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Achille et/ou Ulysse ?

L’approche archétypale de la guerre nous est donnée par Homère à travers les deux personnages principaux de l’Iliade : Achille qui symbolise à la fois la force physique et les vertus morales (le sens de l’honneur) et Ulysse, polytropos (« l’homme aux mille ruses ») qui nous fournit le modèle du premier stratège, celui qui ne recherche pas la mort mais la victoire. Ce casting originel met en place les deux données essentielles de la démarche stratégique, la ruse et la force constituant les deux qualités du chef de guerre, reliées entre elles par la belle formule de Jean-François Lyotard : « La ruse est le point faible des forts ».

 

Dans un livre, issu d’une thèse de doctorat en philosophie politique, dont le sujet fut inspiré par le livre de M. Détienne et J. P. Vernant. Les ruses de l’intelligence. La mètis des Grecs (Flammarion, 1974), Jean-Vincent Holeindre, actuellement directeur scientifique de l’IRSEM, nous montre comment, tout au long de l’histoire militaire, la ruse et la force furent complémentaires, en procédant à partir d’une approche généalogique basée sur des moments clés qui a vocation pour l’auteur à « redonner son épaisseur à la ruse ». La ruse de guerre est préalablement définie comme un procédé consistant à combiner la dissimulation et la tromperie en vue de créer la surprise, ce premier effet donnant naissance à un choc psychologique qui permettra la victoire.

Ce faisant, Holeindre rouvre le débat sur le livre de V.D. Hanson, Le modèle occidental de la guerre, lequel, comme on le sait, défend la thèse selon laquelle la supériorité militaire occidentale s’expliquerait par le lien civique (le modèle athénien) et par la bataille décisive (le choc hoplitique) considérée comme plus efficace. Pour Hanson, la ruse est le moyen des faibles qui refusent l’idéal du guerrier européen. Elle serait avant tout l’apanage des Orientaux. Pour Holeindre, ce modèle fait la part belle « à des préjugés culturels et ethniques » avec lesquels il conviendrait désormais de rompre.

Au début de son étude, Holeindre commence par montrer que la ruse est une catégorie majeure de l’univers mental des Grecs, un élément fondamental de leur intelligence de la guerre.

Les Romains, au contraire, à travers un discours de la guerre juste (la perfidie illicite rompt la fides, la bonne foi), s’approprient pleinement l’héritage d’Achille (la force représente pour eux la légitimité). L’ennemi emblématique (Hannibal), considéré comme perfide, contourne en effet le champ de bataille pour éviter l’affrontement direct. Ceci montre que le dilemme ruse/force n’est pas seulement un enjeu stratégique mais aussi un enjeu normatif. Les deux registres, le registre stratégique et celui de la légitimité, se combinent ainsi pleinement chez les Romains. Le registre de la ruse ne sera toutefois pas négligé comme en témoignent les Stratagèmes de Frontin et les œuvres de Végèce, Xénophon en son temps ayant déjà fait le lien entre « stratégie » et « stratagème ».

L’étude se poursuit jusqu’à notre époque avec le terrorisme et la stratégie nucléaire, en passant par Machiavel (le célèbre chapitre 18 du Prince avec la métaphore du renard et du lion) et Clausewitz, dont le De la guerre comporte deux chapitres portant sur la ruse. Elle conclut que dans les guerres de masse, la ruse ne peut exister au niveau stratégique au sens où la massification de la guerre rend la ruse difficile à employer et qu’ il y aurait en fait plus d’inconvénients que d’avantages à l’utiliser.

Au delà de la thèse particulière soutenue par l’auteur, laquelle évacue un peu trop rapidement à notre avis, l’apport conceptuel de Liddell Hart et de l’école de la stratégie indirecte, La ruse et la force peut parfaitement se lire comme une histoire alternative de la pensée stratégique, ce qui justifie pleinement son sous-titre.

 

***

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21 Commentaires

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  • #2053739
    Le 2 octobre 2018 à 13:50 par Judo
    Achille et/ou Ulysse ?

    En sport de combat on utilise la ruse pour effectuer un effet de surprise sur l’adversaire et ainsi avoir l’initiative pour tenter de le terrasser par la force.

    Les 2 sont complémentaires pour un bon combattant

     

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  • #2053764
    Le 2 octobre 2018 à 14:12 par Socrade
    Achille et/ou Ulysse ?

    je me souviens d’une étude exhaustive sur les batailles militaire et presque aucune n’a été gagnée en suivant les règles, autrement dit presque toutes ont été gagnée par la surprise et la ruse.

