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Yad Vashem a présenté lundi [3 février] ses excuses pour les « inexactitudes » et les « faits biaisés » présentés le mois dernier lors du forum mondial de la Shoah à Jérusalem, après que l’institution a été fustigée pour avoir lourdement souligné le rôle tenu par la Russie dans la fin de la guerre et pour avoir évité de mentionner des informations considérées par Moscou comme difficiles à accepter.
L’institution refuse néanmoins d’expliquer avec précision qui a été à l’origine de la production des vidéos ou les procédures suivies pour vérifier leurs contenus – des informations qui, selon les critiques, seront cruciales pour sauvegarder la réputation de Yad Vashem.
« Voilà ce qui arrive quand on utilise l’Histoire à des fins politiques », a commenté Deborah Lipstadt, spécialiste de la Shoah, dont la bataille devant les tribunaux l’opposant au révisionniste David Irving a été racontée en 2016 dans un film majeur à Hollywood.
« J’ai le cœur totalement brisé de voir que Yad Vashem, qui avait une réputation stellaire et qui restait au-dessus de la mêlée politique, a pu entrer dans cette politisation de l’Histoire », a-t-elle déploré. « Les dégâts potentiels essuyés par la réputation de Yad Vashem sont immenses et c’est tout simplement injuste » qu’une telle chose ait pu se produire.
« On peut espérer que Yad Vashem saura montrer plus de transparence de manière à ce que quelque chose comme ça ne se reproduise jamais. La Shoah en elle-même est si significative, la tragédie qu’elle porte est tellement immense, la douleur des victimes et des survivants est tellement forte qu’utiliser le génocide comme arme politique n’est qu’une profanation de tout ce que représente la Shoah », a-t-elle ajouté.
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Les vidéos présentées lors de la cérémonie à laquelle ont assisté des douzaines de dirigeants du monde entier – dont Vladimir Poutine – se sont concentrées presque exclusivement sur le rôle tenu par l’Union soviétique dans la défaite des nazis tout en minimisant celui des États-Unis, du Royaume-Uni et d’autres pays. Elles n’ont pas non plus mentionné l’accord conclu entre Joseph Staline et Adolf Hitler dans le pacte de Molotov–Ribbentrop qui avait précédé la guerre, l’occupation par la Russie de certaines parties de la Pologne et d’autres faits désagréables pour Moscou.
« Malheureusement, des vidéos de l’événement et en particulier celle qui voulait résumer les moments-clés de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah comportaient des inexactitudes et une peinture partiale des faits historiques, ce qui a pu créer une impression de déséquilibre », a dit le professeur Dan Michman, chef du centre de recherches du musée international de Yad Vashem, dans un communiqué publié sur le site internet du mémorial.
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« Le révisionnisme de l’Histoire dont s’est rendu coupable Yad Vashem en ce qui concerne le rôle de l’Union soviétique au cours du 75e anniversaire de la commémoration de la libération d’Auschwitz est regrettable », a estimé l’ex-directeur national de l’ADL (Anti-Defamation League), Abe Foxman. « Il faut que des explications soient données sur le pourquoi et le comment de ce qu’il s’est passé. C’est ça, en plus des excuses, qui rendra sa crédibilité à Yad Vashem ».
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Yad Vashem n’a pas précisé si les films avaient été évalués par les historiens de l’institution ou si des mécanismes de supervision avaient été mis en place pour examiner leurs contenus avant les projections.
Le Forum mondial sur la Shoah est une organisation dirigée par Moshe Kantor, un oligarque russe vivant à Londres à la tête du Congrès juif européen, connu pour être un proche de Poutine. […]
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« Yad Vashem ne s’était jamais engagé dans le révisionnisme de la Shoah, c’est exactement le contraire », a commenté Efraim Zuroff, chasseur de nazis à la tête du bureau de Jérusalem du Centre Simon Wiesenthal, qui présume que « les contenus n’ont pas été examinés » par les historiens de Yad Vashem avant d’être projetés au public.
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« C’est une institution d’État, ce n’est pas une instance spécialisée indépendante et, en tant que telle, elle peut être à la merci des nécessités politiques nationales variées – en particulier en termes de diplomatie et de politiques étrangères israéliennes. Mais à chaque fois que Yad Vashem offre une tribune aux politiciens et non aux spécialistes, l’institution risque de perdre le contrôle de sa propre indépendance d’expertise. Il est excessivement embarrassant pour l’un des lieux majeurs de commémoration de la Shoah dans le monde d’être prise en flagrant délit de révisionnisme, de semi-vérités et d’utilisation politique ».
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Cette controverse sur le révisionnisme historique de Yad Vashem survient moins de deux ans après les vives critiques adressées par des historiens au Premier ministre Benyamin Netanyahou qui, selon eux, s’était prêté à une initiative révisionniste après avoir paru approuver un narratif des années de guerre fait par la Pologne – le pays y défendait ses actions passées, minimisant ses actions criminelles pendant le génocide. Netanyahou avait émis un communiqué conjoint à ce sujet avec son homologue polonais Mateusz Morawiecki.
Ce communiqué tentait en lui-même de réparer des liens abîmés suite à la condamnation, par Jérusalem, d’une loi polonaise controversée qui rendait susceptible de poursuites judiciaires toute incrimination du pays dans les crimes nazis.
Sous Netanyahou, un nombre croissant de spécialistes ont accusé Israël d’ignorer ou de minimiser le révisionnisme de la Shoah en Europe centrale et de l’Est, avec Yad Vashem pris entre les deux feux.
Comme l’avait dit un employé de l’institution au New York Times, en 2018, « nous sommes nombreux à constater une collision entre ce que nous pensons être les leçons à tirer de la Shoah et ce qui, selon nous, relève de notre emploi et la manière dont Yad Vashem peut être utilisé à des desseins politiques ».
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