Je connais une courte liste de personnes qui partagent deux qualités que je trouve attachantes : elles possèdent un cerveau bon et efficace équipé de toutes sortes de connaissances ; et elles n’ont pas peur de l’utiliser de manière innovante, ce qui leur permet de les mener dans de nouvelles directions que je peux parfois utiliser pour amorcer ma propre pompe à cerveau.
L’un d’entre eux est John Michael Greer. Dans un article récent, Greer a écrit :
« Au cours des dernières décennies, ici aux États-Unis, ce qui, autrefois, ressemblait parfois à une démocratie représentative qui fonctionnait, s’est transformé en un état de conflit permanent dans lequel les foules hurlantes se bombardent avec des briques de rhétorique au lieu de projectiles plus létaux. Et la plupart du temps, ils caricaturent leurs adversaires avec un dualisme moral strident qui serait considéré comme exceptionnellement basique dans une bande dessinée de super-héros bon marché. Pendant ce temps, les deux côtés rivalisent dans leur volonté de mettre de côté les libertés constitutionnelles pour lesquelles des générations plus anciennes et sans doute plus sages se sont battues et sont mortes. »
Greer explique que cette détérioration est principalement due à la peur ; plus précisément, la peur de l’inconnu. J’aurais tendance à être d’accord. À ce stade, les Américains forment un groupe assez effrayant, dont beaucoup se cachent dans des quartiers et des communautés « sécurisés » (payant des loyers et des hypothèques exorbitantes). D’autres luttent contre leurs peurs en agrippant leurs armes semi-automatiques (qui leur échappent périodiquement, tuant leurs voisins, les membres de leur famille et leurs animaux de compagnie). Beaucoup d’autres avalent des anxiolytiques ou s’engourdissent d’alcool.
Les Américains se voient des ennemis partout dans le monde, mais ils sont spécifiquement programmés pour craindre ceux contre lesquels ils ont déjà des préjugés : les minorités, les sous-classes, les criminels, les étrangers, les terroristes… De plus, ce qui fait que tout ce qui précède est si effrayant, c’est l’ignorance : il n’y a pas de peur plus grande que celle de l’inconnu. Elle constitue un cercle vicieux dans lequel le préjugé renforce l’ignorance (puisque les gens ont tendance à mépriser ceux qu’ils ne respectent pas), l’ignorance renforce la peur (de l’inconnu) que les gens tentent d’apaiser en dénigrant ceux qu’ils perçoivent comme leur ennemi. En bref, la peur renforce les préjugés.
Ce type de programmation mentale présente de nombreux avantages. La peur augmente les ventes d’armes à feu et de munitions, le prix des propriétés dans les communautés fermées et les communautés « blanches » en général, et ceux des anxiolytiques. Cela justifie les énormes budgets militaires et de mise en application de la loi et cela fournit la raison d’être des systèmes de surveillance intrusifs. Les craintes programmées sont également utiles pour diriger les personnes et les empêcher de regarder les choses dont elles devraient peut-être avoir le plus peur, c’est a dire l’effondrement financier et économique, la dissolution politique et les conflits violents, les bouleversements sociaux et les catastrophes environnementales en raison d’une infrastructure décrépite et défaillante.
Juste un niveau au dessus des pauvres idiots qui sont condamnés à vivre leur vie dans la peur, nous pouvons discerner une différence entre les « bonnes » peurs et les peurs « dangereuses ». Les « bonnes » peurs sont toutes celles qui peuvent être utilisées dans la tactique traditionnelle du diviser pour mieux régner afin de déstructurer la société selon des lignes raciales, ethniques, de classes et régionales, canalisant les énergies publiques dans des combats fantômes, et les empêcher de se réunir pour défendre des causes communes bénéficiant a chacun. Les peurs « dangereuses » sont celles qui remettent en question le système, car à ce stade le système, qui continue pour l’instant de persister en tant que conglomérat d’intérêts particuliers bien compris, est devenu trop fragile pour soutenir un si grand défi.