     

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  • #2053817
    Le 2 octobre 2018 à 15:14 par Drago
    Achille et/ou Ulysse ?

    Je vais rapidement expliquer la force et la ruse.
    La force c’est deux gorilles qui s’entretuent pour se disputer une femelle.
    La ruse c’est pendant ce temps un 3è larron qui se tape la femelle.
    Le vainqueur des deux gorilles en vie prend alors possession la femelle....
    et croit que c’est sa progéniture.
    C’est ainsi que la ruse se transmet génétiquement dans le temps.

     

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    • #2053844
      Le Octobre 2018 à 15:50 par Goy de souche
      Achille et/ou Ulysse ?

      Merci euh... Et la calorie dans tout çà ?

       
  • #2053838
    Le 2 octobre 2018 à 15:40 par Gallieni
    Achille et/ou Ulysse ?

    Tres bon bouquin en effet. Je l’ai acheté lors d’une visite au tombeau de l’Empereur.

    C’est assez bien résumé mais le livre est très dense. Les passages sur Machiavel, Saint Augustin, Carl Schmitt sont très intéresssants notamment le fait que la ruse n’etait plus possible vraiment lors de la premiere guerre mondiale mais a reapparu lors de la seconde.

    J’ajouterais que la legende des Nibelungen et de Siegfriend en particulier est assez comparable a Achille / Ulysses.

     

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  • #2053968
    Le 2 octobre 2018 à 19:01 par z
    Achille et/ou Ulysse ?

    Heracles, fils de Zeus et d’Alcmène. Trop bon, trop con, mais il avait le pouvoir de mettre des claques à Achille. Il n’est pas fils du dieu suprême, pour rien.

     

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  • #2053989
    Le 2 octobre 2018 à 19:34 par yul
    Achille et/ou Ulysse ?

    LA question est :
    "Préfères-tu voir Achille ou Ulysse dans ton dos ?"...
    Moi, c’est Achille !

     

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    • #2059584
      Le Octobre 2018 à 23:47 par Taquin
      Achille et/ou Ulysse ?

      Il n’y a qu’un grec pour se demander quel homme il veut se prendre dans le dos.....

      ...le pire....je n’ai même pas honte de ma blagounette....

       
  • #2054002
    Le 2 octobre 2018 à 20:00 par bruno
    Achille et/ou Ulysse ?

    c’est quoi déjà les références du bouquin ? j’ai l’impression qu’il y en a plusieurs, en fait… de bouquins ?

     

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  • #2054013
    Le 2 octobre 2018 à 20:13 par Pierre
    Achille et/ou Ulysse ?

    Un des meilleurs exemples de la combinaison de la force brute et de la ruse est la victoire écrasante d’Hannibal lors de la Bataille de Cannes du 2 août 216 av. J.C.

    Elle procède d’une stratégie particulièrement brillante, mais qui ne recèle aucune "perfidie" ; en effet, il a retourné le fait d’être en sous-nombre et acculé au fleuve à son avantage en prenant en tenailles avec sa cavalerie et son infanterie l’armée romaine, sur qui se referme l’étau et qui est quasiment anéantie à la fin de la bataille.

    Hannibal n’a par la suite pas su utiliser sa victoire militaire pour la transformer en victoire politique, d’où le délai permettant à Rome de reprendre son souffle et se relancer dans la guerre avec une haine et une férocité accrue, ce qui d’ailleurs l’éloigne de l’idéal représenté par Achille : lorsqu’il revient dans la bataille, c’est pour venger Patrocle et non sa fierté blessée, qu’il a mise de côté pour se réconcilier avec Agamemnon devant la menace troyenne !

     

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  • #2054071
    Le 2 octobre 2018 à 21:09 par Gargamel
    Achille et/ou Ulysse ?

    "Depuis qu’on a inventé la poudre il n’y a plus d’hommes forts".
    Dicton populaire.

     

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  • #2054103
    Le 2 octobre 2018 à 21:37 par JC
    Achille et/ou Ulysse ?

    Les Héllènes ont vaincu le grand empire expansioniste de l’époque : l’Atlantide. Mais peu de temps après cette grande victoire, le monde d’alors s’est effondré au sens propre comme au figuré, c’était il y a ....

     

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