Quand Bruno Roger-Petit tente de « dénationaliser » la victoire des Bleus
Quand on a un logiciel politique faussé dès le départ, il est inévitable de commettre des fautes de raisonnement. Les mathématiques sont pour cela basées sur des postulats inattaquables (jusqu’à un nouveau paradigme, mais n’entrons pas dans les complications).
Malgré cela, BRP ne se résout pas à la défaite idéologique de la gauche, défaite annoncée par Michel Rocard. C’est drôle, Rocard parlait de la défaite de la gauche paléolithique qui n’avait pas voulu évoluer en gauche réformiste, de progrès, post-socialiste, en tous les cas anticommuniste. En gauche libérale, c’est-à-dire en droite évoluée, de cette droite qui se serait elle aussi débarrassée de son carcan réactionnaire, comprendre traditionaliste, catholique, quoi. Rien à voir avec le fait que Rocard ait été protestant, mais...
Quand nous, disons que le logiciel de BRP est faux, on veut dire qu’il ne fonctionne pas sur le réel, et que ça crée des impasses logiques. Cela oblige donc les propagandistes des médias qui sont dans son cas – et ils sont majoritaires – à triturer leurs concepts dans tous les sens, de façon à obtenir un semblant de logique. Mais en grattant un peu, tout l’édifice s’écroule. En face, Zemmour boit du petit lait (de chèvre) : face à de tels adversaires, il fait un carton. À l’image des conquistadors espagnols qui venaient lourdement armés sur le continent latino-américain, face à des Amérindiens équipés d’arcs et de flèches. Ou du couple de martres dans un poulailler, pour ceux qui connaissent un peu la campagne. Le goût du sang, le sang qui appelle le sang.
La dure loi de l’évolution intellectuelle s’impose à tous, BRP a perdu, mais du fond de son trou, pas encore recouvert, abandonné de tous, il souffle ses derniers soupirs dans le cor de sa rubrique. Cela donne des contre-vérités qui oscillent entre le pathétique et la drôle. Cependant, l’échec n’est jamais définitif : on peut évoluer, comprendre, ouvrir son esprit, améliorer son logiciel de pensée, rendre sa Weltanschauung plus vraie, disons moins fausse. La vérité étant une transcendance inaccessible, mais vers laquelle tout intellectuel honnête doit tendre.
Pour cela, il faut remettre en question ce qu’on sait, jour après jour, et considérer toute pensée différente, qu’il faut non pas écarter mais dépasser, pour l’englober dans une pensée supérieure. La pensée en mouvement, la pensée vivante croît ainsi. Ce qui n’est pas vraiment le cas de BRP. C’est aussi pourquoi il s’en prend en le « lepénisant » à Mélenchon, sa nouvelle cible : il a compris que le leader de la gauche non socialiste était en train de muer, politiquement. Laissant tomber sa panoplie de vieux gauchard, il endosse en douce la veste souverainiste, et un fier couvre-chef anti-européiste. On sait tous que c’est pour récupérer les voix communistes passées chez Le Pen, mais c’est de bonne guerre. Parfois, on arrive au sommet par des chemins tordus.
Bref, après avoir écrit un excellent papier sur la construction de la nouvelle star Antoine Griezmann, l’idéologue de Challenges est retombé dans son obsession antifasciste manichéenne. Comme quoi, derrière le vernis de culture, la nature revient toujours au galop.
Nous avons ajouté à ce petit dossier une analyse vidéo du journal Le Monde, qui parle du « rapport schizophrénique des Français avec leur équipe », sans en évoquer la principale raison : le patriotisme français a été tellement vilipendé dans les médias, que les Français sont désemparés devant toute victoire de leur pays, et ils y voient automatiquement (c’est dire l’automatisme créé) quelque chose de louche, de dangereux... La main du Diable.
Il y a donc bien un rapport schizophrénique, mais seulement parce que le sentiment naturel d’amour pour sa patrie – dont les Américains et les Israéliens usent et abusent dans leur communication mondiale – a été criminalisé durant plusieurs décennies (Vichy et compagnie).
Cela explique pourquoi, par exemple, les supporters des Bleus attendent les premières victoires (voir 1998), l’engouement des médias (la victoire fait vendre) et l’autorisation des élites (qui font démagogiquement corps avec l’équipe victorieuse) pour embrayer et lâcher leur joie, tout en gardant un œil inquiet sur les gardiens médiatiques qui les surveillent et les morigènent, en cas de débordement « nationaliste ».
Victoire des Bleus, défaite des Le Pen et Mélenchon
Tout est politique. Même le France-Allemagne de cet Euro 2016. Oui, ce match est un événement de portée politique majeure. Pas seulement parce que François Hollande s’affiche à chaque match des Bleus, non, cela va bien au-delà. En vérité, cette victoire contre l’Allemagne, ce moment où le football est roi, ne signe pas seulement la victoire de Griezmann et des Bleus, il signe aussi la défaite des Le Pen, Mélenchon, et autres archaïques de tous horizons, de gauche comme de droite, qui détestent le football qui rassemble.
