Plongé dans une guerre civile depuis 1975, le Liban s’enfonce peu à peu dans le chaos au début des années 1980. Du 21 août au 13 septembre 1982, l’armée française intervient au sein de la FINUL pour limiter les affrontements entre les différentes factions, protéger la population civile et faciliter l’évacuation des membres de l’Organisation de libération de la Palestine bloqués dans Beyrouth.
Un pays fragilisé par les tensions communautaires et régionales
Sous domination ottomane pendant cinq siècles, l’État du Liban voit le jour à l’issue de la Première Guerre mondiale. La France, qui a reçu un mandat sur le Liban et la Syrie lors de la conférence de San Remo, aboutissement des négociations entamées avec les Britanniques en 1916 lors des accords Sykes-Picot, proclame la création du Grand Liban en 1920. Cette décision est contestée par les partisans d’une Syrie indépendante et unifiée, qui revendiquent le territoire libanais. Les oppositions sont étouffées et la République libanaise est établie en 1926. Proclamée en 1936, l’indépendance du Liban n’est reconnue par la France libre qu’en novembre 1943.
Indépendant, le Liban peut enfin prendre son destin en main. Mais les hommes politiques sont rapidement confrontés à l’instabilité sociale, nourrie par les divisions religieuses et les tensions communautaires. Afin d’assurer un certain équilibre politique au pays, caractérisé par sa population multiconfessionnelle, le pouvoir est partagé de manière officieuse entre les trois principales communautés religieuses (chrétiens maronites, musulmans sunnites et musulmans chiites) lors du pacte national de 1943. Basé sur un recensement datant des années 1930, le confessionnalisme politique libanais, toujours appliqué aujourd’hui, est de plus en plus critiqué au fil de l’évolution démographique du pays, les communautés musulmanes devenant majoritaires par rapport aux chrétiens.
L’équilibre fragile entre les communautés libanaises est mis à dure épreuve par le conflit israélo-palestinien, dans lequel le Liban se retrouve pris à parti malgré lui. La guerre israélo-arabe de 1948 entraîne l’arrivée de plus de 100 000 réfugiés palestiniens sur le territoire libanais – le nombre de ces derniers ne cessera d’augmenter au fil des années. Parmi eux figurent des militants qui vont se battre contre Israël depuis le territoire du Liban. Signés en 1969, les accords du Caire autorisent l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à utiliser le Liban comme base arrière pour mener des attaques contre Israël. L’État hébreu n’hésitera pas à intervenir lorsque la menace deviendra trop forte.
Une guerre civile inévitable
Les tensions grandissantes entre communautés, l’afflux massif de réfugiés palestiniens et les pressions étrangères de plus en plus fortes (Israël et Syrie) rongent peu à peu l’équilibre précaire du pays jusqu’à ce que l’inévitable advienne. La guerre civile éclate au printemps 1975 à la suite de diverses provocations. Les Phalanges libanaises, qui rassemblent des militants chrétiens de droite, affrontent les partisans du Mouvement national libanais, au sein duquel sont rassemblés des Palestiniens, des musulmans, des socialistes et communistes. Impuissante face à l’intensité des combats, l’armée libanaise ne parvient pas à ramener le calme. Beyrouth se trouve rapidement coupée en deux, les chrétiens prenant le contrôle de l’est de la ville et les musulmans celui de l’ouest.
Le conflit prend une nouvelle dimension en mars 1978 avec l’intervention d’Israël. En réponse à une attaque terroriste commise par des militants pro-palestiniens ayant fait trente-huit morts, l’État hébreu lance l’opération Litani et envahit le Sud-Liban le 14 mars 1978. C’est la première opération de grande envergure lancée au Liban par Israël, qui menait depuis plusieurs années des opérations de petite ampleur dans la région transfrontalière. L’intervention a pour objectif de repousser les combattants palestiniens afin de protéger la frontière. En quelques jours, l’armée israélienne parvient à occuper le Sud-Liban.
