L’interview Descente de police avec Thierry Ardisson et Jean-Luc Maître avait au moins l’avantage d’être précurseur. Il y a 33 ans exactement, celui qui deviendra l’homme en noir de la télé française et son acolyte secouaient les stars pour leur soutirer des infos. Ça paraissait (pour sa version écrite, évidemment) dans le mensuel Rock & Folk, c’était cru, souvent drôle, toujours mieux que la lèche lénifiante à la Drucker.
Certains y verront une resucée des Alcooloscopies du Professeur Choron – une parodie des Radioscopies de Jacques Chancel en radio – qui interviewait des stars en les arrosant de champagne, une méthode comme une autre pour les faire parler.
Tenez, un petit coup de Chancel avec le grand Bernard Blier (1970) :
Dans son émission culte Tout le monde en parle (1998-2006), Ardisson appliquera le même système avec bonheur mais avec de la vodka. Beaucoup des invités étaient bourrés en arrivant en plateau, ce qui arrangeait tout le monde : ça produisait des séquences inattendues, parfois choc, et ça décontractait ceux qui avaient la trouille de passer sous les fourches Caudines de la paire Ardisson-Baffie.
Passons sur la pubalgie, ou plutôt la nostalgie (humour), et attaquons le présent.
Aujourd’hui, il y en a qui essayent dans la presse de perpétuer cet esprit, à défaut d’inventer quelque chose de neuf, ce qui n’est pas facile. Presse rime souvent avec paresse. La subversion n’est plus que de pure forme et dans le fond il n’y a rien, ou alors de la grosse bien-pensance. Lâcheté et compromission à tous les étages.
C’est ce qu’on peut voir dans l’interview faussement décalée d’Élie Semoun par un journaliste qui essaye de faire plus drôle et plus trash que son invité. Or la loi numéro un du journaliste, du pigiste qui rame au présentateur du 20 Heures, est de s’effacer derrière son sujet, et non pas le parasiter. Certes, ça fait du bien à l’ego, mais on risque de finir en parasite des autres, de ceux qui ont « réussi », les gens célèbres. On leur prend un petit morceau de célébrité, mais pas longtemps. C’est très déprimant et ça finit généralement dans la coke et l’alcool avec un burn-out à 45 ans.
- La dernière couverture du magazine
La pub pour le journal Technikart né en 1991 avait un peu plus de chien :
C’est mignon mais en 2018, vous allez voir que les protagonistes du sketch se sont inversés...
« En arrivant au dernier étage de la Brasserie Barbès (Paris 18ème), où nous avons rendez-vous avec monsieur Semoun, on croise Yan Céh, pigiste de luxe pour mags snobinards (y compris Technikart). Ni une ni deux, on lui propose de mener l’entretien à deux. Attention les dégâts… »
Bof, question « dégâts », on n’a pas vu grand-chose, à part de la vanité et de la trouille. Voici deux morceaux de l’entretien. On n’a pas mis de guillemets parce que si on en met, alors il faut encore en mettre dedans avec les citations et les noms d’émissions et on n’en sort plus.
Laurence Rémila : Avant de venir ici, on a vu des comptes sur Insta’ qui font des remakes de tes Petites annonces.
Élie Semoun : Oui, je vois l’impact qu’elles ont eu sur plein de gens, c’est vraiment marrant. Je reçois des mails de filles qui me racontent en avoir refait quand elles étaient ados, comment elles se sont déguisées, etc. Mais je le vois aussi avec mes collègues humoristes qui sont plus jeunes que moi. En fait, j’ai l’impression parfois d’être le Bescherelle de l’humour ! Leurs références, à chaque fois, c’est ce que je faisais avec Dieudo et les petites annonces.Yan Céh : J’aimerais qu’un jour…
Ah non ! Ne dis pas « qu’on revienne ensemble avec Dieudo ! »Y.C. : Non, qu’il s’excuse !
Mais j’en ai parlé avec lui cinquante fois…Y.C. : Dans l’histoire avec Dieudonné, l’amour que tu as pour lui semble plus fort que toutes les conneries qu’il a pu dire depuis.
L’affection que j’ai pour lui, c’est plus fort, mais certaines choses ne peuvent pas s’effacer. D’ailleurs, c’est très drôle parce que quand il m’a proposé de revenir avec lui…Y.C. : C’est lui qui t’a proposé ?! Le mec n’a peur de rien.
Je lui ai dit « mais Dieudo, tu te rends bien compte que je vais me faire défoncer par tout le monde ! » Et il m’a répondu : « mais attends, moi, tu sais qu’avec Alain Soral, je vais me faire engueuler aussi ». (Rires.) Je me suis dit : là ça devient vraiment n’importe quoi ! (Silence.) Je ne sais pas s’il a conscience des répercussions que son travail a sur une certaine population. C’est quelqu’un qui influence. Dieudo a une responsabilité, comme chaque personnalité publique…
Houlala, s’en prendre à Dieudonné, quel courage ce pigiste.
Ensuite l’interview part dans le rien, on a gardé ça d’Élie Semoun, pour les jours de disette :
Tu sais, j’ai un univers un peu trop noir… Dans mon dernier spectacle, je fais un pédophile, un djihadiste, un mec du Front national, c’est hyper saignant… Mon pédophile raconte : « là je reviens de Thaïlande, j’ai pas trop visité la région, c’est plutôt les rapports humains qui m’intéressent ». Je ne me vois pas faire ça et deux secondes plus tard, chantonner « Ce soir, je voulais t’écrire… » (Rires).
Houlala, s’en prendre au FN et aux terroristes, quel courage cet humoriste.
Après l’interview cool dépassée, l’humour trash dépassé, celui que tout le monde fait désormais, en souvent en mieux, sur scène. Y a qu’à voir un Pierre-Emmanuel Barré ou même un Guillaume Meurice, qui serait très drôle s’il n’était aussi rasoir avec son gauchisme infantile. Mais on parie qu’il va évoluer, il est intelligent... Meurice, pas Semoun.
Humour noir, Élie, humour noir !