Les « outils pédagogiques » de l’ABCD de l’égalité nous apprennent que la Belle des contes de notre enfance serait une figure passive servant de faire-valoir au héros masculin : « Elle est en position d’attente d’une situation sociale », nous dit-on. Son seul mérite serait sa beauté « comme don des fées » ou encore « comme don divin », c’est-à-dire qu’elle n’a pas mérité sa beauté, elle l’a reçue et ne l’a pas gagnée : « La beauté permet à la jeune fille/femme d’être aimable, au sens premier du terme, et charmante. Elle a un rôle passif. »
Une remarque d’abord sur cette beauté, attribut passif permettant d’être aimé : cessons l’hypocrisie ! Comment, dans une société où la course à la beauté dont les critères, jamais accessibles, sont imposés par la mode, fluctuante, sans fondements anthropologiques, qui mène les jeunes filles et bientôt – au nom de l’égalité !? – les jeunes hommes, aux traitements les plus fous et les plus onéreux pour avoir les cheveux lisses, un jour blonds, l’autre noirs, la peau bronzée, le nez « en forme de tour Eiffel » ou en forme de trompette, qui les mène à l’anorexie, à la chirurgie, et parfois au suicide, comment peut-on oser la critique de la beauté comme facteur d’attraction ? Au motif qu’elle serait un don ? Faut-il pour être « méritée » qu’elle soit le résultat d’une longue course désespérée pour... coller aux stéréotypes ? Stéréotypes temporaires d’une mode qui court toujours plus vite, et finir sa course en vieux liftés à la peau trop tirée, soutenant leur libido déclinante à coups de pilules, frustrés, toujours frustrés de n’avoir pas pu se contenter de ce que la nature leur avait donné, ni accepter des ans, l’irréparable outrage ?
La beauté est donnée, et ce don est injuste. C’est ainsi.
Continuons. La beauté rend aimable : soit ! C’est une réalité, pas un stéréotype. Je doute fort que Vincent et Najat, pour choisir leur moitié, aient été attirés par la laideur. La beauté attire : c’est le facteur premier parce que c’est le premier que l’on voit. Mais une beauté défaillante peut être sublimée par l’amour, de même qu’une beauté éclatante peut devenir terne aux yeux de celui qui n’aime plus. L’amour dépasse la beauté. Mais pour le conte, cela suffit : il faut que la personne soit aimable pour nouer l’intrigue, ou parfois simplement pour la dénouer, lui donner une fin.
Notons enfin que le prince, lui aussi, est beau.
Reprenons le fil de notre démonstration : Blanche-Neige, Cendrillon, Raiponce, la Petite Sirène, la Belle-au-bois-dormant, des figures passives ?
Blanche-Neige : belle, oui, il faut qu’elle soit belle ; non pour attirer le prince qui n’intervient qu’à la toute fin de l’histoire, mais pour susciter la jalousie de la reine, sa belle-mère. Passive ? Attendant d’être sauvée par le prince ? Que nenni ! Elle se sauve avec l’aide d’un chasseur, traverse les bois peuplés de bêtes sauvages, apprivoise les sept nains méfiants qui acceptent finalement de l’héberger, et courageusement se met au travail : elle nettoie, balaie (ah ! voilà un stéréotype : elle balaye dans la maison ! Si elle balayait dehors, elle serait balayeur de rue : adieu le stéréotype !). Mais aussi elle chante, elle est gaie, elle accepte dans la bonne humeur une vie matériellement dégradée. Elle attend son prince : oui, comme tout le monde ou presque, elle espère aimer et être aimée. Stéréotype ?
Cendrillon : elle aussi, elle est belle. Mais sale. Sa beauté est cachée ; par jalousie on tente de l’enlaidir, par les travaux, les privations, les vilaines robes rapiécées. La jalousie, l’envie, après l’amour, est l’un des plus vieux moteur de l’humanité. Et donc des contes, des mythes et des légendes. Qui touche les femmes comme les hommes. Ici – comme la marâtre dans Blanche-Neige – ce sont des femmes qui ont ce vilain sentiment : la belle-mère, les demi-sœurs. De plus, elles sont laides. Comme quoi la figure de la femme dans les contes n’est pas toujours belle et aimable. Oui, mais me direz-vous, la figure désirée, celle de l’héroïne, est belle ! Encore une fois, à une époque où la beauté est tellement exaltée, quelle hypocrisie que de faire croire qu’il faudrait que l’héroïne soit laide pour échapper aux stéréotypes !