Fortement préoccupée par la situation, la communauté internationale décide d’agir. La Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) est créée le 19 mars 1978 par le Conseil de sécurité de l’ONU. Les casques bleus, au nombre de quatre mille au début de la mission, ont pour objectif de s’interposer entre les différentes factions et de s’assurer du retrait des soldats israéliens, qui créent une « ceinture de sécurité » de dix kilomètres de profondeur à la frontière israélo-libanaise. Les mois qui suivent sont marqués par une extrême violence, les différentes armées et milices multipliant les affrontements, les bombardements et les massacres. Sous la pression de l’ONU, les représentants libanais, palestiniens et israéliens s’accordent pour signer un cessez-le-feu le 24 juillet 1981. Le répit sera de courte durée pour la population libanaise.
L’ONU au secours des combattants palestiniens
Israël lance une nouvelle offensive le 6 juin 1982 dans le Sud-Liban pour déloger les combattants de l’OLP et repousser les soldats syriens qui occupent le pays. Les soldats de la FINUL sont impuissants face aux 60 000 hommes qui déferlent sur le Liban dans le cadre de l’opération « Paix en Galilée ». L’avancée rapide de Tsahal oblige les soldats syriens à quitter le territoire tandis que 15 000 combattants palestiniens se replient dans Beyrouth. La population de la capitale se retrouve prisonnière, prise entre le feu des deux camps et menacée par les bombardements qui s’approchent de la ville.
La situation empire au fil des semaines, l’armée israélienne gagnant du terrain. L’aéroport de Beyrouth est pris le 1er août, ce qui isole davantage encore la capitale du reste du pays. La communauté internationale redouble d’efforts pour trouver une solution qui mette un terme au conflit, ou du moins limite les dégâts. Le 12 août, le diplomate américain Philip Habib propose le plan d’une opération internationale au cours de laquelle se déploieraient des soldats de la FINUL afin de protéger les civils, notamment palestiniens, et d’évacuer le chef de l’OLP, Yasser Arafat, et ses combattants. Le volet français de l’opération est baptisé Épaulard, nommé d’après une espèce d’orque, et son commandement confié au général Granger.
Les deux régiments français impliqués dans l’opération arrivent à Beyrouth le 21 août 1982. Déployé dans la zone du port, le premier est chargé du transit des combattants palestiniens jusqu’au port pour qu’ils quittent la ville assiégée par l’armée israélienne. Yasser Arafat est évacué le 30 août en compagnie des derniers combattants palestiniens et sous les caméras des journalistes. Le second régiment est quant à lui déployé dans le centre-ville afin de s‘interposer entre les différents groupes armés qui s’affrontent. Les régiments français prêtent également main forte à l’armée libanaise pour l‘aider à reprendre le contrôle de la ville et faire cesser les affrontements. Ils protègent aussi la population en menant des opérations de déminage ou en apportant leur appui médical. Les soldats français se désengagent le 13 septembre après trois semaines d’opération intenses qui auront fait treize blessés dans leurs rangs et coûté la vie à l’un de leurs hommes.
Une guerre sans fin ?
L’intervention de la FINUL a permis de s’interposer entre les parties armées et d’évacuer les soldats palestiniens, mais le conflit est loin d’être terminé pour autant. Le 14 septembre, soit le lendemain du retrait des troupes de la FINUL et de la fin de l’opération Épaulard, le président libanais Bachir Gemayel est assassiné par un militant pro-syrien, moins d’un mois après son élection. En guise de représailles, les phalangistes massacrent plusieurs centaines de réfugiés palestiniens dans le quartier de Sabra et dans le camp de Chatila. Les soldats israéliens, qui se sont redéployés dans Beyrouth malgré leurs engagements, ne s’interposent pas pour protéger les réfugiés.
Le nouveau président libanais Amine Gemayel, frère de Bachir Gemayel, demande de l’aide à la communauté internationale. Le Conseil de l’ONU crée la Force multinationale de sécurité à Beyrouth (FMSB). 1 100 soldats français sont déployés à partir de la fin du mois de septembre 1982 dans le cadre de cette nouvelle opération nommée Diodon. La France paiera un lourd tribut durant cette opération, marquée par l’attentat du Drakkar au cours duquel cinquante-huit parachutistes français trouveront la mort, le 23 octobre 1983. Malgré la fin de la guerre civile en 1990, les forces françaises sont toujours présentes sur place en 2022 pour assurer la sécurité du pays, les tensions restant fortes dans la région.