Comme promis, voici le récit, sous forme d’entretien, du séjour que notre collaborateur Guy Delorme et Alain Soral, contempteur bien connu du Nouvel ordre mondial et auteur du best-seller géopolitique »Comprendre l’Empire », ont effectué, dimanche 21 août et lundi 22, avec quelque 200 journalistes et personnalités de 18 nations en Syrie, à Damas d’abord puis à Hama, naguère point très chaud de l’agitation. Pas de langue de bois pro-Bachar, comme on le verra en lisant ce récit, dans la bouche de ces deux Français, mais pas non plus, évidemment, de ces lieux-communs et mensongers diffusés depuis plus de 5 mois, à présent, par les médias sous influence – de leurs préjugés comme de leurs gouvernements.
Certains nous objecteront que deux journées et demie, c’est court pour prendre la vraie mesure d’une situation complexe. Nous répondons que c’est assez pour que des esprits aiguisés, dotés malgré leurs sympathies politiques d’esprit critique et connaissant leur « dossier » syrien, se fassent une idée assez exacte de l’atmosphère prévalant en Syrie, au moins en ce qui concerne ces deux cités essentielles que sont Damas et Hama. Et l’on verra que l’atmosphère en question est assez détendue, même à Hama, et donc à mille lieues du tableau mélodramatique et manichéen que dressent invariablement les commentateurs d’Occident.
Bon voyage « alter-journalistique » en Syrie « opprimée » !
Première partie
Dimanche 21 août : Damas, à des années-lumière de toute révolution
-Infosyrie : Pour commencer, avez-vous eu des problèmes pour vous rendre en Syrie, qu’il s’agisse de visas ou d’éventuelles « pressions » policières ?
-Alain Soral : Non, aucun problème ! Moi même je n’avais pas de visa au moment de partir, il m’attendait sur place, et ça n’a causé aucun problème.
-IS : Et dans l’avion, que trouvait-on ? des Syriens de France revenant au pays ? Des hommes d’affaires ? Des participants au voyage de presse ?
-AS : Là, il m’est difficile de répondre avec précision, puisqu’on a transité par Istanbul où descendent pas mal de touristes français. Et dans l’avion qui nous menait à Damas, on comptait beaucoup de Turcs, apparemment pas gênés par les tensions diplomatiques entre les deux pays. Bref, les deux avions étaient pleins, et notamment de journalistes invités par les autorités syriennes. Parmi lesquels, côté français, une journaliste de FR3 et son équipe et le reporter du Figaro Georges Malbrunot dont vous avez déjà parlé sur votre site, et dont on va d’ailleurs reparler dans le cours de cet entretien. Sinon, d’assez gros contingents de journalistes russes, indiens, plus quelques personnalités pro-syriennes venue de différents pays.
-IS : Et lorsque vous arrivez à Damas, vendredi soir, que se passe-t-il ? Vous êtes pris en charge par une sorte de « comité des fêtes », des représentants du gouvernement ?
-AS : Je dirai que l’arrivée à l’aéroport de Damas est un peu décevante pour notre ego, car il n’y a personne pour nous accueillir ! On nous demande notre passeport et on veut même nous faire payer notre visa… Finalement, après discussion, c’est gratuit, mais tout montre que les responsables de l’aéroport ne sont pas trop au courant du caractère particulier de notre visite. C’est à l’extérieur des bâtiments que nous sommes enfin réceptionnés par de jeunes garçons, dans les 18 ans, semble-t-il membres d’un mouvement de jeunesse, entre scoutisme et politique. Et d’ailleurs assez peu politisés et peu au fait des exigences, même minimum, de la communication politique. Tout ça témoignait d’un aspect un peu « amateur » de cette opération, qui, j’aurai l’occasion de le repréciser, n’était d’ailleurs pas de la responsabilité directe du gouvernement.
-IS : Etape suivante ?
