« Une véritable saignée, comme une plaie béante qui vide le système nerveux de la matière grise, s’étendant, d’année en année, à toutes les pépinières de compétences que compte le pays », s’indigne le quotidien Liberté, qui titre en une « Ils fuient… ! », après l’annonce du départ de quelque 1 200 médecins algériens vers la France. Un chiffre qui n’a « jamais atteint cette ampleur », s’alarme le quotidien El Watan.
L’information, donnée par le docteur Lyes Merabet, président du Syndicat autonome des praticiens de santé publique (SNPSP), concerne les résultats publiés, le 4 février, par le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers en France (CNG) dévoilant que, sur les 1 993 lauréats des épreuves de vérification des connaissances (EVC, un concours annuel), 1 200 sont des médecins spécialistes algériens. Ces derniers peuvent donc commencer à exercer dans les hôpitaux en France.
« Néanmoins, les lauréats du concours devront se faire à l’idée d’avoir un statut de médecins étrangers, bénéficiant d’un poste intermédiaire, une catégorie inférieure à leurs collègues français », précise le quotidien El Watan. Ils n’auront, selon le même média, leur inscription à l’Ordre des médecins français qu’au bout de trois ans d’évaluation par les responsables des structures hospitalières où ils exercent.
16 000 médecins algériens exercent en France
« La France a toujours été la destination n° 1 pour les médecins algériens voulant s’installer à l’étranger, et ce, pour diverses considérations : plus de facilités, la langue et la formation », explique le Dr Lyes Merabet du SNPSP, ajoutant que « la réglementation en France facilite beaucoup l’insertion. En 2020, en France, un nouveau décret a mis en place un cadre réglementaire qui a été consolidé avec plus de facilitations permettant le déplacement de ces jeunes médecins, notamment des pays francophones, en particulier du Maghreb, vers la France ».
D’après des chiffres du CNG repris par El Watan, datant de 2018, les candidats algériens au concours EVC représentent 47,64 % sur 94 nationalités, loin devant les candidats tunisiens (19,26 %) et marocains (4,1 % en 2017). Selon plusieurs sources citées par des journaux à Alger ce matin, il y aurait environ 16 000 médecins algériens exerçant actuellement en France.
Qu’est-ce qui peut expliquer ce nombre si important de médecins algériens qui s’expatrient en France ? Pour Lyes Merabet, « il y a une situation qui impose beaucoup de questionnements : la politique des salaires et la condition sociale qui ne sied nullement au profil et au statut de ces universitaires ».
Acquérir à l’étranger de nouvelles connaissances
Concernant la question des salaires, El Watan explique que, si peu de praticiens marocains sont comptabilisés dans les expatriations vers la France, cela serait dû au fait qu’ils sont les mieux payés au Maghreb, avec une moyenne de 2 000 euros par mois contre 400 euros pour un médecin installé en Algérie. Mais au-delà de l’aspect strictement matériel, il s’agit surtout de fuir un environnement professionnel et social « peu favorable à l’épanouissement des médecins algériens », pointe encore le syndicaliste dans Liberté.
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Des « solutions d’urgence » attendues
« L’Algérie prépare et forme des médecins tous fin prêts pour exercer en France, regrette, dans les colonnes d’El Khabar, le doyen des médecins algériens, le Dr Bekkat Berkani. Cela prouve l’échec des ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur à prendre correctement en charge nos jeunes médecins car on ne leur offre rien, ni salaires adéquats ni motivations comparables à ce dont ils peuvent bénéficier à l’étranger ».
Pourtant, rappelle Lyes Merabet dans Liberté, la formation d’un médecin spécialiste coûte en moyenne à l’État algérien environ quinze millions de dinars (93 000 euros, selon le taux de change officiel).
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« Le phénomène ne s’estompera pas de sitôt »
Mais est-ce suffisant pour contrer cette « véritable saignée » des compétences ?
Cité par Liberté, le sociologue Karim Khaled voit dans l’exode des cerveaux algériens le signe d’un « mal de gouvernance à tous les échelons ». La migration des cadres « ne date pas d’hier », soutient l’auteur de Les Intellectuels algériens, exode et forme d’engagement (éditions Frantz Fanon, 2019). « [Ce phénomène] a été amplifié de manière extraordinaire depuis 2010, en raison notamment d’une gouvernance obsolète et archaïque loin de rassurer nos étudiants, universitaires, médecins, chercheurs, et de manière générale, des pans entiers de notre société », appuie le chercheur Karim Khaled.
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