À la suite de la chute de l’URSS, les archives de l’Union Soviétique ont été largement ouvertes. Donnant accès aux spécialistes du monde entiers aux différentes statistiques détaillées de l’Union Soviétique, et notamment celles du ministère de l’intérieur. Ces statistiques fournissent ainsi les chiffres du Goulag. Qui peuvent donc être comparés aux différentes estimations qui continuent de circuler en Occident, généralement issues des travaux de propagandiste – notamment ceux de Robert Conquest l’un des plus connus – que des publicistes (tels que S. Courtois) s’évertuent encore à diffuser et ce désormais près de 30 ans après la fin de l’Union Soviétique.
En réalité, s’agissant du Goulag, des victimes des répressions durant les années 1930 ou pendant la guerre, les chiffres les plus extravagant ont été lancés à l’Ouest, prime étant donné comme chacun peut s’en douter aux estimations les plus élevées, brandies comme des armes contre la première expérience socialiste réelle des pays de l’Est. Des chiffres reposant essentiellement sur des « on-dits », des témoignages d’opposants et d’émigrés généralement de fort partis pris. Des chiffres qui continuent de circuler et que l’on retrouve par exemple, à foison dans les pages de Wikipedia et qui viennent alimenter une vaste opération de propagande visant à faire croire que l’URSS était un État prison, inventant un système concentrationnaire pire que celui de l’Allemagne nazie. Oubliant d’ailleurs un peu vite que les colonies pénitentiaires ne sont pas une invention de l’URSS puisqu’elles existaient déjà sous le régime du Tsar, que la déportation dans des bagnes étaient pratiquées par la France ou le Royaume-Uni, ou encore que le taux d’emprisonnement aux États-Unis est aujourd’hui plus élevé qu’il n’a jamais été en URSS.
Pourtant, depuis le début des années 1990, une solide historiographie – anglo-saxone et russe, en France le verrou anticommuniste mis sur la recherche en histoire ayant conduit nombre d’« historiens » à faire profession de la reprise tels des perroquets des chiffres diffusés dans les années 60 par les Conquest et cie – existe sur le sujet reposant sur l’exploitation méthodique non pas de témoignages orientés et de projections fantaisistes, mais des archives de l’URSS, et en particulier de ses services de sécurité. On peut citer ici les travaux bien connus en occident de Getty, de Zemskov ou de Weathcroft publiés notamment par la très sérieuse American Historical Revue mais non traduit et non diffusé en France… C’est que la censure sur le sujet est totale et totalitaire en France. Au moment où pour le centenaire de la Révolution d’Octobre la criminalisation du communisme bat à nouveau son plein comme jamais durant la guerre froide, nous vous proposons d’examiner sérieusement les chiffres d’une réalité qui n’a besoin d’être ni gonflée, ni minorée.
L’ouverture des archives aurait du mettre fin à la propagande autour des 20 millions de morts de Staline et des 100 millions de morts du communisme
L’analyse des archives a démontré par les faits les mensonges de la propagande antisoviétique et permet d’évaluer plus sérieusement le nombre de personnes qui ont été condamnées à de la prison, à des peines de travaux forcés en colonies pénitentiaires ainsi que de dénombrer précisément et façon incontestable les nombres d’exécutions.
Dans son article « les victimes du stalinisme et de la police secrète soviétique : la comparabilité et la fiabilité des données d’archives – ce n’est pas le dernier mot » paru en 1999 dans la prestigieuse revue Europe Asia studies, l’historien spécialiste de l’URSS Stephen G. Wheatcroft décrit les enjeux pour les historiens, des enjeux qui n’ont guère changé à ce jour plus de 20 ans après l’ouverture des archives :
« Allons-nous progresser dans notre niveau de compréhension ? Allons-nous répondre de façon positive aux nouvelles circonstances créées par l’ouverture d’une très grande masse d’archives désormais disponibles ? Allons-nous essayer d’évaluer de manière critique la fiabilité de ces données ? Allons-nous essayer d’établir des indicateurs crédibles descriptifs du cas soviétique que nous pourrons comparer à d’autres sociétés ? »
Ces questions se posent avec force et Wheatcroft de souligner à propos de la machine de propagande visant à donner une apparence de sérieux au slogan des « 100 millions de morts du communisme » qu’elle est désormais totalement démentie par l’analyse des sources historiques. Parlant du principal artisan des chiffres repris notamment par Le Livre noir du communisme – l’historien officiel américain R. Conquest –, Wheatcrof explique que ce dernier refuse de prendre en compte les éléments apportés par l’ouverture des archives :
« Il est très résistant à changer la moindre de ces vues précédentes, en dépit de l’évidence que ces précédentes estimations sont largement surestimées, et ses petites “réévaluations”, demeurent de très loin trop élevées. Il refuse de discuter sérieusement de la fiabilité des données, avec lesquelles il n’est d’ailleurs pas familiarisé, et qu’il espère balayer d’un revers de main.