-AS : On nous fait monter dans un minibus qui nous conduit à l’hôtel Cham, un palace d’Etat où nous sommes très bien logés. C’est là qu’on nous remet notre « emploi du temps » pour les journées de dimanche et lundi. Je précise que nous sommes arrivés dans la nuit de samedi à dimanche, vers 3 heures du matin, à l’hôtel : nous n’avons donc pas pu prendre le pouls du « saturday night » damascène… »
-IS : Et donc dimanche…
-AS : Après le (gros) petit-déjeuner, on nous emmène visiter la plus grande église – grecque orthodoxe – du monde arabe, baptisée « Marie-Mariam » : c’est justement celle dont l’évêque, Mgr Louqa al-Khoury, a expulsé sans ménagement l’ambassadeur américain Robert Ford, venu faire son agit-prop’ (voir notre article « Le Figaro : la révolte introuvable à Damas ! » , mis en ligne le 22 août). C’est sans doute lui qui nous adresse une allocution dont nous ne comprendrons hélas que des bribes. Mais le sens de la démonstration est claire : la Syrie est une mosaïque, jusqu’à présent harmonieuse, de communautés religieuses dont l’Etat laïc et baasiste assure la coexistence harmonieuse. C’est du reste, au-delà des figures de rhétorique et de propagande, la rigoureuse vérité. Alors que les ennemis extérieurs du régime – ce que j’appelle moi l’ »Empire » mondialiste – aimeraient utiliser les rivalités religieuses pour créer en Syrie une situation à la libanaise ou à l’irakienne.
Pour compléter la démonstration, on est ensuite allé visiter la grande mosquée des Omeyyades, un bel et impressionnant ensemble qui abrite – étonnant raccourci symbolique et religieux – le tombeau de saint Jean-Baptiste. Et on a jeté un coup d’oeil au quartier juif qui vit sa vie sans aucun problème. C’est du reste là qu’on comprend vraiment la nuance qui doit exister – et qu’on voudrait nous dénier en France – entre les termes « juif » et « sioniste ». Car juifs, musulmans et chrétiens, de l’empire ottoman à la Syrie sous mandat français et même dans les premiers temps de l’indépendance, ont cohabité sans heurts majeurs, coopérant principalement dans la sphère du commerce. La création d’Israël a évidemment bouleversé cette donne, et du reste provoqué un exode de la communauté juive syrienne.
-IS : C’était donc l’occasion, cette fois, de prendre la température de Damas. Alors, voit-on beaucoup de policiers, a-t-on le sentiment d’un « état de siège » ?
-AS : Réponse : aucune différence avec ma première visite, voici cinq ans, quand tout était calme ; il n’y a aucune présence militaire ou même policière visible à Damas et dans ses environs.
-Guy Delorme : A ce propos, je voudrais dire que j’étais quant à moi entré en Syrie en juin dernier, par le Liban. Je m’étais dit que, compte tenu des événements en cours, et aussi de ma nationalité française, le franchissement de la frontière allait être un véritable cauchemar d’attente et de formalités. Eh bien ça ne m’a pris que dix minutes, et sur la route de Damas, je n’ai pas vu un seul militaire, alors qu’on était en plein mouvement de contestation et que nos médias nous décrivaient la Syrie comme un Etat policier tirant à vue sur tout ce qui bouge ! J’avais beau être conscient de l’ampleur de la désinformation, j’étais quand même surpris.
-AS : Et pour en revenir à Damas et à notre week-end prolongé, on ne voit dans la capitale syrienne aucun bombage politique, de tags sur les murs. Tout ça donne une impression de calme civil général, une atmosphère urbaine au moins aussi respirable que celle de Paris.
-IS : Et pendant ces déplacements, et ces déjeuners copieux et orientaux dont on vous régalait, avez-vous des contacts avec les quelques journalistes français ayant fait le déplacement ?
-AS : En fait, et dût ma modestie en souffrir, c’est eux qui ont cherché le contact avec moi, m’ayant reconnu tout de suite ; la fille de FR3 était très sympathique et sans idées préconçues sur la Syrie, et sensible à nos arguments ; en revanche l’homme du Figaro, Georges Malbrunot, faisait autant qu’il le pouvait du mauvais esprit, affichant en permanence le sourire supérieur de celui-à-qui-on-ne-la-fait-pas, et assiégeait en quelque sorte sa collègue pour lui « vendre » sa version, très dévorable à Bachar al-Assad comme on s’en doute.
-IS : Moyennant quoi, le reportage qu’elle a réalisé pour FR3 était assez fielleux, même s’il montrait – enfin – les vidéos des hommes armés et des cadavres jetés dans l’Oronte à Hama, quitte à recourir à un conditionnel décrédibilisant…
-AS : Je voudrais dire aussi que les élites bourgeoises, et la classe moyenne du pays, ainsi que la part adulte des milieux modestes sont très conscientes du danger qu’il y aurait à chasser Bachar du pouvoir, car ce serait ouvrir – inévitablement – la porte à l’extrémisme religieux, et donc mettre fin à ce qu’il faut bien appeler, dans cette région travaillées par les tensions religieuses, le « miracle syrien ».
