Pour l’Ukraine, l’annexion à l’UE qui succédera à l’accord d’association signifiera l’entrée dans l’espace Schengen, et à terme l’ouverture totale de ses frontières aux flux migratoires ainsi que sa dissolution dans le bain acide de la mondialisation ultralibérale, au même titre que les autres peuples européens.
Le 21/06/2012, la BBC rapportait les propos de Peter Sutherland, l’un des oligarques anglo-saxons les plus en vue, qui déclarait à la Chambre des Lords que « L’Union européenne devrait saper l’homogénéité de ses États membres au moyen de l’immigration », car, selon lui, la prospérité dépendait du devenir multiculturel. Loin d’être un brave gauchiste utopiste, l’homme incarne le capitalisme à l’état chimiquement pur, occupant ou ayant occupé des postes à responsabilités dans les organisations suivantes : Goldman-Sachs, Royal Bank of Scotland, Irish Allied Bank, British Petroleum (BP), l’ONU, l’UE, le GATT, l’OMC, la Commission trilatérale, le groupe de Bilderberg [1].
C’est pour ce genre d’individu et surtout de programme politique – le fameux Grand remplacement – que luttent les « révolutionnaires » ukrainiens, Praviy Sektor, Svoboda, ainsi que leurs amis en France et ailleurs, en harmonie avec l’immigrationisme fanatique soutenu par la Commission européenne et l’ONU au service du marché. Olivier Berlanda résumait ainsi les choses : « L’ONU et l’UE sont des institutions supranationales qui prennent des décisions collégiales après avoir soumis leurs projets à d’innombrables lobbies. Au-delà des doux rêveurs onusiens pensant que le transfert de population par centaines de millions va sauver la planète, les principales organisations soutenant cette politique ont été les multinationales, les lobbies pétroliers, miniers, agro-alimentaires [2]… »
Si les putschistes de l’EuroMaïdan parviennent à leurs fins, à savoir obtenir la libre circulation des capitaux et des immigrés en Ukraine, c’est Leonarda qui va être contente, elle qui déclarait : « On est nés en Italie, mais on a des passeports croates. On peut aller où on veut après, c’est l’Europe, et puis voilà ! [3] »
En octobre 2013, avant le coup d’État, l’ouverture de l’Ukraine aux Roms faisait déjà partie de l’accord d’association avec l’UE : « Des centaines de milliers de Roms de l’Union européenne pourraient trouver refuge en Ukraine. Le pays s’est engagé à accueillir ces populations dans le cadre d’un accord d’association avec l’UE. Le président ukrainien Viktor Yanoukovitch a signé un décret sur cette question en avril. Le délai de 6 mois accordé par le chef d’État ukrainien au gouvernement pour élaborer un projet spécial de réinstallation et d’intégration des Roms expire bientôt [4]. »
À l’expiration du délai de 6 mois, finalement, le président Yanoukovitch et son gouvernement refusaient de signer l’accord d’association avec l’Union européenne et de s’engager dans ce « projet spécial de réinstallation et d’intégration des Roms » en Ukraine. Cette reculade spectaculaire du gouvernement ukrainien au dernier moment, probablement causée par un éclair de lucidité, déclencha la fureur de l’opposition cosmopolite qui se lança alors dans le putsch de l’EuroMaïdan pour forcer l’Ukraine à reprendre la marche vers l’UE, donc vers l’installation des Roms en Ukraine, et plus largement vers l’ouverture à tous les vents et la dislocation entropique du pays. La famille Dibrani et les Roms d’Europe peuvent dire un grand « merci » à Svoboda, Praviy Sektor et aux divers bataillons de mercenaires et de skinheads qui, entre deux packs de bière, se battent jusqu’à la mort pour imposer la société multiethnique et multiculturelle en Ukraine, conformément aux vœux de Bernard-Henri Lévy.
