Après une longue attente, la Banque centrale européenne (BCE) a enfin publié ses fameux tests de résistance du système bancaire européen [1]. Les quatre principales banques françaises (BPCE, BNP, CA & SG) ont de quoi être contentes. Elles passent toutes l’exercice haut la main. La nouvelle, relayée abondamment dans les médias [2], permet à Christian Noyer, le directeur de la Banque de France, de vanter la solidité des banques françaises mais surtout la pertinence de son modèle de banque universelle qui fait tant sa spécificité, pour ne pas dire son génie [3]. Cocorico !
Au milieu de ce concert de louanges, une fausse note est cependant venue s’insérer dans la partition. Et comme souvent sur les questions bancaires et monétaires, elle émane d’outre-Rhin. Hans-Werner Sinn, président de l’institut de conjoncture allemand IFO et économiste réputé ayant l’attention de la chancelière Merkel, a critiqué les scénarios retenus par la BCE, les jugeant trop optimistes et peu plausibles [4]. En effet, ceux-ci tablent sur une inflation modérée pour les trois prochaines années. Exit donc l’hypothèse de déflation ! Pour des tests de résistance censés simuler les pires éventualités, cela a de quoi laisser perplexe.
D’autant que, comme le montre l’institut Eurostat dans son étude d’octobre 2014, aujourd’hui huit pays européens sont déjà en déflation, dont notamment l’Italie et l’Espagne [5] où, notons-le en passant, les banques françaises sont très exposées. Et la tendance risque de s’accentuer. En effet, afin de réduire les écarts de compétitivité dans la zone euro entre les pays du Nord et ceux du Sud, la déflation devient un passage obligé pour les pays du Sud s’ils veulent redevenir attrayants auprès des investisseurs, la dévaluation étant impossible. Et on sait qu’une diminution de ces écarts est une condition essentielle à la survie de la zone euro.
Cet « oubli » est d’autant plus dommageable que la déflation est une menace mortelle pour les banques et nos économies d’un point de vue global [6]. En effet, la déflation engendre une baisse des revenus [7]. Ainsi, tout particulier ou entreprise s’étant endetté voit les remboursements de son emprunt devenir proportionnellement plus importants. Statistiquement, ceci engendre à l’échelle d’un pays une augmentation obligatoire du nombre de défauts.
Or les banques depuis le début des années 80 ont développé un modèle économique basé sur la logique des réserves fractionnaires : pour 12 de crédit elles sont censés posséder 1 de capitaux propres [8]. Et bien souvent pour les banques françaises, le ratio est encore plus élevé [9]. Ce formidable effet de levier a considérablement accru leurs bénéfices autant qu’il a mis à mal leur solidité. Leurs bilans ont pris la forme de pyramides inversées, les rendant extrêmement vulnérables aux aléas de la conjoncture.
Les quatre principales banques françaises ont un encours de crédit d’à peu près 6 500 milliards d’euros, soit plus de trois fois le PIB de la France, pour des capitaux propres combinés de 290 milliards [10]. Ainsi, imaginons par exemple que seulement 5 % des emprunteurs fassent défaut. Les quatre banques françaises se retrouveraient avec un trou de 325 milliards d’euros ! Ce qui est supérieur à l’ensemble de leurs capitaux propres. En bref, elles seraient en faillite totale, engloutissant l’épargne et les dépôts de tous les Français. On peut être certain que dans ce cas, les contribuables seraient mis à contribution. Dans une hypothèse supérieure à 10 % de défaut, l’ensemble de l’économie française s’effondrerait, entraînant une crise monétaire sans précédent.
Devant les conséquences terribles qu’aurait une déflation sur les banques systémiques françaises, on ne peut que s’interroger sur l’angle mort de la BCE sur cette éventualité. Si l’on ajoute à cela les risques géopolitiques, on peut légitimement s’interroger sur le sérieux et la fiabilité de ces tests de résistance.
En économie, les prophéties sont souvent auto-réalisatrices. Il semble bien que l’objectif de ces tests de résistance soit politique : il s‘agit de rassurer les investisseurs financiers sur la solidité des banques européennes et ainsi éviter une crise de confiance. La BCE ne se pose donc plus en institution indépendante, garante des intérêts de l’ensemble des Européens en protégeant ces derniers contre des conséquences dramatiques d’une faillite des banques systémiques. Bien au contraire, elle agit tel un organe de propagande au service de ces mêmes banques, utilisant la crédibilité que lui confère sa fonction pour abuser de la confiance des citoyens et ainsi couvrir les agissement d’un cartel bancaire, prêt une nouvelle fois à faire supporter au plus grand nombre le prix de ses excès.