L’album souvenir d’une ancienne masseuse du financier Jeffrey Epstein montre le séduisant royaume des caraïbes qui attirait les adolescentes.
Elle est réveillée au milieu de la nuit. Subitement, le maître a besoin d’un massage. Une employée lui demande de la suivre dans l’obscurité. Convoquée comme une domestique, Chauntae Davies, âgée de 21 ans, se retrouve dans la chambre de Jeffrey Epstein, sous l’œil complice de Ghislaine Maxwell, sa « maîtresse » et recruteuse de jeunes filles. Il parle sans interruption. Comme s’il fallait faire oublier le malaise ambiant. Il s’approche d’elle, commence à la déshabiller, lui prend les poignets et la plaque sur le lit. Elle dit : « Please, no ! » – mais elle sait bien que ça ne sert à rien. Personne ne viendra la défendre. Au milieu de l’océan, sur Little Saint James, Chauntae est prisonnière. « Il n’a pas pu ne pas voir la terreur dans mon regard », dit-elle aujourd’hui. Mais le maître s’en contrefiche. Ici, c’est lui, Jeffrey Epstein, qui décide, et personne d’autre.
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La réticence des insulaires à parler du « cas » Epstein passerait presque pour de la complicité. Dans ce paradis fiscal, il suffit de dépenser 100 000 dollars sur place pour être exonéré de l’impôt sur le revenu. Jeffrey Epstein y a donc racheté la moitié d’une marina et installé le siège de nombre de ses sociétés. Il joignait toujours l’utile à l’agréable. Le business et le sexe. Quand il atterrissait ici, deux fois par mois, à bord de son jet privé, un Boeing 727 surnommé « Lolita Express », il était toujours accompagné de très jeunes filles. Avec ce rituel : un hélico les attendait pour les acheminer sur son île privée, Little Saint James, qu’il a rebaptisée Little Saint Jeff’s, comme Jeffrey Epstein.
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Chez les locaux, il a laissé plutôt de bons souvenirs. « Certes, on l’appelait “le pédophile”, mais, les rares fois où on le rencontrait, il était toujours souriant, sympathique, pas du tout arrogant, et très discret », se souvient le patron d’une agence touristique. « Il payait très bien et refaisait tout le temps la décoration chez lui », renchérit John, un de ses employés, qui, comme tous ses collègues, a dû signer une clause de confidentialité pour avoir le privilège d’arroser les plantes. « Quand il passait devant nous, il nous disait bonjour d’un signe de la main. Mais il n’était pas question de lui adresser la parole. Pour lui demander quelque chose, il fallait passer par un contremaître. »
Sur son île, Jeffrey Epstein se comportait comme la reine d’Angleterre. Et il savait se montrer généreux avec ses sujets. Il a ainsi longtemps employé Cecile deJongh, l’épouse du gouverneur des îles Vierges, pour diriger Southern Trust, une de ses sociétés. Il a recruté un architecte, lié à la famille du même gouverneur, pour construire sa résidence principale. Il achetait tout le monde, aidait financièrement les écoles à s’équiper en ordinateurs et, avec des Prix Nobel ou Stephen Hawking en guest star, organisait des colloques scientifiques consacrés aux « frontières du savoir ». Inutile de lui résister. Voilà trois ans, il avait agrandi son royaume en achetant Great Saint James, l’île voisine de 67 hectares, pour 22 millions de dollars. Mais comme le vendeur, une famille locale qui la possédait depuis les temps où l’archipel appartenait aux Danois, refusait de la lui céder, Epstein a utilisé un prête-nom… Puis il a commencé à faire des travaux sans permis, payant sans rechigner des amendes colossales qui permettaient aux autorités insulaires d’équilibrer leur budget annuel.
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De 1999 à 2005, Steve Scully, informaticien, a travaillé chez Epstein. Il a été payé 400 000 dollars par le financier pour mettre en place un système de télécommunications ultraperfectionné qui lui permettait d’être relié au reste du monde. « Il était très exigeant, raconte Steve. J’ai dû aller là-bas une centaine de fois. Je me souviens de ses piles de polos Lacoste, taille M. Quand j’ai demandé au staff pourquoi il y en avait tant, on m’a dit qu’il avait l’habitude de ne les porter qu’une seule fois. Ensuite, il les donnait au personnel. » Mais le plus effrayant, pour Steve, c’était ces hordes de filles « âgées de 15 à 16 ans, souvent seins nus », se baignant dans la piscine. Et ces photos de femmes également dénudées, partout, sur les murs, dans sa chambre, son bureau… Steve est père de trois filles. « J’ai fini par couper les ponts. Et je regrette aujourd’hui d’avoir travaillé pour lui. »
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Des problèmes de conscience, Jeffrey Epstein, lui, n’en a jamais eus : depuis sa condamnation, en 2008, pour sollicitation de prostituées mineures, il s’estimait victime d’une cabale. À l’entendre, il aurait été coupable d’être… riche et puissant. Il a même osé se comparer un jour à Gulliver chez les Lilliputiens. L’avantage des îles Vierges, pour ce « grand incompris », c’est que, jusqu’à la fin, il a pu y violer des jeunes femmes et des petites filles en toute impunité. Sa condamnation de 2008 n’y a rien changé. Il continuait à nouer des contacts avec les grands de la terre, par exemple Bill Gates, en expliquant qu’il n’avait rien fait de pire que de « voler un bagel ». Il a un jour affirmé très sérieusement à un journaliste que les relations sexuelles entre adultes et adolescentes furent jadis « totalement admises » et que leur criminalisation était « une aberration culturelle au même titre que la peine de mort contre l’homosexualité dans certains pays ».
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Jeffrey Epstein avait beau être inscrit au fichier des délinquants sexuels, il continuait ainsi à s’afficher avec des filles « de 11 à 12 ans », selon le procès-verbal de la déposition d’une contrôleuse aérienne de l’aéroport de Saint Thomas, auquel Paris Match a eu accès. Elle précise qu’elle l’observait à la jumelle du haut de la tour de contrôle auprès de laquelle son jet privé venait toujours se garer. Elle se souvient avoir vu, « en novembre 2018 », ces gamines débarquant avec leurs sacs estampillés Dior ou Gucci. Elle a néanmoins attendu que les autorités judiciaires la sollicitent pour dénoncer Epstein, le 10 juillet, quatre jours après sa seconde arrestation…