Pendant ce temps, la Russie commence à réfléchir, sans langue de bois ni politiquement correct, aux « risques sociaux de l’immigration » et à faire le procès des flux migratoires incontrôlés : « Le problème de l’immigration, repoussé au second plan par les événements en Ukraine, demeure une menace à la sécurité nationale, annonce un rapport de l’Institut de stratégie nationale intitulé "Les risques sociaux de l’immigration", écrit jeudi 31 juillet le quotidien Nezavissimaïa gazeta. "L’absence de politique gouvernementale cohérente sur ce plan aggrave non seulement la situation, mais change également l’opinion publique en renforçant l’instabilité au sein de la société", affirment les auteurs de l’étude. Selon ces derniers, les autorités russes devraient se préparer à une nouvelle vague d’immigration et de violence politique des immigrés [5]. »
La vie suppose nécessairement un certain degré de fermeture si l’on souhaite conserver son intégrité et son identité sur le long terme. La Russie revient de loin, après avoir failli disparaître complètement dans les années 1990, sous Boris Eltsine, par excès d’ouverture justement, c’est-à-dire par excès de libéralisme économique et de libertarisme identitaire. Tout indique que la Russie a redressé la barre par rapport à cette époque et qu’elle s’est engagée dans un processus qui la conduira nécessairement à fermer ses frontières de manière sélective et à durcir les conditions de l’immigration chez elle. De nombreux Russes pro-occidentaux, y compris dans les sphères du pouvoir, cherchent encore à « ouvrir » toujours plus leur pays, mais la tendance de fond en Russie dit aujourd’hui « niet » à l’immigrationisme, au mondialisme, à la destruction des nations et au marché global. Comme on le voit à propos de la Syrie ou de l’Ukraine, le Kremlin campe fermement sur les principes westphaliens de respect des frontières et des limites, principes qui garantissent la multipolarité et sur lesquels Poutine lui-même s’est exprimé clairement dans un discours en 2014 : « "Le modèle d’un monde unipolaire a échoué. Chacun le voit bien aujourd’hui, même ceux qui tentent d’agir à la manière habituelle, de garder le monopole, de dicter leurs règles du jeu en politique, dans le commerce, les finances, d’imposer des normes culturelles et comportementales", a déclaré Vladimir Poutine lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg [6]. »
Un tel défi à la gouvernance globale a poussé Christopher R. Hill, un diplomate américain du département d’État, ancien ambassadeur des USA dans plusieurs pays, à accuser la Russie d’avoir mis fin au Nouvel Ordre Mondial ! Dans un article publié sur le site de Project Syndicate, un think-tank sponsorisé notamment par George Soros, il déplorait la nouvelle donne géopolitique, en la travestissant un peu pour mieux dramatiser : « Russia’s annexation of Crimea and ongoing intimidation of Ukraine appears to mean the end of a 25-year period whose hallmark was an effort to bring Russia into greater alignment with Euro-Atlantic goals and traditions. (…) This new world order held for almost 25 years. Except for Russia’s brief war with Georgia in August 2008 (a conflict generally seen as instigated by reckless Georgian leadership), Russia’s acquiescence and commitment to the "new world order", however problematic, was one of the great accomplishments of the post-Cold War era [7]. »
Un nombrilisme géopolitique aussi candide, avouant sans fard sa stratégie d’alignement du monde entier, dont la Russie, sur les « buts et traditions Euro-Atlantiques », en réalité l’ultralibéralisme immigrationiste d’un Peter Sutherland, laisse pantois. Ce clivage entre deux projets mondiaux, l’un unipolaire soutenu par un axe impérial Washington/Tel-Aviv, et l’autre multipolaire soutenu par les BRICS, l’OCS ou l’Union eurasiatique, est largement commenté par Alexandre Douguine ou Jean Géronimo. Ce dernier résumait dans un entretien la stratégie russe notamment dans son rapport aux BRICS et à son étranger proche : « Dans le prolongement de la Pérestroïka gorbatchévienne, Vladimir Poutine vise à instaurer une gouvernance mondiale plus équilibrée, intégrant les nouvelles puissances (ré-)émergentes (dont Russie, Chine, Inde) et privilégiant le rôle de l’ONU, comme vecteur du pluralisme démocratique. À terme, l’objectif est de créer un monde multipolaire contestant l’hégémonie américaine [8]. »
Que peut-on souhaiter à l’Ukraine, si ce n’est qu’elle échappe au plus vite à l’orbite de l’Occident « sans frontières » où l’EuroMaïdan l’a précipitée ? Les craintes de certains observateurs que l’Ukraine reste un satellite de Moscou sont totalement anachroniques et infondées. Quand on l’examine sans a priori paranoïaque, il apparaît évident que la logique profonde de la multipolarité défendue par Moscou ou Pékin est celle d’un partenariat rationnel gagnant-gagnant pour tout le monde, pour les gros comme pour les petits. Telle est la différence majeure avec l’autre projet, dit atlantiste, soutenu par la puissance économique du dollar, dont la zone euro est aujourd’hui prisonnière également et dont la logique folle n’est même pas gagnant-perdant, mais bien perdant-perdant, pour tout le monde y compris pour ceux qui en tirent les ficelles.