Pour Pas 2 Quartier, Karim, vidéaste toulousain, est allé à la rencontre de plusieurs dealers en activité dans la banlieue nord de sa ville. Son souhait : comprendre les arcanes d’un secteur trop souvent mal raconté, explique-t-il. Les dealers lui parlent de leur perception du trafic, comme une "entreprise", un tremplin social. Ils évoquent aussi la place de la famille et de la religion. Témoignage.
Plusieurs personnes du secteur ont accepté de répondre à mes questions hors caméra. Ils m’ont raconté les postes bien définis, les salaires, les horaires et même les paniers repas distribués aux petites mains qui tiennent les rues de la cité. L’un d’entre eux, après plusieurs rencontres, a accepté que j’enregistre quelques commentaires sur son "travail" tout en restant anonyme.
"Comment on devient dealer ? Il suffit de demander !"
Ali (pseudonyme) ne s’est pas étendu sur ses fonctions. Ce que je sais, c’est qu’il a démarré comme "chouf" ["guetter" en arabe, NDLR]. C’est comme ça qu’ils appellent ceux qui guettent et surveillent les déplacements de la police, et préviennent en cas de descente. Mais il a dû être à un moment donné beaucoup plus impliqué parce qu’il gardait de forte sommes d’argent pour le réseau. Les petites mains n’ont pas ce genre de responsabilités, en général. Lui avait la confiance des chefs.
"Le traitement médiatique imprègne les jeunes, autant que ’Scarface’ "
Les jeunes citent beaucoup les reportages choc qui passent à la télé et qu’ils regardent tous. Ils en parlent comme d’un film qu’ils ont vu au cinéma. L’angle des reportages est souvent le même : on voit des dealers qui vivent bien et gagnent beaucoup d’argent. Le traitement médiatique imprègne les jeunes autant que le film ’Scarface’ avec ses codes : l’ascension sociale et ce qui en découle, à savoir le cash, les belles voitures, les garde-robes, les commerces pignon sur rue, etc. On a l’impression qu’on te livre une notice, un mode d’emploi sur le trafic de drogue. Ces reportages, ça chauffe les esprits comme un bon film ! Les jeunes sont tentés par cette vie-là. Ils veulent s’affirmer, avoir leur chance, montrer qu’ils peuvent assurer, partir de rien et bâtir un empire. Ils veulent être des voyous confirmés comme ceux qu’ils voient dans les reportages, ceux dont on entend parler dans les journaux, dans les médias. À ce niveau, on peut effectivement parler d’effet de mode, qui est aussi généré par les médias.
"Y’en a qui tombent dans le deal par fierté, pour éviter d’être dépendants"