Les innombrables espaces publicitaires qui infestent aujourd’hui nos structures urbaines permettent la promotion massive des « œuvres » culturelles les plus soutenues financièrement et idéologiquement. Personne n’a ainsi pu manquer l’affiche du prochain film de Michaël Youn, Vive la France, qui sortira en février prochain.
Sur l’affiche, les deux caboches burlesques de Youn et Garcia sont entourées de scènes qui laissent à penser qu’il s’agira d’un « humoristique » tour de France par les deux personnages principaux.
Notre œil suspicieux s’est donc porté sur la bande-annonce.
Au visionnage, il apparaît que Youn reprend à présent à sa sauce le filon ouvert par Borat, la production d’un de ses homologues, le très grossier Sacha Baron Cohen. On retrouvera donc le même concept, appliqué au cas français. Il s’agit certainement d’un remake assumé. Cette tendance contemporaine à préférer la reprise juteuse à la vraie création paraît assez emblématique de la dégradation des milieux artistiques et de leur indépendance, mais passons.
Les deux personnages principaux, joués par Youn lui-même et José Garcia, sont deux bergers du Taboulistan, un sombre pays d’Asie centrale, où règnent l’ignorance, l’idolâtrie, la misogynie et dans l’ensemble un crasseux et dégoûtant sous-développement.
Au boulot ou ailleurs, les patriotes que nous sommes, qualifiés de racistes pour avoir parlé d’auto-détermination des peuples et d’enracinement, verront donc, abasourdis, la greluche moyenne – celle-la même qui appelle son collègue d’origine africaine « boubou » et dit sans rire qu’il doit « bien savoir danser » – aller s’esclaffer au cinéma devant des scènes puant le mépris ethnoculturel et la suffisance occidentale.
Mais c’est de l’humour, nous dira-t-on. On osera peut-être même nous affirmer, comme après les critiques qui s’étaient portées sur Borat, qu’il s’agit là d’une façon de dénoncer les préjugés. Mais bien sûr.
Les deux bergers dingos sont donc envoyés par leur dictateur en France pour un étrange projet d’attentat contre la tour Eiffel dont l’objectif est de faire connaître le Taboulistan. De rebondissements en rebondissements, nos voyageurs vont malgré eux faire un tour de France plein de mésaventures liées aux spécificités culturelles françaises.
Dans la continuité de l’affiche, on peut sentir, dès le teaser, un arrière goût de dédain et de haine envers tout ce qui constitue la France dans son intégrité enracinée. Le Français est ainsi présenté comme une grande gueule égoïste abusivement accrochée à ses privilèges sociaux et ses lourdes administrations bureaucratiques.
Les régions, à commencer par la Corse et le Sud, sont montrées comme des zones emplies d’idiots plus ou moins sympathiques, complètement fermés sur eux-mêmes. Par ces caricatures amusantes, on sous-entend d’ailleurs une certaine véracité ; le but semble donc double, on se moque subtilement d’un état de médiocrité tout en l’encourageant. La seule bonne rencontre que feront visiblement les aventuriers est une jolie jeune femme, dépeinte comme bien au-dessus du lot, et pour cause : elle est journaliste et nymphomane…
Les Français n’ont pas demandé ce dégueulis sournois de gags mettant en scène leurs soi-disant travers. Pourtant, ils y auront droit. Le film est produit par Alain Goldman, qui, étrangement, est aussi le producteur des Rivières Pourpres 2 et de La Rafle, des films gorgés de messages caricaturaux.
On retrouve ainsi une fâcheuse tendance communautaire, celle qui consiste à critiquer, parodier, juger, représenter le monde, tout en refusant la réciproque. Il est même interdit de simplement nommer la communauté, sous peine d’une suspicion immédiate d’antisémitisme [1].
Et si, nous aussi, simples goys, nous nous octroyions ces largesses ? Imaginez donc : en lieu et place de cette affiche intitulée « Vive la France », une affiche intitulée « Vive Israël », avec, en gros et au milieu, la tête d’un certain « Jean Legentil », acteur et réalisateur, orné d’un faux nez proéminent et de dents pointues. Autour de ce visage volontairement hideux et grimaçant, un ramassis de lieux communs agressifs : en bas, un soldat du Tsahal tuant à bout portant un Palestinien, à gauche deux trafiquants de diamant louchant sur une valise pleine de billets, à droite un réalisateur de films pornographiques juif et obèse, affalé négligemment, un cigare à la bouche, et en haut Bernard Madoff dans son salon, admirant un portrait de Stavisky…
Pas sûr que M. Goldman soit d’accord. Pas sûr non plus que notre idée obtienne les faveurs de la presse « française » et que Télérama y voie « du grand art », comme on avait pu le lire au sujet de Borat [2].