« La bombe a été lancée de la seconde tribune publique située à la droite du président de la Chambre, au deuxième étage, et a éclaté à la hauteur de la galerie du dessous, emportant dans un immense tourbillon tout ce qu’elle rencontrait devant elle. Plusieurs députés ont été renversés ; l’abbé Lemire est projeté sur le sol, il est atteint par un projectile derrière la tête et reçoit une blessure profonde. D’autres députés sont blessés : MM. de Lanjuinais, Leffet, le baron Gérard, Sazenove de Pradine, de Montalembert, Charpentier, de Tréveneue. On les entoure, on les emporte dans les bureaux pour leur donner les premiers soins. M. Ch. Dupuy, au fauteuil, a eu le cuir chevelu déchiré par un clou. »
C’est Le Figaro du lendemain (repris par Wikipédia) qui écrit ça. Nous sommes le 9 décembre 1893, la République est toute fraîche, l’Assemblée comporte une majorité de bourgeois, et ça pète déjà. Nous sommes bien en France.
Il y a peu de choses sur Auguste Vaillant, qui porte bien son nom. Il faut du courage ou du désespoir pour préparer puis lancer une bombe (artisanale) dans l’hémicycle. À l’époque, la justice est autrement plus ferme qu’aujourd’hui. Un attentat, c’est pas la prison VIP comme pour le trouble Abdeslam, c’est la guillotine. Justement, nous parlons de justice. L’auteur du méfait, qui ne fera que des blessés, justifie son geste :
« Messieurs, dans quelques minutes vous allez me frapper, mais en recevant votre verdict, j’aurai la satisfaction d’avoir blessé la société actuelle, cette société maudite où l’on peut voir un homme dépenser inutilement de quoi nourrir des milliers de familles, société infâme qui permet à quelques individus d’accaparer la richesse sociale (…) Las de mener cette vie de souffrance et de lâcheté, j’ai porté cette bombe chez ceux qui sont les premiers responsables des souffrances sociales. »
« Libérez nos camarades ! »
Les Gilets Jaunes solidaires de leurs camarades interpellés et incarcérés, au passage devant la prison de la Santé.#GiletsJaunes #Acte56 #Paris #7Décembre #GrèveGénérale pic.twitter.com/W8LsnXaYQ5— Gilets Jaunes Paris #8Décembre (@GiletsJaunesGo) December 7, 2019
Un plaidoyer qui entre en résonance avec la révolte des Gilets jaunes actuelle, dont nous avons prédit, quelque part dans les articles du financement participatif (pub !) qu’elle déboucherait mathématiquement sur une radicalisation politique, radicalisation qui déboucherait elle-même sur un terrorisme spontané dirigé contre l’oligarchie, à l’image de la contestation de Mai 68 qui accouchera d’une radicalisation politique qui elle-même servira de terreau à un terrorisme d’extrême gauche anti-oligarchique (et plus ou moins manipulé).
Retour au vieux terrorisme à l’ancienne, celui des anarchistes qui visaient carrément les représentants du pouvoir de la bourgeoisie
Il faut dire qu’à la fin du XIXe, des centaines d’anarchistes se sont radicalisés contre un pouvoir politique, le régime républicain, qui a déjà montré toute l’étendue de sa corruption (scandale de Panama). Au lieu de se réformer (lol), la classe politique vote des lois dites « scélérates » destinées à écraser les anarchistes, c’est-à-dire les Gilets jaunes de l’époque.
Notez bien, puisque nous sommes surveillés à chaque ligne par les délateurs-censeurs ruisselant de haine de la Kommandantur, que nous n’appelons pas au terrorisme, mais soulignons qu’en 126 ans, les choses n’ont, au fond, pas tellement changé.
Le décor a changé – les voitures vont plus vite que les chevaux –, la société a changé – les femmes ont le droit de coucher et de voter –, les gens ont changé – ils meurent de plus en plus de stress –, mais la structure sociale, c’est-à-dire l’injustice fondamentale qui fait qu’une minorité de nantis peut vivre très confortablement à côté d’une majorité de malheureux (9 millions de pauvres en France et un enfant sur cinq est considéré comme pauvre), ça, ça n’a pas vraiment changé. Il y a bien des variations sociologiques, le grossissement de la classe moyenne, l’augmentation du nombre de cadres mais, au fond, on a toujours des riches et des pauvres, des dominants et des dominés, des injustes et des justes.
L’injustice tient la justice et la police
Alors, le geste d’Auguste était-il juste ? Est-ce vraiment du terrorisme ou, comme nous l’entendons, une forme de contre-terrorisme ou d’antiterrorisme dirigé contre la violence de l’injustice que la bourgeoisie de l’époque inflige au peuple ?
Naturellement, la bourgeoisie a la « justice » et la police avec elle, qui la protègent des questions et des réactions des malheureux. Et c’est toujours ainsi. Il en faut beaucoup pour envoyer un injuste en prison et très peu pour persécuter un juste.
Il y a peu de choses sur le Net sur ce Vaillant Auguste, juste le minimum syndical, peut-être ne faut-il pas trop médiatiser ce geste qui fait désordre. Il nous reste une courte vidéo sur Europe 1 de Franck Ferrand, cet historien bien comme il faut, bien dans la ligne oligarchique, qui professe l’histoire pour les nuls, ou les paresseux. On le passe quand même, pour les faits, et pour ceux qui n’aiment pas lire (comme quoi il est plus facile d’intoxiquer des auditeurs que des lecteurs). C’est évidemment pas sur cette station socialo-sioniste qu’on va analyser en profondeur les déterminismes sociaux d’un tel geste, cela risquerait de diluer la responsabilité de son auteur, voire de la retourner contre ses adversaires, et de donner des idées à de vrais anarchistes du XXIe siècle !
Le terrorisme d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui d’Auguste, qui partait du bas pour aller vers le haut, une sorte de missile sol-air social. Aujourd’hui, le terrorisme est un missile air-sol, il vise tout simplement à maintenir le peuple dans une terreur diffuse, celle de l’insécurité quotidienne, du lendemain, du chômage, de la maladie, de l’Autre, d’un ennemi fabriqué, etc.
Le capitalisme, qui récupère tout, a même réussi à récupérer le terrorisme !
Chapeau bas, la bourgeoisie. Ah, dernière chose, et non des moindres : les anarchistes d’aujourd’hui – black blocs, autonomes, antifas et compagnie – ont aussi été habilement retournés, ils sont devenus les complices conscients ou inconscients des forces de la conservation. Ils luttent clairement contre ceux qui luttent contre l’oligarchie ! On voit ces pseudo autonomes pourrir les vrais mouvements sociaux en les associant à une violence qui déclenche et autorise toutes les répressions... C’est pourquoi beaucoup de jeunes, illusionnés par l’aspect romantique de la révolution ou de l’action radicale, se trompent de combat et que rien, fondamentalement, ne change.
Les pièges sont bien en place. Notre travail consiste à en fournir une carte.