De nombreux médias se sont récemment fait l’écho d’une étude américaine, qui compare l’impact des responsabilités professionnelles sur l’occurrence de symptômes dépressifs chez l’homme et la femme [1]. L’étude a ainsi mis en évidence que les femmes occupant des responsabilités dans les entreprises seraient plus stressées et présenteraient davantage de symptômes liés à la dépression que la moyenne des femmes. Chez les hommes ayant eux aussi des positions managériales, au contraire, les symptômes de dépression seraient non seulement plus faibles que chez les femmes de même niveau professionnel, mais ils seraient aussi moindres que ceux que l’on pourrait rencontrer chez les hommes en général.
L’étude est le fruit du travail d’une sociologue, Tetyana Pudrovska, de l’université du Texas. Elle a été réalisée sur un panel de quelques milliers d’hommes et femmes, en utilisant des données de 1993 et de 2004. Les sujets étaient alors âgés de 54 ans, puis 65 ans. Plusieurs types de responsabilités ont été observés, et les tendances précitées se sont à chaque fois confirmées. Ce sont chez les femmes ayant à recruter et licencier des collaborateurs dans le cadre de leurs fonctions que l’on trouve la plus grande différence par rapport à la moyenne des femmes [2].
Les conclusions issues de l’étude et reprises par les articles de presse sont qu’une telle différence entre les deux sexes serait bien évidemment due aux « stéréotypes » qui pèseraient sur les femmes. Ces stéréotypes nuiraient à leur sentiment de légitimité pour assurer des tâches de management, ce qui leur causerait un très injuste mal-être [3].
Les conclusions, comme souvent en matière d’étude statistique ciblée sur le genre, violent ainsi un principe de bon sens absolument évident : une différence statistique observée entre deux groupes dénonce un biais exogène si et seulement si on peut raisonnablement établir que ces groupes sont, d’un point de vue endogène, égaux à l’origine face au phénomène observé. Et l’erreur vient bien de là : l’étude part du principe que les hommes et les femmes sont « égaux » en termes de capacité et de sensibilité dans un contexte professionnel donné. Les différences statistiques entre les hommes et les femmes ne peuvent ainsi qu’être le résultat d’un biais « culturel » : les fameux stéréotypes.
Il pourrait suffire de considérer les conclusions de l’étude comme nécessairement fausses, puisqu’elles font l’oubli aberrant d’une réalité bien charnelle : un homme est un homme et une femme est une femme. Ce propos peut cependant être affiné en faisant appel aux travaux d’Otto Weininger : chaque individu est en réalité une combinaison de masculin et de féminin, chacun des deux pôles ayant des caractéristiques fondamentales propres. On trouvera ainsi plus généralement des caractéristiques masculines chez les hommes et inversement, sans que cela n’exclue la grande diversité de caractères possibles de part le nombre infini de compositions potentielles des deux tendances. Et on peut déduire que, additionnée aux spécificités de la personnalité, cette composition conditionne le caractère d’un individu et le rend adapté, ou non, à telle ou telle position ou contexte professionnel. La théorie rejoint ainsi les réalités factuelles que chacun peut facilement observer au quotidien.
Mais alors pourquoi trouve-t-on aujourd’hui, aux côtés de femmes tout à fait à l’aise dans des postes de direction (des femmes aux caractères singuliers dont la masculinité importante dans leur composition perce jusque dans les traits physiques et comportementaux, comme nous invite à l’observer Weininger) d’autres femmes qui occupent ces même types de postes bien qu’elles y rencontrent une souffrance personnelle, preuve de leur volonté de poursuivre une carrière en inadéquation avec leur caractère propre ?
Il faut pour expliquer cela se rappeler des contraintes que notre époque fait peser sur les choix de vie : pression matérielle (insuffisance d’un salaire unique pour assurer des revenus aisés) pression émotionnelle (nécessité d’auto-suffisance financière dans un monde d’individualisme et de prédation où même la protection des siens, la famille, laisse sa place aux mécanismes intéressés du marché) ou encore et surtout pression symbolique (mythe de la femme indépendante, dévalorisation du rôle de mère au foyer, réussite professionnelle placée comme unique voie d’épanouissement…). On notera aussi l’impact encore faible mais grandissant de la féminisation des postes de direction, imposée directement par la mise en place des quotas.
Ainsi le résultat de l’étude nous en dit-il en réalité plus sur les différences inhérentes entre les particularités propres à la féminité et à la masculinité, en l’occurrence leur adéquation avec les interactions humaines que supposent un poste de direction, que sur de prétendus stéréotypes. Accepter de considérer l’inverse, comme le fait l’étude, est aussi juste d’un point de vue méthodologique que d’affirmer, par exemple, que si les hommes composent plus de 95 % de la population carcérale, c’est parce qu’ils sont discriminés par l’appareil judiciaire et subissent des « stéréotypes » !
Au-delà des réalités charnelles des deux sexes, les rapports socio-économiques ne sont en fait que peu motivés par des prétendus héritages culturels relatifs au genre, comme le prétend le voile mensonger du féminisme, mais bien par des dynamiques de rapports de classe. Un fait rappelé par Alain Soral, dans la continuité de travaux de Michel Clouscard :
Et comme nous parlons de rapports de classe, il ne faut pas oublier qu’à coté de la femme cadre supérieure, cette « victime » que l’on devrait plaindre car son ambition mal placée l’a amenée au stress et aux « symptômes » dépressifs, le quotidien de nombreuses femmes de milieux plus modestes est bien plus cruel. Le paradigme libéral-libertaire, dont le féminisme est d’ailleurs l’un des premiers relais idéologiques, a entraîné la généralisation de la précarité du travail (flexibilisation du marché du travail et chômage de masse organisé) de l’insécurité généralisée (laxisme judiciaire et abandon des quartiers populaires) et de la solitude (individualisme forcené et dévalorisation de la famille).
Une évolution lapidairement mais parfaitement mise en lumière par Dominique Venner à travers ces quelques lignes, qui prouvent au passage que la gauche du travail et la droite des valeurs se retrouvent souvent par le constat honnête de la réalité et le sérieux de l’analyse !
« Les femmes en pâtissent [du féminisme], comme elles pâtissent d’un système éducatif qui les prépare à divers métiers entrant dans la logique production/consommation en les détournant de leurs fonctions sacrées. Il est vrai que prendre deux fois par jour un bus ou un métro bondés et subir ensuite les avanies d’un chef de service, de collègues ou de clients revêches est un sort épanouissant ! […] Les jeunes mariées et les jeunes mères ayant été souvent transformées en handicapées bardées de diplômes, c’est tout bénéfice pour le système marchand et celui de consommation. Les femmes produisent des salaires qu’elles sont priées de dépenser illico en fringues jetables, entretenant le très rentable et inutile mécanisme du gaspillage. »
Dominique Venner Le Choc de L’histoire, Via Romana, 2011, p.76