Pendant que chacun pleure les victimes des attentats de Tunis, Manlio Dinucci rappelle que la situation tunisienne n’est que l’extension du chaos libyen et que celui-ci a été provoqué par l’OTAN. L’Italie en particulier, mais aussi la France et divers autres États européens se préparent à venir se battre aux côtés du « gouvernement de Tobrouk ». Officiellement pour rétablir la sécurité publique, probablement pour terminer le travail et diviser le pays.
L’attaque terroriste en Tunisie, qui a fauché aussi des victimes italiennes et françaises, est étroitement liée à la situation chaotique de la Libye, souligne-t-on dans les milieux gouvernementaux et dans les médias. On oublie cependant le fait que le chaos en Libye a été provoqué par la guerre de l’OTAN qui, il y a quatre ans exactement, a détruit l’État libyen.
Le 19 mars 2011 commençait le bombardement aéronaval de la Libye : en sept mois, l’aviation des USA et de l’OTAN effectuait 10 000 missions d’attaque, avec plus de 40 000 bombes et missiles. Simultanément, on finançait et armait les secteurs tribaux hostiles au gouvernement de Tripoli ainsi que des groupes islamistes qu’on avait jusque peu de temps auparavant définis comme terroristes. On infiltrait en Libye même des forces spéciales, dont des milliers de commandos qataris. À cette guerre, sous commandement étasunien par l’intermédiaire de l’OTAN, participait aussi l’Italie avec ses bases et forces militaires (et surtout la France et le Royaume-uni : « Opération Harmattan », NdT [1]).
De multiples facteurs rendaient la Libye importante pour les intérêts étasuniens et européens : les réserves pétrolifères — les plus grandes d’Afrique, précieuses pour leur haute qualité et leur faible coût d’extraction — et celles de gaz naturel, qui restaient sous contrôle de l’État libyen, qui concédaient aux compagnies étrangères des marges de bénéfices restreintes ; les fonds souverains, d’un montant d’environ 200 milliards de dollars (disparus après avoir été confisqués), que l’État libyen avait investi à l’étranger et qui en Afrique avaient permis de créer les premiers organismes financiers autonomes de l’Union africaine ; la position géographique même de la Libye, à l’intersection entre la Méditerranée, l’Afrique et le « Moyen-Orient ».
Ce sont donc les USA et les plus gros alliés de l’OTAN, comme il a déjà été amplement documenté, qui ont financé, armé et entraîné en Libye en 2011 des groupes islamistes qualifiés de terroristes peu de temps auparavant, parmi lesquels les premiers noyaux du futur Émirat islamique ; qui les ont approvisionnés en armes à travers un réseau organisé par la CIA (selon l’enquête du New York Times) quand, après avoir contribué à renverser el-Kadhafi, il sont passés en Syrie pour renverser el-Assad ; ce sont encore les États-Unis et l’OTAN qui ont favorisé l’offensive de l’Émirat islamique en Irak, au moment où le gouvernement al-Maliki s’éloignait de Washington, et se rapprochait de Pékin et Moscou. L’Émirat islamique joue ainsi de fait un rôle fonctionnel à la stratégie des USA et de l’OTAN de démolition des États à travers la guerre secrète. Ceci ne signifie pas que la masse des ses militants, dont les histoires sont liées aux tragiques situations sociales provoquées par la première guerre du Golfe et par les suivantes, en soit consciente.
L’attaque terroriste à Tunis est advenue le lendemain du jour où Aqila Saleh, président du « gouvernement de Tobrouk », avait averti l’Italie que « l’Émirat islamique peut passer de la Libye à votre pays », faisant pression sur Rome pour qu’elle intervienne en Libye. Le ministre Gentiloni a promptement répondu : « Nous ferons notre part. » Et le nouveau chef d’état-major, le général Danilo Errico, a assuré que, « si le gouvernement devait donner le feu vert » à une intervention en Libye, « nous, nous sommes prêts ».
Prêts donc pour combattre aux côtés de l’ « Armée nationale libyenne », bras armé du « gouvernement de Tobrouk », au commandement duquel se trouve — selon l’article documenté de The New Yorker du 23 février 2015 — le général Khalifa Haftar qui, « après avoir vécu pendant deux décennies en Virginie (USA), où il travaillait pour la CIA, est revenu à Tripoli pour faire la guerre pour le contrôle de la Libye » [2].
Traduction : Marie-Ange Patrizio
Source : Il Manifesto (Italie)