-IS : Alors d’où viennent les « gros bataillons » de l’opposition, des banlieues défavorisées, comme en France ?
-AS : Pas uniquement : il y a la jeunesse plus ou moins dorée et occidentalisée, les bobos locaux qui, comme d’ailleurs à Téhéran naguère, rêvent d’une société plus « ouverte » ou « cool ». Du coup ils développent une action de contestation qui fait pas mal penser à nos étudiants soixanthuitards, eux aussi issus de milieux privilégiés, qui jugeaient la société du général De Gaulle démodée et étouffante, et ont fini par mettre au pouvoir des élites complètement américanisées. Et, parallèlement, je serais très tenté de trouver une correspondance historique entre la France de De Gaulle, provinciale mais indépendante et fière, et la Syrie de Bachar, elle aussi nationaliste et modernisatrice, mais marquée par une certaine rigidité sociale et culturelle héritée du modèle soviétique, certainement un rien étouffante pour une jeunesse branchée addict de Facebook. Mais comme on le voit en France avec le recul de quarante ans, cette société « gaulliste » était encore un moindre mal par rapport à tout ce qui a suivi. Et je pense que la même chose arriverait aux Syriens, si on leur imposait un régime aligné sur l’Occident. Beaucoup des contestataires d’aujourd’hui regretteraient, j’en suis sûr, Bachar, comme un certain nombre d’intellos français ex-gauchistes clament à présent leur nostalgie de la grandeur et de l’intégrité gaulliennes.
-IS : Sans doute, mais il doit y avoir aussi dans la rue des jeunes chômeurs, ou des « sauvageons » locaux, sans grandes perspectives immédiates, prêts à l’émeute par ennui ou désespoir ?
-AS : Certainement, et ils constituent un « lumpen-prolétariat » exploitable par tous les experts en manipulations et provocations. Mais la grande différence avec ce qui a pu exister en France, c’est qu’il y a vraiment à l’oeuvre en Syrie des groupes actifs de « snipers », d’assassins, à l’évidence financés et armés de l’extérieur, disposant par exemple de téléphones satellitaires de haut niveau et d’armes de guerre modernes, s’appuyant sur une base sociale islamiste radicale indéniable, et donc capable de commettre des provocations très graves, causant la mort de nombreux policiers comme à Jisr al-Choughour et, plus récemment, à Hama, on y viendra bientôt.
-IS : Le dimanche soir à Damas, on imagine que vous avez « quartier libre ». Qu’en faites-vous ?
-AS : Eh bien, contrairement à nos collègues de la grande presse, on a fait un vrai travail de journalistes, c’est-à-dire qu’on a quitté le groupe et la visite organisée. On s’est promené, pour voir par nous-même, on a discuté, autant qu’il était possible et en anglais, avec le plus de gens possible…
-IS : On parle encore français, en Syrie ?
-GD : Malheureusement, de moins en moins, surtout les personnes âgées. On a notamment échangé des impressions avec un chauffeur de taxi qui nous disait qu’il n’avait pas vu de touristes occidentaux à Damas depuis plus de trois mois. Et c’est un grand problème pour un pays qui tirait 14% de son P.I.B. de l’activité de ce secteur. Les Américains et leurs seconds européens ont au moins réussi ça !
-IS : Est-il indiscret de vous demander des détails sur votre dimanche soir ?
-GD : Non, bien sûr. On est allé prendre un verre dans une sorte de bar branché. Car il y a une vie nocturne « à l’occidentale » à Damas, la société est laïque et assez moderne, et même en période de ramadan, on peut s’amuser et boire de l’alcool. Et puis, c’est une constante surprenante compte tenu de tout ce qu’on nous raconte, aucune présence policière : le Paris de Sarkozy est à l’évidence plus « fliqué » que le Damas de Bachar al-Assad.
-AS : Et puis, il a bien fallu rentrer nous coucher dans notre palace. Dans la perspective de notre « sortie éducative » à Hama le lendemain…
Propos recueillis par Louis Denghien.
Prochain épisode :
Lundi 22 août : dans Hama après l’orage