Derrière les effets de manches et les figures des ténors du barreau, les robes noires cachent une réelle souffrance. « Dans ce milieu, tu n’as pas de vie, pas de reconnaissance, ni de bienveillance », énumère Mylène.
[...]
Comme Mylène, ils sont 30% à quitter la profession d’avocat avant dix ans de carrière, selon un rapport sur l’avenir du métier, remis à la Chancellerie en février 2017. Les raisons de cette hémorragie sont multiples.
En premier lieu, les jeunes avocats pointent le manque de rémunération par rapport à leur investissement personnel. « Lors de ma première collaboration, j’arrivais à peine à me sortir un SMIC à la fin du mois, pour douze heures de travail par jour », se souvient Laure, qui a arrêté sa carrière d’avocate il y a plus de six mois.
En France, le salaire moyen d’un avocat débutant se situe entre 1.500 et 3.800 € de rétrocession d’honoraires – un montant qui change selon les barreaux et auquel il faut retirer les cotisations sociales et les impôts, soit 50% du total. Certains s’agacent : « Après sept ans d’études, gagner le SMIC, ce n’est pas acceptable. Avec un BTS, j’aurais le même salaire. »
Concurrence exacerbée
« Si on accepte un tel salaire, c’est parce qu’il y a beaucoup trop d’avocats en France. Si je refuse une collaboration à cause de la rétrocession d’honoraires, je sais qu’il y a dix avocats qui se présenteront à ma place, explique Mylène. On cède car on a peur de ne jamais retrouver un boulot. »
Le secteur est bouché. Le nombre des avocats explose par rapport aux affaires judiciaires : il a augmenté de 50% en quinze ans. Aujourd’hui, ils sont plus de 65.000 avocats en France, la moitié se partageant le barreau de Paris. La concurrence est particulièrement rude en droit des affaires, pénal ou de la propriété intellectuelle.
Certains cabinets profitent de la situation pour en demander toujours plus. Ils nient toute vie privée et exige une disponibilité à toute épreuve.
« Mon ancien patron avait l’habitude de m’informer à 22 heures que je devais le remplacer à une audience le lendemain matin, ou de me donner des dossiers à traiter en urgence juste avant ma pause midi, se désole Laure, ancienne pénaliste. Dès que le téléphone sonnait, j’avais la boule au ventre. »
Cet investissement personnel est considéré comme normal. « Durant les premières années de la vie d’un collaborateur, on est beaucoup sollicité mais peu reconnu. Cela donne l’impression d’être un exécutant, un “gratte papier” », se souvient Pauline Ferney, ancienne avocate reconvertie dans le monde de l’édition.
Le stress accompagne les journées des avocats collaborateurs. Ils ont une grande responsabilité : satisfaire les clients et surtout les associés du cabinet, pour se faire bien voir. À la moindre erreur, ils baissent dans l’estime de ces derniers.
[...]
Inégalités salariales
Ces conditions de vie et de travail, tous les jeunes avocats les connaissent. Mais certains ne les acceptent plus : ils quittent la robe et se reconvertissent dans différents domaines.
« Nous sommes une profession extrêmement difficile. Il y a toujours eu des reconversions, commente Marie-Aimée Peyron, bâtonnier de Paris. L’Observatoire du Conseil national des barreaux [CNB] constatait en 2007 que 40% des jeunes femmes quittent l’avocature dans les dix premières années d’exercice. »
Attrait du monde de l’entreprise
La plupart des avocats partent travailler en tant que juristes d’entreprise. C’est la trajectoire qu’a choisie Laure. Alors qu’elle cherchait en vain une nouvelle collaboration, elle est tombée sur des offres de recrutement en entreprise. Après moins d’un an comme avocate en Île-de-France, elle a décidé de quitter cette profession libérale : « En moins de trois mois, une entreprise me recrutait comme gestionnaire en sinistre » – une reconversion facile.
[...]
Un boulot « moins transcendant », concède-t-elle, mais qui paye bien : « J’ai un salaire deux fois plus important que lorsque j’étais avocate, alors que je travaille deux fois fois moins », sourit-elle. À cela s’ajoute les nombreux avantages du salariat : des horaires de bureau, des congés payés et des RTT, un treizième mois et la prise en charge de la mutuelle.