Nordahl Lelandais, Charles Manson, Henri Désiré Landru... Malgré l’horreur de leurs actes, ces criminels ont été convoités par de nombreuses femmes. Le phénomène, plus répandu qu’on ne le pense, porte un nom : le syndrome de Bonnie and Clyde.
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Anders Breivik, le tueur norvégien qui a assassiné 77 jeunes dans les environs d’Oslo en 2011, reçoit 800 lettres d’amour par mois. Avant lui, dans les années 1920, il y eut Henri Désiré Landru. Ce dernier, qui passait des annonces matrimoniales dans les journaux et découpait en morceaux les femmes qui y répondaient, a été accusé de 11 meurtres. Entre son procès et sa mise à mort, le « Barbe-Bleue de Gambais » a reçu pas moins de 800 demandes en mariage et plus de 4 000 lettres passionnées. De quoi se demander d’où peut bien venir une telle fascination morbide.
Cette attirance a d’abord été classée dans les paraphilies sous le doux nom d’hybristophilie (« aimer celui qui commet un outrage contre autrui »). Elle consiste non pas à aimer quelqu’un bien qu’il soit criminel, mais à l’aimer parce qu’il est criminel. Cette passion singulière porte aussi un autre nom : le syndrome de Bonnie and Clyde. Lorsque Bonnie Parker s’amourache de Clyde Barrow en 1930, celui-ci a déjà plusieurs condamnations pour vol à son actif. Le couple mythique de gangsters ensanglanta les États-Unis pendant plusieurs années et Bonnie accompagnera Clyde dans ses crimes jusqu’à la mort. Elle pose ainsi les bases du stéréotype de l’amoureuse du criminel. […]
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Au centre de cette mécanique du désir déroutante, on retrouve donc d’abord l’attirance pour la célébrité et le frisson de la transgression. C’est peut-être aussi ce que recherchait Afton Burton, jeune Américaine de 26 ans, au moment où elle s’est rapprochée de Charles Manson (photo). Elle se fiance même avec l’octogénaire commanditaire de plusieurs meurtres en 1969, dont celui de l’actrice Sharon Tate, alors enceinte de huit mois. Plus surprenant encore, elle est loin d’être la seule à s’être intéressée à lui : la « mansonmania », c’est 20 000 lettres et e-mails adressés à Charles Manson chaque année. Tous les autres membres de la « Manson Family » se sont d’ailleurs mariés durant leur incarcération.
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Un autre profil d’admiratrices est décrit par [la journaliste Isabelle Horlans, auteur de L’Amour (fou) pour un criminel] : « les infirmières », celles qui voient l’enfant blessé derrière le criminel et pensent pouvoir le remettre dans le droit chemin. « La plupart des correspondantes sont romantiques, dotées d’un instinct maternel qui n’a pas été toujours assouvi, écrit-elle. Derrière le prédateur, elles voient l’humain qui a besoin d’aide. »
« J’ai envie de le sauver et de le protéger. Je comprends ce qu’il ressent. S’il avait reçu une aide adaptée pour soigner sa maladie mentale, il n’aurait jamais commis ce crime », explique ainsi Hannah, 34 ans, amoureuse de Luka Magnotta. Le « dépeceur de Montréal » est devenu tristement célèbre en 2012 après avoir commis un meurtre sanglant, filmé et diffusé sur internet. Hannah fait partie du fan club qui lui voue un véritable culte en ligne.
Selon le docteur Coutanceau, « derrière l’image de l’homme incarcéré, il y a parfois l’innocent incompris. Quoi de plus exaltant que de s’élever contre l’injustice, réelle ou supposée ? Certaines personnes sont hypersensibles au malheur et donc bien plus touchées par la situation du condamné que par les crimes qui l’ont mené en prison. Ainsi naissent des sentiments que je qualifie d’“affectivo-materno-amoureux”. »
« "Je n’aime pas les mecs gentils", me confiait l’une de mes patientes en évoquant ses relations destructrices avec les hommes violents. » L’attirance pour le mâle alpha et les bad boys serait une autre explication aux amours pour les criminels. « L’attrait du “bad boy” se manifeste dès le collège. C’est le trublion qui défie le professeur, celui qui excite plus que le premier de la classe », explique le Dr Coutanceau.
