Je suis allé voir le film Un Français. Je m’attendais à un film aussi consternant que les propos que le réalisateur, Diastème, avait tenu lors de la promotion. De manière assez victimaire il sous-entendait que l’ « extrême droite » allait fondre sur les exploitants de salles ayant le révolutionnaire courage de diffuser un film traitant du racisme, de la haine, des skins et du FN. Même les antifas ont avoué sur leur blog que ce genre de « menace » relevait du fantasme le plus grotesque et du coup de com’ balourd.
Malgré mes réticences et l’agacement de voir un mouvement aussi complexe que les skinheads dépossédés de leur histoire et de leur vérité, je suis allé voir le film, et j’avoue avoir été plutôt surpris.
Cinématographiquement, le film est certes assez moyen, très loin de l’académisme réussi de l’American History X ou du souci du détail d’un Made in Britain. L’étalement sur 30 ans se prête d’ailleurs plus à un biopic qu’à un film démonstratif. Le scénario pêche en effet essentiellement par manque d’intelligence. On ne comprend pas véritablement ce qui fait renoncer peu à peu Marco, le héros, à ses sentiments politiques, et le fait basculer du mauvais côté des coups de boule. La faute certainement au manichéisme simpliste de l’écriture : incapable de concevoir les idées de Marco autrement que comme anormales, le scénario décrit ce renoncement comme une guérison, lente, mais inexpliquée. Une trop grande confiance à la narration personnel de William Deligny, qui a inspiré cette histoire de rédemption et que j’ai bien connu, explique aussi ce déficit de crédibilité. Je reviendrai sur la réalité de cet envers du décor.
Malgré ces nombreux défauts, Un Français ne m’a pas déplu.
Tout d’abord parce que les skins y ressemblent à des skins, bougent comme des skins, parlent un langage moins exubérant et fleuri que notre argot de l’époque, mais néanmoins crédible. Les acteurs, en particulier Alban Lenoir, jouent leur rôle avec conviction, rien dans leur jeu n’a en tout cas choqué le skinhead que j’ai été. Le film souffre de nombreuses inexactitudes : par exemple les redskins ne se rasaient pas à blanc mais se faisaient faire une coupe « tremplin ». Les liens avec le FN étaient également beaucoup plus conflictuels que le film ne le montre, en tout cas pour ce qui est des skins parisiens. Nous reprochions en effet au FN sa ligne ultra-libérale et son caractère bourgeois. Cette composante sociale et anticapitaliste de l’idéologie des skins de l’époque est totalement occultée, c’est dommage. [...]
L’absence d’happy end aussi m’a plu. Au bout de cette rédemption/trahison, que reste-t-il ? Rien. Marco finit avec un petit boulot dans la grande distribution, sans amis, détesté par ses anciens camarades pour qui il conserve, lui, encore de l’empathie, loin de sa fille, de la garde de laquelle son ex-femme le prive. On peut en conclure qu’avoir été skin amène des blessures. On peut en conclure aussi que trahir les siens te condamne à ne plus être un homme. « Où sont passées tes couilles ? », lui demande sa femme devant l’enthousiasme de Marco pour les festivités black-blanc-beur de 98. Après cette scène, il n’aura plus le droit de voir sa fille. Celui qui n’est plus un homme n’a plus le droit d’être père, ça pourrait être une des morales du film. Même si l’auteur du film ne partage pas ce point de vue, il présente sans excès de manichéisme cette ambivalence entre rédemption et trahison.
À ce titre, le personnage peut être le plus émouvant du film est Braguette. Leader de la bande, il est blessé lors d’un fusillade avec des punks, et se retrouve cloué en chaise roulante [1]. Malgré le handicap, il persiste dans son combat, ne renie aucune de ses idées et continue, 30 ans après ses premiers combats, à militer. Malgré l’apparence, la force est en lui bien plus qu’en Marco, qui pourtant ne semble pas ressentir physiquement le poids des années. C’est d’ailleurs Braguette, qui, bien que marchant avec une canne, enverra à terre son ancien acolyte, désormais paralysé par son pacifisme. Braguette, lui, ne « lâche rien » face au système qu’il combat.
Le principal défaut du film tient en fait à son argument antifasciste. Ce manichéisme que Diastème parvient plutôt bien à éviter en montrant que les skins sont des êtres humains comme les autres, l’empêche toutefois d’apporter une crédibilité suffisante à la conversion idéologique progressive de son personnage principal. La scène du bus où Marco se met à suffoquer après avoir embrouillé une famille arabe ressemble presque à un exorcisme. On a l’impression que l’acteur se transforme et que la « haine quitte son corps ». Du point de vue du réalisme scénaristique, ce genre de ficelle magique est une grosse faiblesse. Elle témoigne de l’incapacité de la bourgeoisie de gauche à percevoir le racisme des classes populaires (pas seulement blanches, d’ailleurs) autrement que comme un ressentiment irrationnel, une sorte de haine anormale et difficilement explicable. À maladie étrange, guérison mystérieuse.