Le petit coin d’E&R
Si nous diffusons cet article, qui pourra paraître pour le moins orienté à certains lecteurs, c’est pour donner une idée de la diplomatie officielle de la France, ainsi que de sa justification par une personnalité dite mainstream. Dans la version d’Encel, tout se tient, mais tient aussi sur des « trous » : nous pensons aux bombardements douteux anti-Daech, à l’alignement de la diplomatie française sur les intérêts israélo-américains, ou à l’intervention au Mali pour des raisons morales ou « terroristes », en occultant la stratégie nucléaire du pays. La seule justification que trouve au fond Encel à notre nouvelle politique arabe – une rupture avec 40 ans de diplomatie –, c’est la vente d’armes lourdes. Le Premier ministre Manuel Valls a répondu la même chose à Jean-Jacques Bourdin qui l’interrogeait sur la moralité des régimes saoudien et qatari. Sans cela, c’est le chômage dans nos usines. Si la diplomatie et le commerce ne sont jamais loin – ne soyons pas naïfs – la grandeur de la France était faite d’une diplomatie habile et équilibrée. Ce n’est visiblement plus le cas.
Contribution de Frédéric Encel, docteur en géopolitique, maître de conférences à Sciences Po Paris et à la Paris School of Business.
1. Faire la guerre pour promouvoir la paix
Les stratèges et les hommes d’État savent bien que le recours à la guerre n’a d’utilité – et de légitimité parfois – que dans la perspective de ce qui suit, à savoir un état de paix et de stabilité. Foin de chauvinisme : toutes les expéditions militaires françaises n’ont pas été bien inspirées ces dernières décennies, loin s’en faut ! Mais lorsque François Hollande dépêche séance tenante hommes et matériel en quantité et en qualité pour sauver Bamako, la guerre qu’il mène est justifiée à plusieurs titres. D’abord, elle est légale en droit international car validée par le Conseil de sécurité et l’appel de l’État malien lui-même. Ensuite, elle est légitimée par l’approbation de tous les États alentours, y compris l’Algérie, qui craignent l’extension de l’islamisme radical à l’intérieur de leurs frontières. Enfin, elle est cohérente du point de vue tactique et militaire puisque seule la France pouvait intervenir aussi vite et puissamment dans cette région du Sahel. Depuis, elle y est seule en première ligne face à des terroristes cherchant à déstabiliser toute la zone et à s’emparer – ce qui serait une première symboliquement catastrophique – d’une capitale musulmane. Dans ce schéma de lutte contre le fléau djihadiste, la récente extension au sol syrien des frappes françaises face aux barbares de Daech est d’autant plus cohérente que ces groupes armés islamistes ont maintes fois déclaré la guerre à la France et mis leurs menaces à exécution. De ce point de vue, l’article 51 de la Charte des Nations unies sur la légitime défense, brandi par Jean-Yves Le Drian, s’applique parfaitement.
2. Ne pas courir plusieurs lièvres à la fois
Dans le vaste espace Moyen-Orient-monde arabe, la France de François Hollande, plutôt que de courir après les événements en tentant de se concilier des États et/ou pôles antagonistes, a adopté une ligne stratégique claire : le rapprochement avec les États arabes sunnites. Il ne s’agit pas d’un choix idéologique ou religieux, ni de la résurrection de l’ancienne et désormais inopérante « politique arabe de la France », mais bien de pragmatisme ; les pétromonarchies du Golfe – toutes arabes et sunnites – comptent en effet parmi les rares États au monde à avoir à la fois la volonté et la capacité (en fait la solvabilité !) d’acheter quantité d’armements lourds, comme les Rafale. Trois faits ont illustré cette politique : d’abord, le haut niveau d’exigence français face à Téhéran dans les pourparlers sur le nucléaire ; ensuite, le renforcement du partenariat militaire avec les Émirats arabes unis ainsi que le rapprochement diplomatique avec l’Égypte et l’Arabie Saoudite ; enfin, et peut-être surtout, l’intransigeance (moralement juste) face à Bachar al-Assad.
Cette ligne stratégique n’aura qu’un temps ; il faudra ainsi tenir compte de l’inéluctable montée en puissance de l’Iran et du vraisemblable affaiblissement conséquent de Riyad. Mais en attendant, surfant sur le relatif retrait américain, Paris joue à fond une carte lucrative.
3. Demeurer une puissance lorsqu’on est désargenté
On disait la France désargentée et l’on avait raison ; on la disait de ce fait affaiblie et l’on avait tort. En géopolitique, la conduite des affaires extérieures n’est pas qu’affaire de gros sous, la ténacité, le dynamisme et l’habileté pouvant parfois pallier les faiblesses du nerf de la guerre. De ce point de vue, le trio exécutif (Élysée, Matignon, Défense) en charge des affaires stratégiques et militaires a démontré ces constances et compétences. Les arbitrages budgétaires en faveur de l’effort militaire, l’autonomie d’action dans des interventions urgentes et salutaires (comme au Mali en 2014), l’usage massif d’un réseau diplomatique encore très puissant, une voix originale non seulement face à la Russie mais aussi vis-à-vis des États-Unis (lors de la crise syrienne de 2013), le renforcement de partenariats militaires solides (Émirats arabes unis, Tchad, etc.), une position équilibrée dans le conflit israélo-palestinien ou encore la capacité de fournir des matériels extrêmement puissants et de haute valeur ajoutée à des régimes-clés (Rafale et Mistral à l’Égypte) ; tout concourt à faire de Paris un acteur primordial dans la zone de crises majeures qui s’étend du Sahel occidental au Golfe persique. Certes, la France est moins présente que naguère dans d’autres espaces tels que l’Océan Indien, le Sud-Est asiatique ou l’Afrique des Grands lacs, mais quelle puissance occidentale autre que l’Américaine peut se targuer de l’être ?