« Cela remonte aux temps préhistoriques, lorsqu’il était crucial pour une femme de choisir un homme qui pourrait subvenir à ses besoins à elle et ses enfants, autant qu’il pourrait la défendre contre les menaces extérieures », écrit le psychologue Leon F. Seltzer, analysant le syndrome de Bonnie and Clyde sous l’angle de la psychologie évolutionnaire. Et d’ajouter : « Dans la société d’aujourd’hui, les femmes sont plus indépendantes et ont la liberté de choisir un partenaire d’abord pour des raisons mentales et émotionnelles, plutôt que physiques et matérielles. Mais leur conditionnement les prédispose à être attiré par les mâles alpha. La rationalité moderne peut être contredite par les instincts primaires qui n’ont rien ou très peu à voir avec la raison. » « En tant que thérapeute, j’ai rencontré beaucoup de femmes qui déploraient leur vulnérabilité envers des hommes dominants qu’en conscience, elles reconnaissaient comme étant mauvais pour elle », conclut-il.
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« Mes années passées en prison m’ont amené à diriger de nombreuses stagiaires, des étudiantes en psychologie qui achevaient leur cursus universitaire, ajoute le psychocriminologue Philip Jaffé. Dès leur arrivée, je les mettais en garde : ne vous habillez pas ainsi, ne vous comportez pas comme ça, etc. Eh bien, malgré l’enseignement qu’elles avaient reçu et mes avertissements, un tiers d’entre elles finissait quand même par tomber dans le piège. »
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Le phénomène est essentiellement féminin. Selon une enquête réalisée dans les prisons américaines, alors que seulement 35 % du personnel pénitencier est féminin, les inconduites sexuelles (impliquant un membre du personnel envers un détenu) concernent pour 73 % d’entre elles des femmes de l’administration pénitentiaire. Cela monte même à 94 % dans les centres pour mineurs.
Les tueuses n’attirent guère les hommes. Selon Philip Jaffé, « les hommes sont moins idéalistes que les femmes. Une relation épistolaire ne satisfait pas leurs besoins sexuels, quand la correspondante du prisonnier s’en passe volontiers ». « Il y a chez la femme des facteurs psychologiques qui la rendent plus vulnérable à l’attraction morbide des voyous, des gangsters, des criminels violents en général : instinct maternel, sensibilité à la souffrance, à la détresse, désir de protection, de sauvetage, de pardon, de rédemption du pécheur, écrit ainsi Michel Bénézech. Les femmes sont de façon générale beaucoup plus attirées par les hommes criminels que les hommes ne le sont par les femmes. »
Pour son livre Women who love men who kill, Sheila Isenberg a interrogé une trentaine de ces femmes hybristophiles et ne leur a trouvé que deux points communs : une foi à toute épreuve en un dieu miséricordieux et des souvenirs d’enfance sur fond d’agressions sexuelles ou de violences. Elle décrit des femmes intéressées par une relation « non normale », qui reproduisent le schéma d’un traumatisme antérieur. Elles sont par ailleurs issues de la classe moyenne ou supérieure et sont enseignantes, infirmières, doctorantes ou encore journalistes. Comme Sheila Isenberg, Isabelle Horlans n’a pas rencontré de femmes issues des classes défavorisées. « Sans doute ont-elles d’autres chats à fouetter », commente-t-elle dans son livre.
Aussi déroutant que cela puisse paraître et aussi dramatique que cela puisse être, le syndrome de Bonnie and Clyde est un mélange de fascination pour l’horreur et la célébrité, de frisson de la transgression, mais aussi de sentiment de charité et d’empathie débordante, voire aveugle. Un phénomène qui continue de fasciner autant qu’il peut parfois faire chavirer des vies.
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