple et les élites est définitive ?
Pour l’heure en tout cas, elle apparaît totale. La montée des mouvements dits « populistes » n’a pas d’autre cause que la formidable défiance des couches populaires envers des représentants qui ne les représentent plus, c’est-à-dire envers des élites (politiques, économiques, financières, médiatiques) perçues comme une oligarchie soucieuse de ne défendre que ses seuls intérêts, élites mondialisées, déterritorialisées et pratiquant un entre-soi devenu pratiquement incestueux.
Ce qui est intéressant, c’est que cette coupure d’ordre sociologique, qui va conférer au second tour de l’élection présidentielle toutes les allures d’un conflit de classe, se double d’une séparation géographique et spatiale, dont témoignent aussi bien les travaux sur la « France périphérique » d’un géographe comme Christophe Guilluy que le vote du premier tour, qui a clairement fait apparaître le contraste entre le vote des grandes métropoles et celui des communes rurales et des régions péri-urbaines où se concentre la majorité de la classe ouvrière et, de façon plus générale, toute cette France en déshérence, laissée à l’abandon, grande perdante de la mobilisation et qui s’estime à juste titre victime d’une triple exclusion politique, sociale et culturelle.