Poursuivons : Cendrillon n’attend pas passivement le prince ! Elle transgresse l’interdit, plus ou moins explicite selon les versions, de se rendre au bal. Avec l’aide de sa marraine (figure féminine pas vraiment passive), elle prend des risques : celui d’oublier l’heure, de se retrouver pauvresse à côté d’une citrouille dehors au milieu de la nuit ; celui d’être reconnue par sa marâtre et ses sœurs au bal. Et que fait le prince, si ce n’est de tomber amoureux et d’envoyer ses gens la chercher par tout le royaume ? L’actrice, celle qui a agi sur le destin, c’est elle, Cendrillon : elle n’accepte pas sa condition injuste de princesse humiliée et déclassée. Elle veut sa part de bonheur dans la vie. Stéréotype ?
Raiponce : ici, la Belle et son amoureux sont à égalité. C’est ensemble qu’ils vont lutter contre la sorcière. Enfermée dans sa tour, Raiponce veut sa liberté, et à défaut d’être ingénieur, elle est ingénieuse : elle demande au prince de lui amener de la soie pour lui permettre de fabriquer une corde pour s’évader. Après l’échec de leur stratagème, elle est emmenée par la sorcière qui l’abandonne dans le désert – où il ne suffit pas d’attendre passivement son prince pour survivre ! – pendant que lui erre, aveugle, pendant des années. Ils finissent par se retrouver, ex æquo, si l’on peut dire. Stéréotype ?
La Petite Sirène : amoureuse d’un prince qu’elle a sauvé de la noyade, elle veut échapper à son destin de sirène. Pour cela, elle accepte de perdre sa voix magnifique et d’avoir sa langue coupée, puis boit un philtre qui dans une douleur terrible transforme sa queue en jambes. Passive, la sirène ? Par sa volonté et ses sacrifices elle sort de sa condition. Plus encore : elle traverse la barrière des espèces. Hélas ! privée de sa voix elle ne peut se faire connaître du prince comme étant celle qui l’a sauvé et elle assiste impuissante à l’amour que celui-ci éprouve pour une princesse qu’il croit être son sauveteur. C’est digne d’une tragédie grecque. Malgré sa douleur, elle refuse de tuer le prince et de redevenir sirène ; elle préfère se jeter dans la mer et se transformer en écume. L’héroïne, c’est elle. Stéréotype ?
Reste, dans cette liste, à parler de La Belle au bois dormant. Comment le nier ? C’est dit dans le titre : la Belle dort. Difficile d’être plus passive. Mais le prince n’est pas un héros non plus. Il est à la chasse, on lui raconte que dans ce château dort une princesse merveilleuse. Il veut la voir et les ronces s’écartent pour le laisser passer : il n’a pas besoin de se battre à la machette pour accéder à la Belle ! Tout est figé dans le palais, personne ne lui barre la route : il n’a qu’à se pencher pour embrasser la princesse, ce qui n’a rien de bien héroïque !
On pourrait trouver mille autres exemples de contes dans lesquels les femmes se battent, refusent leur destin, gagnent leur bonheur au risque parfois de leur vie. C’est vrai, ce bonheur est celui, millénaire, de connaître l’amour, d’avoir des enfants. Stéréotype ? Qui peut nier qu’un des plus grand bonheur sur cette terre est celui d’avoir une famille, de participer à la chaîne de la vie humaine, d’avoir autour de soi des proches, suffisamment proches pour se fondre en une unité fondamentale de la société, avec qui l’on partage des valeurs, une vision du monde, en plus des soucis et du pain quotidien !
Alors, que voulez-vous vraiment déconstruire, Najat et Vincent ? Les stéréotypes ou la famille ?
Et en attendant votre réponse qui ne viendra pas, pardonnez-moi de déconstruire vos stéréotypes : la figure passive dans les contes, c’est souvent le prince !
Anne Lucken