On reprend, d’un point de vue politique, ce France-Allemagne de légende.
Nous sommes jeudi soir, le match est à peine terminé que déjà sur i>Télé, Pierre-Louis Basse, la grande voix du foot des années Europe 1, en tire la conclusion politique qui s’impose. « Ce sont quand même des moments de fraternité chouette. On pourrait le dire », commence-t-il. Et de poursuivre, face à un interlocuteur qui s’étonne de cette sortie qui, d’un coup, associe football et politique, Griezmann et sociologie :
« La politique elle nous rattrape toujours l’extrême droite par exemple, qui revendique ne pas aimer cet euro, on le comprend, parce que ces moments de fraternité, c’est fort. Des Irlandais qui boivent des coups avec des Italiens, c’est fort. C’est pas la guerre qu’on veut, c’est vivre ensemble, avec toutes nos différences. »
On salue ici le propos de Pierre-Louis Basse, qui situe impeccablement la dimension politique du football. Dans la société. Au cœur de la société. Et qui dit la vérité des heures que nous sommes en train de vivre, à travers l’épopée des Bleus de Didier Deschamps dans cet Euro.
« Une revendication sociale »
Arrigo Sacchi, le grand entraîneur du Milan AC et de la Squadra des années 90, eut un jour un mot formidable pour dire le rôle politique du football. « Le foot est une revendication sociale. » Il entendait ainsi signifier que ce sport relève de l’identification, quel que soit le niveau et l’échelle où il est pratiqué. L’amateur de football projette son identité personnelle dans une identité collective, qui transcende les individus. L’histoire du football français, par exemple, en porte la marque. Clubs des villes communistes, avec Le Havre AC ou le Saint-Étienne des années Manufrance et Sanguedolce. Clubs des curés, avec l’AJ Auxerre et son stade qui ne s’appelle pas Abbé Deschamps par hasard. Club de l’industrie automobile, avec le FC Sochaux des Peugeot, dont l’emblème est un lion semblable à celui de la marque. Et l’on pourrait ainsi multiplier les références, en France où ailleurs, qui valide l’axiome de Sacchi.
Chaque fois qu’il faut fédérer une communauté, lui donner corps, rassembler et unir, on invente un club de football. Nécessairement, les équipes nationales n’échappent pas à ce phénomène. Et mieux encore, elles en constituent le climax. Le football, c’est comme la Nation de Jaurès, c’est aussi le dernier des pauvres, ce qui rassemble encore quand on se sent exclu de tout.
Plus que la France Black-Blanc-Beur
Il fallait voir, ce jeudi soir, la foule venue sur les Champs-Élysées célébrer la victoire des Bleus, ce formidable rassemblement populaire dépassant les antagonismes, sans distinction de classe, d’origine, de culture et de couleur. C’était plus que la France Black-Blanc-Beur, la France de toutes les France. Et tout cela grâce à deux buts de Griezmann, deux arrêts de Lloris, un centre de Pogba, la hargne de Sissoko et une victoire contre l’ennemi héréditaire en football, l’Allemagne, terrassée à l’image de son géant gardien de but Neuer. Il n’y a que le football pour offrir de tels rassemblements populaires, de ces moments de communion fraternelle transcendant tous les clivages, toutes les oppositions, toutes les haines.
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Rédigeant ces lignes, on sait que l’on s’expose à la récrimination habituelle, cette sempiternelle rengaine des hostiles à la vertu fédératrice du football, qui rabâcheront, derrière les Finkielkraut et Zemmour, les Le Pen et les Dupont-Aignan, les Mélenchon et Nuit debout, que la France unie 2016 de Griezmann est une illusion, comme l’était la France Black-Blanc-Beur de 1998. Sauf que ce n’est pas le sujet. Il est des illusions nécessaires à la cohésion nationale, et le football est l’un de ces derniers vecteurs encore dispensateurs de vivre ensemble. « La revendication sociale », encore et encore.
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Voilà pourquoi les identitaires n’aiment pas le football. Les souverainistes non plus. Les nationalistes encore moins. Et voilà aussi pourquoi à l’extrême gauche, on ne l’aime pas non plus. Les communistes aimaient et aiment encore le football, mais pas les mélenchonistes et les militants les plus farouches des gauches de la gauche, la rupture culturelle mérite d’être notée. Idem pour certains écologistes qui continuent de dénoncer le football, royaume de l’argent fou et des fausses valeurs, sans prendre en considération sa part de revendication sociale.
Ces personnes qui fêtent Knysna
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Voilà pourquoi Marine Le Pen et Eric Zemmour, Alain Finkielkraut et Michel Onfray, chacun pour la défense de leur chapelle respective, préféreront toujours une tragédie semblable à celle de Knysna, le naufrage de la Coupe du Monde 2010, à une victoire de l’équipe de France contre l’Allemagne dans l’Euro 2016, ce grand moment de l’histoire du sport français.