Rappelons qu’avant même l’ouverture des archives de l’URSS, Wheatcroft avait démontré par ses études la sur-évaluation massive de nombre de détenus au Goulag par Conquest, ce dernier prétendant qu’il y avait neuf millions de prisonniers au Goulag dans les années 1930, là où Wheatcroft montrait qu’il était impossible qu’il y en ai eu plus de 4 ou 5 millions. »
Nous nous sommes penchés sur les chiffres à travers notamment cet article de référence de Wheathroft dont nous vous proposons une synthèse et quelques extraits traduits.
Nombre de prisonniers aux Goulag, la polémique sur les chiffres dans l’après-guerre et jusqu’à la chute de l’URSS
La dispute autour de l’ampleur de la population du Goulag n’est pas nouvelle et il est significatif de souligner que les chiffres qui servent de référence dans les médias occidentaux et auprès des historiens officiels du système capitaliste n’ont pas bougé depuis les estimations faites dans les années 1950 par Dallin et Nicolaevsky, reprises ensuite par Conquest Furet ou Courtois ; ces derniers estimaient à 10 millions le nombre de personnes dans les camps de travail en 1940. Ces estimations reposaient alors quasi exclusivement sur les témoignages d’opposants à l’URSS dans un contexte de guerre froide totale succédant à la guerre contre-révolutionnaire menée par la coalition des pays capitalistes contre l’URSS naissante.
Cependant l’analyse des données démographiques et des différentes données factuelles de l’URSS d’alors permettait déjà aux soviétologues (historiens, démographes, sociologues) américains de contester ces chiffres exagérés. Sur la base des listes électorales, Timasheff en 1948 montre ainsi que la population en camps de travail ne devait pas dépasser les 2 millions. L’analyse du Plan de 1941 par Jasny conduisait ce dernier à estimer qu’elle ne pouvait pas dépasser 3,5 millions au maximum.
Pourtant la polémique a été relancée avec la publication du rapport Kroutchev en 1956, et Conquest ignorant les travaux modernes en 1965 publiait lui un chiffre d’un minimum de huit millions de prisonniers au début de l’année 1939, de sept millions d’arrestations entre janvier 1937 et décembre 1938 et d’un million d’exécutions et de trois millions de morts dans les camps sur cette même période. Des chiffres évidemment repris en cœur par la machine de propagande anticommuniste pour construire le slogan des « totalitarismes » et ancrer dans les esprits que le communisme et l’URSS c’était pire que le fascisme et Hitler. La course à la surenchère pour aboutir à justifier le slogan politique des « 100 millions de morts » du communisme était lancée, Soljenitsyne dans les années 1970 faisant monter les chiffres à 12 millions de prisonniers au goulag en 1941, tandis que l’historienne française A. Applebaum affirme carrément qu’il y avait 18 millions de prisonniers au Goulag !
Mais en 1989, l’historien soviétique Zemskov dans le silence général du milieu universitaire français et des médias, alors que les archives de l’URSS commencent à être ouvertes, publie un premier ensemble de données sur l’ordre de grandeur des camps de travail, des colonies pénitentiaires et des déplacés spécifiques, des données qui chiffrent à 0,5 millions la population en camps de travail en janvier 1934, 1,5 million en janvier 1941 et 0,9 million au premier janvier 1953. Conquest dans sa « réévalutaion de 1990 » refuse de prendre en compte ces nouvelles données historiques, préférant nier les archives plutôt que de mettre en cause les chiffres qui sont la base de toute la campagne de propagande anticommuniste qui dure alors depuis 80 ans contre l’URSS.
En 1990 après avoir eu accès aux registres du Goulag, Wheatcroft évalue à un maximum de 2,53 millions de prisonniers dans les camps, colonies et prisons, 2,75 millions de déplacés spéciaux et exilé ou bannis. Il faut ici préciser que ces chiffres concernent l’ensemble des détenus, y compris les détenus de droit commun, et que l’on peut sans difficulté comparer ces chiffres à ceux de la population carcérale aux États-Unis, qui sont d’une ampleur encore plus élevée. Wheatcroft réévalue aussi précisément le taux de mortalité dans les camps à une moyenne de 7% sur la période 1934-47 – qu’il faut là aussi comparer à la mortalité importante dans la population générale due à la période de guerre (27 millions de morts pour une population de 191 millions d’habitants durant la Seconde Guerre mondiale, soit 14% de la population).
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